On ne meurt pas d'ennui, releva Paddy. On meurt d'envie, d'angoisse ou de remords, parfois aussi d'amour, si j'en crois mes chansons. L'ennui est une illusion pour gens riches.
(Les irlandais) savaient trés bien que l'Empire Britannique avait été cimenté de leur sang, et que partout où fleurissent l'aventure et la gaîté, il y avait un fils d'Erin à prendre sa part des risques et des bénéfices. Ils aimaient les Français pour la spontanéité et la vivacité de leur esprit. Ils aimaient les Allemands pour leur solidité méthodique et leur fidélité, plus encore peut-être pour ces contrastes où les rêves obscurs se mêlent à l'action pure.
Ainsi à travers l'immensité murmurante des marais de Murnau, se cherchaient les corps et les âmes.
Mon oncle se coiffa d'un casque d'écoute et m'en ajusta un autre. La magie commença. Les mains du commandant Guérineau officiaient, manipulaient les boutons de réglage et les commandes de connexion. Sur les voyants lumineux défilaient des chiffres et sur le tableau de verre dépoli des étoiles errantes luttaient avec un serpent vert. Le regard de l'opérateur s'était intériorisé. Il écoutait intensément et j'entendais avec lui des modulations étranges. Parfois émergeait le chant saccadé d'une émission télégraphique, que lui seul comprenait. Sur la table du pupitre, il consultait une liste d'indicatifs lui permettant d'identifier l'émetteur. Tout à coup surgit une voix brumeuse qui dévidait des pronostics météorologiques. À mon intention, mon oncle inscrivit sur un bloc-notes : « C'est le Jacques Cartier, station météo de l'Atlantique. Regarde le tableau de verre, nous allons le localiser ». Un point lumineux scintilla plus fort. Il était là, à plus de trois mille deux cents kilomètres de nous.