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Citation de EtienneBernardLivres


Puis le médecin entra dans son cabinet.
Une jeune jeune femme, traînant par le bras un petit garçon de sept à huit ans, le suivit.
— Eh bien, qu'est-ce qu'il a, le Durand ?
— Voilà le petit, il n'a que huit ans, et il ne porte pas son âge ; voyez-vous, c'est dur pour lui de passer huit heures par jour à traîner quatre pattes, avec une chaîne passée entre les jambes, des courriaux qui pèsent bien lourd et par des chemins raboteux... il a les reins a vif.
— Voyons ça !
La femme Durand enleva la chemise noire de l'enfant et découvrit autour des reins une plaie telle qu’en fait le collier aux épaules des chevaux.
— Allons ! allons ! Faudra du repos ! Ça ne sera rien, voyez-vous, il ne faut pas se plaindre.
(…)

Le défilé continua. Il y avait des jeunes filles qui s'étaient blessées en alimentant les gueulards des hauts-fourneau.
Le doux médecin leur démontra qu'elles étaient bien heureuses de travailler à la surface du sol et non dans les profondeurs des mines ; qu'en Angleterre et en Belgique des jeunes filles y travaillaient encore comme des hommes ; que leur travail, du reste, était une excellente gymnastique. Il fallait seulement avoir la force de le supporter, sinon il vous tuait ; voilà tout.

(…)

C’était ce jour là que devaient être réglées les pensions.

Le malheureux Jacques Brunehaut s’appuya sur le bras de sa femme, et en se traînant se rendit dans le cabinet où l’attendait M. De Torgnac comme délégué par M. Macreux à l’administration de la caisse de secours.

- Eh bien ! Votre situation est réglée. Voici : vous aurez encore pendant un mois un franc par jour : au bout de ce temps, vous n’aurez plus le droit qu’à votre pension.
Elle sera de soixante-seize francs par an.

- Mais, Monsieur, dit le malheureux Jacques Brunehaut, comment voulez-vous que je vive avec ça ? C’est la mort pour ma femme, pour mes trois petits enfants, pour moi ! Je ne pourrai plus jamais travailler à la mine. Voyez mes mains, elles sont toutes tordues, déchiquetées, je ne suis plus maître de mes doigts ; je n’ai plus de reins… Les jambes plies sous moi.

Le malheureux pleurait ; ces larmes sortant de ces yeux dont les paupières avaient été brûlées, ce visage tout couturé de cicatrices, ces mains difformes implorant pitié ; ces jambes tordues, près de s’agenouiller afin de demander la vie pour sa femme et ses petits enfants ; cette femme jeune qui sanglotait : ces trois petits enfants dont un sur les bras : M de Torgnac regarda et vit tout cela à travers son lorgnon d’or.

- C’est inutile de pleurer, c’est comme ça, dit-il, et rien ne pourrait y changer quelque chose. Vous avez quitté deux fois la mine pour voir si ailleurs vous seriez mieux. Vous avez perdu vos deux premières mises à la société de secours. Voilà trois ans seulement que vous êtes revenu. Nous avons même un peu forcé le prorata de votre mise. Vous n’avez rien à réclamer. Finissons-en.
(…)
- François Pichot disparu, pas de femme, pas d’enfants ; rien à donner, dit M de Torgnac en lisant un papier. Pierre Pichot ; aveugle, bien ; une jambe tordue, ne pouvant plus guère servir, dix-neuf ans ; mise à la caisse de secours depuis l’âge de quatorze ans : cela fait quatre ans ; incapacité absolue de travail, cela fait cent francs par an.

- Que voulez-vous qu’il fasse avec cent francs ? Dit Jérôme Pichot, laissant tomber ses bras de stupéfaction.

- Eh bien ! Ça le regarde, reprit M. De Torgnac, en fixant son lorgnon d’or impassible sur Jérôme Pichot.

- Mais pensez donc, Monsieur ; sur douze enfants, j’en ai quatre qui sont morts à la peine. Sauf l’aîné, malheureusement tous ressemblent à leur mère qui n’est point forte, au lieu de me ressembler à moi, ajouta Jérôme Pichot, en donnant sur sa large poitrine un coup de poing qui résonna profondément. La mine est trop dure pour eux.

- Eh bien ! Que voulez-vous dire ?

- Eh bien, je disais donc : il sait bien que nous le garderons, mais nous n’avons déjà point trop pour nous. Et quand nous serons morts, que voulez-vous qu’il devienne avec ses cent francs ?

- M de Torgnac haussa les épaules. Ça le regarde.

- François mort, Pierre aveugle, Mathurin malade, Julie Bossue, quatre morts à la peine, Joseph pris au sort à l’armée. Eh bien ! Je dirai : tant mieux pour ceux qui sont morts, tant mieux pour ceux qui meurent ; au moins c’est fini.

- C’est toujours une ressource qu’on a sous la main, dit M de Torgnac en allumant un cigare et en haussant les épaules.
(…)
- Charles Lebrun, dit M de Torgnac, âgé de vingt-deux ans. Une jambe perdue par suite d’imprudence, étant descendu sans ordre dans le puits du Diable. Indemnité de cent francs une fois donnée.
- Quoi ? Dit Charles Lebrun, se demandant s’il avait bien compris.
- Eh bien, quoi ? J’ai dit que l’administration de la société de secours veut bien vous donner cent francs. C’est pure gracieuseté de sa part, car elle ne vous doit rien. Pour qu’elle vous dût quelque chose, il faudrait que votre incapacité de travail résultât du travail lui-même. Or, elle résulte simplement de votre imprudence.
Mais c’était pour secourir les camarades, dit Charles Lebrun, continuant d’essayer de comprendre.

- Vous n’aviez pas d’ordres. (…)
- Mais, Monsieur, pensez donc, ma mère n’avait que moi. Elle n’a plus de forces. Elle ne peut plus travailler ! Que voulez-vous que nous devenions ?

Moi je ne veux rien du tout, devenez ce que vous voudrez.
La vieille mère de Charles Lebrun joignit les mains.

- Oh ! Mon dieu, je vous en prie…Allons, allons, la paix ! 
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