« Carboville est une des cités disséminées dans le grand bassin minéral du centre de la France, où l'âpre et intelligent travail de l'homme produit la matière organique de l'industrie moderne : le fer ! et d'où il en extrait le véritable aliment : la houille ! »
« Partout la lutte acharnée de l'homme contre la nature a gravé sa sombre empreinte. L'eau est noire. Les maisons sont noires ; et au milieu des noirs visages, on ne voit étinceler que la blancheur des dents et les éclairs des yeux. »
Les fourmis descendent sous terre chaque jour sans un mot, dociles et creusant sans relâche… Ce rude labeur des mineurs est particulièrement périlleux. Chaque catastrophe minière plonge dans la désolation et le deuil la population ouvrière mais n'engendre qu'une outrancière indifférence du propriétaire de la mine ou de ses gestionnaires :
« L'accident du Puits du diable était prévu depuis plus d'un mois, annoncé, constaté par tous les hommes ayant l'habitude de la mine. Eh bien ! Non seulement la compagnie qui l'a provoqué par sa négligence n'a pas reconnu sa responsabilité, mais elle a encore arbitrairement réglé les pensions. »
Tandis que de braves employés creusent en une galerie voisine afin de rejoindre le « Puits du diable » un lieu de la mine frappé par un éboulement provoqué par un coup de grisou et où étaient ensevelis une centaine de miniers, M de Torgnac, directeur de la mine, s'insurge qu'on ait agit sans attendre ses ordres.
Il méprise ce zèle inutile et s'exprime sèchement, ôtant son cigare de la bouche : « mais il faudrait un mois ! (Pour rejoindre les rescapés) Vous n'êtes qu'un rêveur… C'est là un défaut dont vous feriez bien de vous corriger, si vous voulez faire votre chemin »
« Mais vous ne connaissez pas le dévouement des mineurs quand il s'agit de sauver leurs compagnons… »
« Des phrases ! Reprit M de Torgnac en haussant les épaules. Il n'y a rien à faire »
De ce courage outrepassant les ordres et persévérant même lorsque tout semble perdu, le miracle eut lieu et quelques mineurs ont été sauvés. Craignant pour son amour-propre, M de Torgnac s'accapare immédiatement les mérites : « Ah ! Je l'avais bien dit qu'il fallait avoir de l'espoir et tenter l'impossible ! »
Jérôme Pichot, l'un des héros de la catastrophe est reconnu par M. Onésime Macreux, propriétaire de la mine, non car il a contribué aux secours mais car sa fille, Fanny, fut adoptée par lui à l'âge de 6 ans afin d'en faire une maîtresse bien éduquée et serviable bien plus tard à l'âge adulte :
« - Tiens, c'est toi Jérôme Pichot ?
- Oui, répondit Jérôme Pichot, en baissant la tête.
- D'où viens-tu ?
- de chercher mon fils
- Il est au nombre des victimes ?
- Oui, la mine me l'a pris
- Que veux-tu, mon pauvre Pichot, le grisou est traître !
- C'est de sa faute ! Dit Jérôme Pichot, en montrant M. de Torgnac
- Qu'est-ce que tu veux dire ?
- Il a laissé s'amasser la poussière de houille, ça a pris feu.
- Voilà les contes que vous inventez (…) Vous aimez mieux mettre l'accident sur le compte de votre ingénieur que sur celui de votre imprudence. (…) »
Puis le raille de la façon la plus humiliante qui soit, en lui rappelant qu'il possède sa belle et jeune fille :
« - Tu ne demandes pas de nouvelles de ta fille (Fanny) » reprit M. Onésime Macreux en riant.
- Je sais bien qu'il est trop tard, dit Jérôme Pichot, d'une voix concentrée
- Tu es un niais, dit Onésime Macreux en donnant une grande tape de sa large main sur l'épaule de Jérôme Pichot, comme s'il avait voulu faire pénétrer en lui, de vive force, au besoin, ses excellentes raisons.
- Ne parlons pas de ça !
- Je suis sûr que tu es dans la misère, que tu meurs de faim avec tes six enfants, et puis tu aimes bien à lever le coude (…) Est-ce que tu crois que ta fille n'est pas plus heureuse que si elle était restée à travailler ici du matin au soir ? (…) Tu n'as pas envie de voir ta fille ? » (…) Ne voulant la montrer que pour l'écoeurer davantage…
Et concluant, en une hilarité méprisante : « Ces imbéciles, ça se plaint toujours, et si vous voulez faire leur bonheur, ça refuse. »
Et il haussa les épaules, en riant de son grand rire. Jérôme Pichot resta quelques instants immobile, regardant les deux ombres noires de M. de Torgnac et de M. Macreux qui disparaissaient en riant »
Abasourdi par les évènements, Jérôme Pichot s'assomme d'alcool et rentre en lourd ivrogne en son domicile, parle brutalement à voix haute sans se soucier de ses enfants qui sanglotent en l'écoutant :
« Pourquoi pleures-tu ?
Oh ! François !… François ! François ! » (son fils décédé dans la mine)
Et puis, au bout de quelques instants, il ajouta :
Eh bien ! Il est mort, tant mieux !… Au moins il ne souffrira pas comme Pierre, il ne souffrira pas comme nous autres… Est-ce qu'il ne faut pas bien mourir un jour ou l'autre ? Dans notre misère, à nous, depuis la naissance jusqu'à la mort, tout le bénéfice est pour ceux qui meurent. C'est autant de gagné sur la souffrance. »
Aucun éclaircissement n'émane des journaux, traitant des faits sans rechercher les causes du drame. Ils louangeront au contraire la dévotion de l'épouse du propriétaire et de ses amies, qui se sont empressées de s'afficher aux côtés des rescapés à l'hôpital : « Ces femmes dévouées affrontant les mauvais temps pour aller porter des secours aux malheureuses victimes de cet affreux accident (…) Ce ne sont point les femmes de ces mineurs qui donneraient un si généreux exemple, si Mme Macreux, Menèfle et de Nicarète avaient été culbutées au bois par leurs chevaux emportés. »
L'immense mascarade se met en oeuvre, on ne plaint à peine plus les mineurs tant l'on admire le discours du propriétaire tenant à démontrer toute sa bonté magnanime devant une assemblée de mineurs, forgerons et de journalistes, ayant même l'outrecuidance de remettre devant des yeux ébahis, des insignes et médailles à M. de Torgnac, l'exécrable directeur et ingénieur en chef de la mine.
La religion complète parfaitement l'ordre et la soumission : « il faut de la religion pour le peuple » devise du propriétaire.
Au lieu de paroles réconfortantes, les mineurs sont accablés de propos culpabilisants : « il (le prêtre) déclara que ce cataclysme était une punition du ciel, punition de leurs pensées rebelles et impies, punition de leurs fautes, punition de l'oubli de leurs devoirs religieux, un avertissement souverain de la colère du ciel contre eux, prête à se manifester d'une manière plus terrible encore, s'ils ne savaient pas mériter sa clémence »
Et quel navrant retour à la morne et dure réalité : non seulement les pensions attribuées aux rescapés et accidentés de la catastrophe sont dérisoires, les maladies sont amoindries par un médecin corrompu mais il faut encore passer par un épicier obligatoire pour s'alimenter : « Payer plus cher et avoir plus mauvais qu'ailleurs » et pour lequel nombre de petits crédits sont cumulés, les plus endettés étant chassés et humiliés : « Eh bien ! Avez-vous de l'argent, vous ? La malheureuse essuya ses yeux. « Non ? Eh bien ! Rien pour vous. Allons ! Débarrassez le plancher et vivement. » « Mais mes enfants ? Essaya de dire la malheureuse. « Allons ! Pas de tout ça ! Est-ce que nous sommes chargés de nourrir les enfants des soulards ? Ton mari était encore saoul hier ! Décampe, si tu ne veux pas que je t'y aide. »
L'une des clientes s'est laissée abuser par l'épicier pour quelques facilités de crédit mais eut le malheur prévisible de tomber enceinte. L'épicier lui demande impunément, devant ses clients, quand est-ce que cette fille perdue compte se débarrasser de ce gênant être à venir ? L'intéressée s'emporte, aucune autre cliente ne prend sa défense de crainte de se voir refuser à son tour des crédits ou rabais et voici comment se poursuit le drame :
« Il me met enceinte. Non seulement il m'abandonne, mais il m'insulte. Oh ! alors je lui dis toutes ses vérités. Il veut m'assommer. Je prends un litre d'eau-de-vie pour me défendre. Il m'accuse de l'avoir volé. Il n'ose pas cependant me poursuivre comme voleuse. Il y a un moyen bien simple. Je viens à Lyon (Car l'épicier l'avait obligé à s'y rendre : « Va à Lyon. Il y a là des maisons qui prennent des jeunes filles pour pensionnaires avec certificat de la police ») Il me fait arrêter. Qu'ai-je fait ? — Vous êtes enceinte ? Oui. — Avez-vous des moyens d'existence ? —Non. — C'est bien ! En prison. — C'est donc un crime de ne pas avoir des rentes ? — Allons ! assez discuté ! On me met en prison ; on m'y fait rester huit jours ; puis la police revient, me prend, me dit : — Vous êtes mineure ! Vous n'êtes pas dans vos meubles. — Non ! — C'est bon ! Nous allons vous inscrire sur le registre des prostituées et vous mettre dans une maison publique. — Mais je ne veux pas, moi ! — Eh bien ! Retournez chez vous ! — Mais je ne veux pas ! — Alors taisez vous. »
Des préliminaires à la grève ressortent de ce cumul entre le sinistre quotidien et la catastrophe minière. Les revendications sont insignifiantes : il s'agit principalement de laisser le plein contrôle aux employés d'un fonds alimenté par leurs salaires et destiné, en autres, à verser des pensions en cas d'accidents de travail. M. Onésime Macreux rejette tout fermement avec son habituel sarcasme, puis, capricieusement, accepte de faire voter les employés de sa mine, pensant que ce referendum populaire se transformerait en un vote d'approbation en sa faveur et qui écraserait toutes demandes des délégués. Mais il s'est surestimé, les mineurs ont voté pour la reprise de la caisse et le propriétaire persiste, refuse que les ouvriers aient entièrement la libre disposition sur ce fonds car il en détourne habituellement une partie pour subventionner le clergé local, lequel en contrepartie, prêche la résignation muette aux mineurs à leur misérable sort.
Une douce et paisible grève commence et n'inquiète nullement le propriétaire. Il prépare et soigne, depuis son fastueux salon parisien, en compagnie d'un journaliste, son image publique :
« - J'ai remis en place les prétentions des ouvriers. Demain tous les lecteurs de Lorettes-Journal connaîtront leur ingratitude »
- Je vous remercie -
- J'ai dit : "M. de Torgnac, leur sauveur, un homme auquel on devrait élever une statue (…) Un homme qui porte encore les traces des blessures qu'il a reçues en allant porter secours… "
- Diable ! Diable ! Dit M. de Torgnac, c'est un peu exagéré — Comment ! Vous êtes mauvais juge en pareille matière — Oui, mais je n'ai pas été blessé — Vous eussiez pu l'être — Sans doute — Eh bien ! C'est la même chose. J'ai montré toute l'insanité des ouvriers… J'ai montré que leurs grèves ruinaient la France… J'ai dit que les forges et les mines de Carboville perdaient plus d'un million par jour.
- Vous avez eu tort (rétorque un conseiller économique du propriétaire qui n'aime pas l'exagération sur la perte de millions, information fausse et qui exciterait au contraire la frénésie des grévistes)
- Ah ! C'est bien égal au patron ! Pourvu que je tape sur les ouvriers et que j'amuse ses lecteurs, c'est tout ce qu'il lui faut… Eh bien ! Tant mieux. Plus ça flambe, mieux ça vaut (…) Eh ! Parbleu, plus il y a d'accidents, de malheurs, d'inondations, d'incendies, de grèves ; plus la pauvre société a de plaies et de bosses, plus il y a de lignes, plus les reporters gagnent, plus les journaux se vendent, et tout est pour le mieux dans le meilleur des mondes possible, aux bureaux de rédaction de Lorettes-Journal. »
Avec la bénédiction de l'opinion publique, il semble tout à fait approprié qu'un général de l'armée intervienne brièvement pour « maintenir l'ordre » en un sens très extensif, signifiant : « Je lui ai alors demandé ce qu'il entendait par ordre (un meneur s'adressant au général) Il m'a répondu que, pour lui, l'ordre existait tant qu'il ne nous verrait pas et nous entendrait pas ».
On recherche et disperse tout regroupement en lieu clos, on enfonce les portes de maisons, emprisonne arbitrairement les meneurs.
Un affrontement idéologique divise les mineurs, les uns veulent négocier patiemment sans violence, les autres ne veulent communiquer que par la force :
« Ce n'est pas tout ça, citoyens, dit-il, en prenant la place de Pierre Ringard. Vous voyez bien que vous perdez votre temps avec toutes ces réclamations. le citoyen Ringard vient de parler de la loi ; mais, est-ce qu'il y a une loi pour nous ? Que nous soyons en dedans ou au dehors d'elle, c'est toujours la même chose ; nous sommes toujours sûrs d'être condamnés. Est-ce que c'est dans la loi que M. Onésime Macreux ait à sa disposition toute une armée ? Il a dit au ministre : envoyez-moi donc une armée, comme je te dirais : donne-moi une pipe de tabac. Qu'est-ce que ça fait ? Est-ce que M. Onésime Macreux n'est pas de ceux qui font les lois ? Il en fera une exprès pour lui, si ça lui convient. Qu'avons nous à faire, sinon à répondre à la force par la force !
- Bravo ! bravo… !
- Ce qu'il faut, c'est l'abolition des compagnies, des actionnaires, des patrons. La terre au laboureur, l'outil à l'ouvrier, la mine au mineur.
- de l'action ! Mais une action sans but n'est que de la folie… C'est l'action de la machine, parce qu'une force étrangère la pousse. Avant d'agir, l'homme doit savoir ce qu'il fera.
- Il a vu le général, il s'est entendu avec lui.
- Traître ! Vendu !…
- Sauvez-vous - voici les soldats ! (…) »
Les arrestations arbitraires enflamment l'impatience des grévistes, un nouveau meneur anarchiste est substitué et tâche de rallier la cause de Jérôme Pichot, ce colosse, ce géant qui représente à lui seul l'âme héroïque de toute la population minière, afin de s'en servir de bras armé, en provoquant malignement son amour-propre : « Torgnac te doit ton fils - Eh bien ! Si tu ne le venges pas, moi je vais te dire : tu es un lâche ! Jérôme, tu affliges tes amis. Ils disent : Jérôme se déshonore (…) »
Il souffle la braise partout où il peut, fait vivre les flammes et laisse s'envoler les cendres en contemplant le spectacle en retrait d'un rire sardonique. le meneur est corrompu à cette fin par le direction : favoriser l'anarchie, le chaos pour justifier de lourdes représailles derrière réduisant au silence toutes revendications.
Les bestialités commises ne sont pas non plus entièrement excusables par cette manipulation. Il y a d'atroces lâchetés de sang et de chasse à l'homme : l'épicier est tué par un groupe de femmes, dont l'une brandit ses yeux crevés comme étendard, M. de Torgnac est encerclé, torturé, humilié, prié de se mettre à genoux… Jérôme Pichot le sauve et éparpille la foule car il ne veut pas : « qu'on dise que le peuple est aussi lâche que lui… »
Mais il ne fallait pas attendre la moindre reconnaissance de ce lâche : Jérôme Pichot sera emprisonné en tant que principal instigateur de cette foule haineuse qu'il a voulu tempéré en vain sans que M. de Torgnac n'évoque son acte héroïque qu'il renie entièrement.
La justice, ce dernier espoir de rétablir la vérité, est tout aussi dénaturée que les autres institutions : tout depuis l'interrogatoire à la cour d'assises est marqué d'une grossière et frappante partialité. Tout se déroule en une exécution brutale, vive et rapide. On déforme les propos à l'interrogatoire, on coupe la parole des accusés… Les avocats à la défense ne plaident que de timides circonstances atténuantes et réfutent la vérité de crainte d'attirer les châtiments du propriétaire et du gouvernement de Napoléon III qu'il représente indirectement.
Tout est perdu, on festoie l'écrasante victoire en portant un toast à l'empereur : « Vive l'empereur ! » tel est le nom du dernier chapitre.
Tout au long du roman se trouve des chapitres entiers consacrés à l'opulent et fastueux train de vie du propriétaire et l'on suit notamment la rébellion de Fanny, la fille adoptée et arrachée à la famille de Jérôme Pichot par M. Onésime Macreux.
Rongée d'inquiétude et de remords à la suite de la catastrophe minière, elle part à la rencontre de sa famille qu'elle n'avait plus vu depuis 10 ans mais son père, Jérôme Pichot, la repousse brutalement comme si elle était porteuse de la peste, lui reproche sa trahison d'une façon toute irrationnelle car elle avait 6 ans lorsqu'elle fut adoptée mais qu'importe, il est écoeuré de la luxueuse vie qu'elle mène.
En errant désespérément en dehors de la mine, sa mère qui la reconnait, pousse un cri, lui tend les bras mais les autres femmes crient vengeance : « Hors d'ici l'infâme ! Chassons-là ! — Elle ose venir ici ! — Ça s'engraisse de notre sueur — Ça se goberge avec ceux qui tuent et emprisonnent nos hommes ! »
Sa mère est obligée, elle aussi, de la renier :
« La Femme Pichot retomba agenouillée avec cet air de profonde résignation dont la misère.
Mais alors les femmes, se grisant de colère, s'enivrant de leurs propres menaces, en proie à l'effrayante obsession que produisent la douleur et l'impuissance de la vengeance contre celui qui l'a produite ; cherchant un bouc émissaire qui trompât leur fureur ; s'inquiétant peu de l'objet de leur haine pour ne songer qu'à l'assouvir ; trouvant dans Fanny le souvenir de la flétrissure que pouvaient imprimer à leurs filles la toute-puissance de M. Onésime Macreux ; voyant en elle, avec leurs sauvages préjugés catholiques sur la morale, une sorte d'emblème, d'image vivante du déshonneur d'une femme de leur plèbe ; y mêlant ce sentiment d'envie qui ferme au fond de tout coeur de femme contre une femme plus jeune, plus belle, mieux vêtue qu'elles ; la regardant comme la complice de M. Macreux dans l'oeuvre implacable dont elles pleuraient en ce moment-là même les victimes ; la considérant par une sorte d'étrange rapprochement hyperbolique, comme une partie de lui-même ; elles ne se contentèrent plus seulement de l'ordre d'expulsion qu'elles avaient formulé tout d'abord, et leurs cris de menace se transformèrent en un hurlement d'implacable vengeance (…) A mort ! A mort ! »
Fanny parvient à se réfugier à temps au château du propriétaire et se fait sermonner, menacer, abandonnée de tous côtés :
« Il rugissait de colère de voir ainsi un moucheron, un petit insecte assez gracieux qu'il aimait comme un petit meuble d'un usage agréable, refuser absolument de remplir les fonctions pour lesquelles il était fait, et fuir, et se dérober à lui sans qu'il pût même avoir la compensation de le briser.
Je t'ai fait élever depuis l'âge de cinq ou six ans, comme une demoiselle, disait ta mère.
Oui, pour faire de moi votre maîtresse.
Précisément. Or, j'ai eu de la patience, j'ai attendu que tu fusses bien formée. Tu as seize ans, et voilà cinq ou six mois seulement que tu commences à remplir le but que je m'étais proposé. Comprends-tu maintenant que tu as un capital à amortir et que six mois ne suffisent pas pour cela ? »
Il l'effraie encore en la menaçant de l'expédier en un « bureau des moeurs » séquestrant les filles perdues.
C'est finalement à l'issue d'une discussion avec une haute courtisane expérimentée que Fanny acceptera son sort : « Moi, je me prostituerais pour le plaisir de me prostituer ! En vérité ! C'est la plus grande sensation d'orgueil qu'une femme puisse goûter ! Mais, triple niais, tu m'adores et tu m'achètes en mettant ta fortune à mes pieds. C'est bien, tu as acheté ton esclavage. Tu te ruine pour être valet. Oh ! Tu me nommes bien : ta maîtresse ! Je le suis comme jamais maître n'a possédé esclave ! Je suis la maîtresse de chacune de tes sensations, de tes idées, de tes volontés ; je tiens ta vie entre mes mains, et, si je le veux, je la jetterai dans l'infamie, je la jetterai dans le déshonneur, je la jetterai dans la mort ! Il m'achète et c'est moi qui le possède ! »
(...)
(Suite en commentaire - dépassement du nombre de caractères)
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