Vladimir Vertlib

Alexander avait un peu triché car il n'était bachkir que du côté maternel. Son père était moitié tchouvache, moitié allemand, et d'après certains son grand-père tchouvache avait une mère mordve, tandis que d'autres prétendaient qu'elle était tatare.
La grand-mère d'Alexander se fichait de savoir comment était né le peuple de son gendre, ce "radin", ce "coureur de jupons", ce "vaurien". C'était un ivrogne, affirmait-elle comme la plupart des Russes.
Ni la grand-mère, ni la mère, ni la tante, ni aucun autre membre de la famille ne s'intéressaient à la religion en général ou à l'Islam en particulier. Certes, Alexander était circoncis, un rituel auquel, en Union soviétique, en 1980, devaient se soumettre la majorité des petits garçons d'origine musulmane, même si cela n'était pas très bien vu par les autorités, toutefois la fameuse ablation du prépuce n'était rien d'autre qu'une provocation envers la politique antireligieuse de l'Etat, une tradition qui n'était pas remise en question puisque I'État, en voulant tout remettre en question, tout anéantir, avait ravivé d'autant plus les mémoires. Il est vrai que sa tante ne mangeait pas de porc, toutefois il lui serait tout aussi peu venu à l'esprit de faire le ramadan que de se priver de champagne au nouvel an ou d'un verre de vin rouge le jour de son anniversaire. De toute sa vie, Alexander n'était allé à la mosquée que trois ou quatre fois. Sa tante enseignait la littérature russe dans un lycée. Sa grand-mère avait été ingénieur, spécialiste de la fabrication et du traitement des métaux non ferreux puis, à l'époque soviétique, membre du Parti et décorée de l'Ordre de Lénine. La grande ville où la famille était implantée depuis trois générations se trouvait dans l'Oural, mais pas au Bachkortostan. À la maison on parlait russe, évidemment, et quand quelqu'un demandaitå Alexander ce qu'il était, il répondait en général qu'il était russe.