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Citation de CarlmariaB


Pour pouvoir écrire une critique littéraire, il me fallait affronter un fantôme en particulier. Ce fantôme était une femme. Quand j'appris à mieux la connaître, je la baptisai du nom de l'héroine d'un poème célèbre, L'Ange dans la Maison (de Coventry Patmore, 1862). C'était elle qui se glissait entre ma feuille et moi quand j'écrivais mes critiques. C'était elle qui m'agaçait, me faisait perdre mon temps et me tourmentait tant que pour finir je la tuai. Vous qui appartenez à une génération plus jeune et plus heureuse, vous n'avez peut-être pas entendu parler d'elle -- cet Ange dans la Maison n'évoque peut-être rien pour vous. Je vais tenter de la décrire aussi brièvement que possible. Elle était intensément bienveillante. Elle était immensément charmante. Elle n'était absolument pas égoïste. Elle excellait dans les arts délicats de la vie domestique. Elle se sacrifiait au quotidien. S'il y avait du poulet, elle prenait une aile; s'il y avait un courant d'air, elle s' y asseyait; – bref, elle était ainsi faite qu’elle n’avait nulle pensée, nul désir qui lui fût propre, préférant toujours partager les pensées et les désirs des autres. Avant toute chose – faut-il le rappeler – elle était pure. Sa pureté – ce rose qui lui venait aux joues, sa grâce exquise – était censée être sa principale beauté. À cette époque – la fin du règne de la reine Victoria – chaque foyer avait son ange. Et quand je me mettais à écrire, elle apparaissait dès mes premiers mots. L'ombre de ses ailes planait sur ma page; j'entendais le froufrou de ses jupes dans la pièce. Dès que je prenais la plume pour écrire la critique du roman d'un écrivain célèbre, elle se glissait derrière moi et murmurait à mon oreille: "ma chère, vous êtes une jeune femme. Vous écrivez sur l'oeuvre d'un homme. Soyez bienveillante; soyez douce; flattez; trompez; faites usage de tous les artifices de votre sexe. Ne laissez jamais personne deviner que vous avez un esprit bien à vous. Et plus que tout, soyez pure."

(Professions pour les femmes, 1931)

Note: ce recueil contient trente textes, publiés entre 1905 et 1942, regroupés en quatre chapitres, les titres sont de Catherine Bernard:
1) La lectrice: textes critiques sur Montaigne, Defoe, Conrad, Madame de Sévigné, Jane Austen, Les soeurs Brontë...
2) Formes de la modernité: Mr. Bennett and Mrs. Brown, Le cinéma, Impressions de Bayreuth...
3) Expérience et écriture: Promenade nocturne, En route pour l’Espagne, Le soleil et le poisson, Par les rues : aventure londonienne, De la maladie
4) Dire son temps: Professions pour les femmes, Orage sur Wembley, Souvenirs d’une coopérative d’ouvrières, Considérations sur la paix en temps de guerre.
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