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Citation de dourvach


Sa mère se dirigeait vers lui, desséchée, frêle, l'image même de la colère et de la haine.
— J'ai appris que tu avais tué, Moustafa. J'ai appris que tu avais égorgé trois miséreux, au lieu de Derviche ou de ses fils. Les gens, Moustafa, disent que tu n'oses pas tuer Derviche. Ils disent que tu es incapable de tuer un Sarioglou. Ils disent que, lorsque tu vois Derviche, ta main tremble si fort, mon faucon, que tu ne peux même pas tirer sur lui. S'il s'agit là de calomnies, puisse le péché en retomber sur ceux qui les répandent ! Mais dans la bourgade, on ne parle plus que de cela, mon petit, mon brave Moustafa, on dit que ta main tremble. Et que ton fusil te tombe des doigts, à force de trembler, dès que tu aperçois Derviche.
Moustafa bey se taisait. Il était incapable de redresser la tête et de regarder sa mère.
— Le cadavre de Mourtaza a pourri dans sa tombe, il est tombé en poussière. Pourtant, aucun Sarioglou ne l'a rejoint dans la mort jusqu'ici, Moustafa ! En ce moment, mon petit, dans sa tombe, les ossements de ton frère sont douloureux, ton frère qui n'a pas été vengé !
Elle avait l'air méprisant, impitoyable. ses lèvres tremblèrent, s'amincirent, ne formèrent plus qu'une ligne.
— Est-ce donc si difficile, Moustafa, de tuer un Sarioglou ? Est-ce donc si difficile ? Combien de jours, combien de mois se sont-ils écoulés depuis que Mourtaza dort sous la terre noire. J'attends, Moustafa. Je n'en ai plus pour longtemps, mon petit. Comment pourrais-je aller retrouver mon cher Mourtaza, que lui dirais-je ? Est-ce qu'il faudra que je lui dise, tu vas encore attendre sous la terre noire, Mourtaza, attendre bien longtemps, car il est très difficile de tuer un Sarioglou. Nous tuer, nous autres, c'est facile. Mais les tuer, eux, c'est difficile. Quand j'irai rejoindre Mourtaza sous la terre noire, que faudra-t-il lui dire ? Qu'en dis-tu, Moustafa ?
Elle continua à parler. Longuement. Avec tristesse et colère. Puis elle s'éloigna, le dos voûté, en se tenant les reins des deux mains.

[Yachar KEMAL/ياشار كمال , "Meurtre au marché des forgerons" / "Demirciler çarşısı cinayeti", Istanbul, 1973 — traduit du turc par Münevver Andaç, éditions Gallimard (Paris), 1981 — chapitre 24, pages 298-299 en coll. de poche "folio"]
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