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Citation de EtienneBernardLivres


Juste cette après-midi-là, je travaillais, heureusement pour moi, dans une galerie latérale qui monte presque comme une échelle.
Tout d'un coup, je me sens renversé, roulé, emporté, heurté contre les parois de la galerie, comme par un tourbillon.
J'essaye de m'accrocher... il me semblait que je tombais au fond du grand puits... Non, que je me disais pourtant, et, au moment où je me disais cela, je vois passer devant moi une langue de feu, et puis toute la galerie devient feu, et c'est dans du feu que je tourbillonne maintenant… Est-ce que je serais tombé jusqu'en enfer, que je me dis, après être tombé dans le puits ? Puis j'entends un bruit un vacarme, un écroulement comme des myriades de coups de canon, de coups de tonnerre, et quelque chose encore de plus fort... On eût dit que la terre s'ouvrait...
Je continuais à rouler au milieu du feu, de la fumée qui m'aveuglait et m'asphyxiait.

J'entrevoyais les galeries qui se crevassaient, les pierres qui tombaient, qui se brisaient... Je me remis un peu ; Je vis bien ce que c'était ! Je dis : Je suis bien heureux d'en être quitte, mais ce sera pour plus tard ; et je pensais à ma femme et à mes trois petits enfants.

J'entends toujours les explosions du grisou, les éboulements, puis le clapotement de l’eau.
« Allons, me dis-je, les digues sont brisées ; je ne suis pas brûlé mais je serai noyé. » Comme j’essayais de reconnaître où j’étais après un pareil étourdissement, nos lampes étaient brisées et éteintes, cela va sans dire, je sens une jambe qui remue.

- Qui est là ? Dis-je.
- C’est moi, François Pichot.
- et moi, Jacques Brunehaut.
- Viens donc, l’eau arrive.
- Je ne peux pas, je n’ai plus de jambes ; il me semble que je suis scié en deux.

Je veux le toucher ; mais alors je m’aperçois que mes mains me brûlent comme du feu et aussi ma figure.
Allons, me dis-je, je dois être un joli garçon. Je m’enveloppe une main avec mon mouchoir. Je veux le prendre.
- Hola ! Là ! La ! Crie-t-il, non, laisse-moi.
Mais l’eau monte… Entends-tu son clapotement ?
Je suis sûr qu’elle est tout près.
- J’aime mieux mourir. Sauve-toi, laisse-moi.
Mais non, je ne laisserai pas comme ça un camarade.
Je me penche, je veux le tâter !… Je sens une poutre qui pesait sur lui en travers… C’était elle qui le coupait comme ça… je la soulève ! Mes mains me faisaient si grand mal que mes dents se serraient à se briser. Patatras, voilà un éboulée,nt ! Et la poutre retombe plus lourdement sur lui.

Et François Pichot qui crie :
- Laisse-moi ! Laisse-moi ! Oh ! Mon dieu !… Mon Dieu !… tue-moi ! … Tue-moi !… Mes reins, mes jambes, je suis scié ! Aoh !
Et il râlait.
L’eau montait. J’en avais jusqu’à mi-jambe ! Je ne pouvais plus rien pour lui, je tâchais de m’orienter et de m’éloigner… Au milieu des éboulements, des détonations du grisou et de l’air comprimé par l’eau, j’entendais encore sa voix qui criait.

Le frisson me passait à travers le corps ; et je me disais : « Tu vas peut-être bientôt en dire autant, et je voyais comme dans un rêve ma femme et mes trois petits enfants qui m’attendaient. Je heurte un autre homme ; celui-là ne remuait plus. Je le secoue, il ne dit rien. Je le prends par un bras et je le traine en le heurtant aux poutres, aux pierres, à l’angle des galeries… De temps en temps je roulais sur lui ; et il me semblait qu’il m’éteignait comme pour m’emporter avec lui dans la mort… Allons ! Je tombe une dernière fois.

- Hola ! Là ! Crie une voix.
- Qui est là ? 
C’est moi ! Pierre Pichot.
- Qu’as-tu, toi ?
- Moi, oh ! Je n’en sais rien ! J’ai une jambe qui plie sous moi et mon frère François ?
- As-tu vu mon frère ? Me dit-il.
- Viens toujours, allons, viens !
- Qui est-ce qui râle donc si fort ?
Je ne lui dis pas que c’était son frère.

Je lâche mon mort ou celui qui en faisait mine, et je prends Pierre Pichot dans mes bras. Il était lourd sans que ça parût… Et l’eau montait !… C’est qu’il fallait se presser… Puis je m’y reconnaissais plus. Aux angles des galeries, les cheveux m’en dressaient sur la tête ! Si j’allais me tromper !… heureusement que je connais bien la mine et que du premier coup je m’étais dit :
"Il faut tâcher d’aller au fond de la galerie Sainte-marie."
Je portais toujours le paquet… Glouglou ! Faisait l’eau. Et puis, il y avait des éboulements, des explosions… l’eau arrivait vite.. j’en avais déjà jusqu’à mi-jambe, de temps en temps je glissais sur quelque chose de mou.
Allons ! Que je me disais ! Voilà un camarade qui a son affaire finie…
Je tombais, je me relevais, je tombais encore, je me revenais, et chaque fois que je tombais, je pensais à ma femme et mes trois petits enfants. Me vois arrivé…. Bon ! Il y a un éboulement ! Ah ! Dame ! Là, je crus que c’était fini. Je n’avais plus la force de porter le camarade. Je tâte… Je tâte… L’eau montait… Je la sentais au ventre… Elle montait vite… Pas une minute à perdre, ou c’était fini… A force de tâter, je trouve un trou.
Allons ! Dis-je ! Faut espérer.
Je m’écorche la tête. Je sens des clous qui me raclent comme une herse, je m’enfonce, je pousse toujours ; j’étouffais, j’étais serré comme dans un étau et l’étau semblait se serrer toujours plus fort… Je pousse toujours, j’y laisse de ma peau, mes vêtements accrochés, ça ne fait rien… Quand je me sens dégagé, je dis :
Il faut sauver le camarade.
Il criait de l’autre côté :
- L’eau monte ! L’eau monte !… Je vais me noyer…
- Ne m’abandonne pas ! Oh ! Je t’en prie ! Emporte-moi.
- Oui ! Oui ! Sois tranquille.
Puis je me rengage, par la tête cette fois, dans le trou ; je sens les clous, les éclisses de bois… Est-ce que je sais, moi ! Et mes mains qui me causaient ! Celles là, par exemple, je ne les sentais plus. Je croyais avoir à la place deux charbons en feu. Je le tire par le bras, je tâche de le guider… C’est qu’il y avait sa mauvaise jambe… il n’était point commode… Je tire dessus, mais c’est bien une autre chanson maintenant !

"- Non ! Non ! Laisse-moi mourir !.. J’aime mieux mourir ! Holà ! Là ! Mais tu veux donc m’assassiner !"

Et j’étais obligé de tirer de toutes mes forces. A un moment il me semble que ma main droite s’est arrachée de mon poignet. Je sens comme un fer chaud me traverser… J’en grince des dents à les casser et je pousse un cri si lugubre qu’il me fait peur… C’était lui qui m’avait mordu pour se débarrasser de moi.
"- Ah ! Tu ne veux pas te sauver !" Que je lui dis. (…)

Il me sembla que le gouffre m’attirait, que tous les fantômes que je voyais se jetaient sur moi et pesaient sur mes épaules, et courbaient ma tête et saisissaient mes membres. Je fis un effort désespéré. Il s’accrocha à mon genou, puis à ma ceinture.
Mais ce qu’il y avait de plus terrible, c’est que nous n’étions pas seuls. Nous voyions partout des esprits. Vous savez, il y en a dans la mine, et qui sont jaloux. Dans le noir qui nous entourait, il nous semblait que les formes noires de spectres, des têtes de morts, des démons bien plus terribles que ceux qu’on voit dans les églises nous entouraient, s’asseyaient entre nous, nous pressaient entre leurs bras monstrueux et nous entraînaient. (…)
A un moment, une voix cria :
J’ai faim ! Je veux te manger.
Je me sentis alors saisi par un homme qui me mordait à l’épaule. Je me débattis, mais il me tenait avec une énergie telle que je ne pouvais pas me débarrasser de lui. Il enfonçait toujours ses dents dans ma chair. Mes mains n’avaient plus de force… Je crus mon dernier moment arrivé. Il y eut une mêlée, je roulais par terre avec lui… Je me sentis dégagé tout à coup ; je ne sais pas comment… je crois qu’il était mort.
De temps, en temps, il y en avait un qui disait d’une voix sourde :
Il faut nous en aller.
Où ?
Où ? Répondait-on avec le délire de la fièvre. Et alors on entendait des soupirs, des gémissements, des grincements de dents, des cris inarticulés. On sentait des corps se mouvoir et tout retombait dans l’immobilité et dans le silence.
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