Je suppose que mon introduction à la cruauté de l’adolescence remontait au collège, où les insultes et l’humiliation étaient monnaie courante. Les élèves du collège n’avaient aucun scrupule à traiter les garçons de tafioles sans aucune raison ou pour n’importe quelle raison. Le mot « tafiole » était une remarque dénigrante adressée à n’importe quelle personne ayant une attitude qui ne correspondait pas à la norme. Par exemple, si un collégien choisissait un autre instrument que la guitare, on se moquait de lui en disant que c’était une tafiole. Choisir de jouer au football plutôt qu’au football américain – tafiole. Choisir la cuisine plutôt que la menuiserie – tafiole. Même certains garçons qui suivaient des cours d’anglais renforcé étaient moqués, ce que je trouvais totalement absurde étant donné que tout le monde suivait des cours d’anglais, alors pourquoi quelqu’un deviendrait-il une tafiole parce qu’il était assez intelligent pour suivre des cours plus approfondis dans cette matière ? Insensé ! Le collège était une période insensée !
— Ellis, dis-moi exactement ce que tu veux faire ce soir.
Il me regarda avec la même anxiété que celle qui l’avait habité ces vingt dernières minutes.
— Je… je ne sais pas… des trucs.
Ces balbutiements ne me convainquirent pas qu’il était prêt à avoir une relation sexuelle.
Je décidai de mettre des mots sur ce qu’il était, selon moi, trop fier pour admettre.
— Tu n’es pas prêt à coucher, n’est-ce pas ?
Il regarda le lit, puis baissa les yeux au sol.
— Non… peut-être… je ne sais pas, répondit-il d’une voix presque inaudible.
Oh, putain ! fut ma première pensée. Je ne m’étais jamais considéré comme un homme dominateur. Je pouvais gérer les personnes vierges du moment que le désir était mutuel et que mon partenaire potentiel était gay. Mais, Ellis ? Je n’étais pas sûr que lui-même sache s’il était gay.
— Comment savoir si on a raison ? Comment savoir si on a choisi la bonne personne ?
Il posait cette question par pure curiosité ; il aimait sa sœur et savait parfaitement que Lori était la bonne personne pour elle.
— On ne sait pas. Pas vraiment. J’ai attendu huit ans pour saisir ma chance en amour et j’étais terrifiée. Mais la vie consiste à prendre des risques et à croire en quelque chose qui nous dépasse. J’aime Sara et ma patience a payé. Elle me chérit, me protège et m’aime avec plus de dévotion que je n’aurais pu l’imaginer.
— J’aimerais avoir une relation comme la vôtre, admit Ellis.
— Les relations sont à deux sens, Ellis. Si je sais une chose, c’est que vous devez vous parler, toi et cet homme mignon avec des lunettes.
Certaines familles sont naturellement affectueuses ; ce n’était pas le cas de la mienne. Nous ne nous prenions pas dans les bras. Nous ne parlions pas de nos sentiments. J’ai appris très tôt à prendre sur moi et à encaisser comme un homme. Évidemment, en prenant de l’âge, j’ai eu de plus en plus de mal à comprendre ce cliché. J’avais besoin d’affection. J’avais envie d’un câlin de temps en temps, quand je tombais et m’écorchais le genou, mais ce n’était pas admissible dans notre famille. Nous ne pleurions pas à cause d’une coupure ou d’un hématome ! Du moins, pas en public.