Par-dessus l’agitation bruyante des quais, ils distinguaient toutefois maintenant le murmure entêtant de la houle, un grondement troublé par la régularité métronomique de l’impact puissant des rouleaux contre les digues de la redoute du Fer à cheval. Les rochers et les courtines leur interdisant d’avancer davantage, une barge les convoya de l’autre côté de la Penfeld, sur les quais de Recouvrance. Alors enfin ils firent la connaissance de l’Atlantique, ils s’arrêtèrent à quelques pas, les flots écumaient leur colère. Les piaillements des goélands sifflaient à leurs oreilles, les oiseaux rivalisaient d’audace en planant au gré des courants ascendants et du vent d’ouest qui balayait la côte déchiquetée au-delà du Goulet. Gabriel posa sa valise et se risqua encore un peu plus près du parapet, les embruns lui fouettaient le visage, l’écume bouillonnante giclait en grandes gerbes blanches qui retombaient en un claquement puissant sur le sol pavé de la jetée. Il était là, au-delà de l’étroiture de la rade, l’océan, immense, majestueux. Gabriel scruta l’horizon, mille pays l’attendaient sûrement mais il pensa encore à Mathilde. Il essaya de chasser son image et emplit ses poumons de cet air iodé que son corps apprivoisait pour la première fois, les sinus lui brûlaient, son nez coulait abondamment.