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Citation de Zeybulon


Alphonse Zocambolet se lève de grand matin et rassemble son attirail de pêche, sans oublier sa nouvelle canne de haute mer offerte par ses anciens collègues. Sa grande glacière est prête à recevoir le poisson. Il prépare aussi un délicieux casse-croûte pour Damien et lui. Le rendez-vous est fixé dans le Port de Sète à neuf heures trente. Il aurait aimé appareiller plus tôt, mais son capitaine vient d’Alès. C’est à deux heures de route. Se déplacer spécialement pour offrir une sortie en mer, c’est déjà bien généreux de sa part.
Lorsqu’Alphonse approche du quai après avoir garé sa Jaguar, il constate que Damien est sur le pont. Le Croix du Sud est resplendissant avec sa longue coque blanche affûtée comme une aile de Boeing. Le plaisir de monter sur le voilier est toujours renouvelé.
Il fait plutôt froid, mais le soleil adoucit un peu l’atmosphère encore humide.
Les deux hommes se serrent la main, sourire aux lèvres. Le souffle de leur respiration embue l’air.
Déjà Damien lance le moteur de cale et saute sur le quai pour détacher les amarres. Puis il bondit à bord alors que le vaisseau commence à prendre ses distances.
Installé à la barre, le marin manœuvre, attentif à l’inertie de son treize mètres. Aussitôt que l’alignement est maîtrisé, il salue quelques plaisanciers qui profitent du matin sur le pont de leur bateau, ou qui se préparent à sortir en mer. Alphonse aussi est connu dans les parages. Alors il répond aux sourires et aux hochements de tête.
– L’ami, le temps est magnifique. Je te propose de partir plein large, là où les poissons n’ont pas entendu parler de nous. Ça te va ?
– C’est parfait. Cap au sud ! La température sera plus douce. C’est un beau cadeau de Noël que tu m’offres en avance !
Tout juste sortis du port, Damien et Alphonse gréent le Croix du Sud qui s’élance comme un félin. Chaudement vêtus et équipés de cirés jaunes, assis côte à côte, les deux équipiers profitent des embruns parfumés, les yeux rivés sur l’horizon. Les voiles sifflent dans le vent et les vagues frappent la coque. Ils vivent intensément. Tous leurs sens sont comblés, saturés de perceptions primaires.

Vers midi, Damien affale la voilure.
– On est juste à la limite des canyons sous-marins.
– Je vais pêcher des monstres ! Mais tu as peut-être déjà faim ?
– Oui, mangeons d’abord, propose Damien qui installe la toile au-dessus du carré arrière pour abriter du soleil. La température est maintenant un peu plus clémente.
Pendant qu’ils dégustent calmement leur repas, Damien s’intéresse au nouveau projet de son vieil ami :
– As-tu déjà recruté ?
– C’est fait. Et on commence lundi. J’ai une petite affaire.
– Bravo !
– C’est un adultère. Tu sais ce que j’en pense.
– Je te connais. Toi, tu veux des enquêtes de haut vol !
– J’aimerais ! À Sète, il ne s’est jamais rien passé d’extraordinaire. Je suis comme un marin d’eau douce. Je suis un alpiniste qui ne gravit que les collines, un globe-trotter qui n’a jamais quitté sa patrie…
– Je comprends !
– S’il apparait quelque chose de bizarre dans tes histoires de pompier, ne m’oublie pas Damien. N’importe quoi d’inattendu.
Après deux ou trois minutes de silence, Damien reprend la parole :
– Maintenant que t’es plus flic, je peux bien te parler de quelque chose.
Surpris, Alphonse fixe intensément son ami du regard afin de lui faire cracher le morceau. Ce dernier se décide :
– Tu te souviens de ces deux personnes que vous aviez arrêtées fin août ?
– On en arrête beaucoup…
– Mais tu m’avais téléphoné. L’un d’entre eux avait ma carte de visite.
– Oui ! Les prétendus espions ! Le lieutenant en avait fait toute une affaire, de ces deux malheureux clodos.
Alphonse continue de sonder son ami du regard. Damien cherche ses mots avec soin :
– Leur histoire va te surprendre. Accroche-toi.
Après avoir avalé ce qui reste de sa cuisse de poulet à la mayonnaise, Damien se lance :
– Je me suis transformé en délinquant le jour où vous les avez libérés. Je les ai fait passer au Portugal à bord du Croix du Sud.
– Alors là ! Tu m’étonneras toujours. Je suppose que c’était pour la bonne cause.
– Sans aucun doute. En fait, ils étaient en fuite après s’être évadés d’une mine désaffectée située en Savoie. Ils étaient détenus parmi plusieurs centaines de personnes. Tous étaient enchaînés et subissaient des sévices… Comment dirais-je ? À glacer le sang !
– Tu es en train de te payer ma tête ! s’exclame l’ancien commandant dont le visage montre une grande perplexité.
– Non, malheureusement. Pendant la traversée vers le Portugal, ils ont raconté tout ce qu’ils savaient. Les deux gars étaient considérés comme morts. Leurs familles en ont fait le deuil. Lors de leur enlèvement, pour donner le change, leurs ravisseurs ont placé deux cadavres dans leur voiture, ont mis le feu et ont précipité le tout dans un profond ravin. Si je me souviens bien, ils ont passé plus de deux ans séquestrés au fond d’une mine. Maintenus dans un état de demi-conscience, ils étaient appareillés avec des brides et des tenseurs métalliques.
– En Savoie ? Tu me dis qu’il y a un centre de détention en Savoie ou des gens déclarés morts sont prisonniers pour subir…, des expérimentations ?
Alphonse est déconcerté. Damien dévore une deuxième cuisse de poulet et boit de la bière pendant que son coéquipier méditatif essaie de bien comprendre ce qu’il entend. Damien reprend :
– Affreux, abominable, inhumain. Serge et Tony, c’est comme ça qu’ils s’appellent, ils étaient tout déformés. Cent mètres sous terre, ils étaient enchaînés et entravés par des brides et des tenseurs en acier. On leur faisait des piqûres de je ne sais quelles saloperies. Les injections ou la nourriture les maintenaient dans le coaltar.
– Et tu crois qu’il y a toujours des gens dans cette mine, là-bas ?
– J’espère que non, déclare Damien, penaud. Je ne savais pas quoi faire. J’en ai fait des cauchemars ! C’est horrible ! Tu comprends ? Je suis pompier et j’ai gardé ça pour moi.
– Mais pourquoi n’es-tu pas venu nous voir ?
– C’est que j’ai promis à Serge et Tony de me taire. Ils étaient traqués et fous de terreur. Après s’être évadés, ils étaient même recherchés par un hélicoptère. Ensuite, il y avait une voiture devant chez la femme de Serge. Ils ont essuyé les tirs d’une arme à feu. Ils ont failli se faire reprendre. Et apparemment, la police les considérait comme des espions. Ils m’ont supplié de leur laisser leur chance et se sont engagés à révéler l’affaire aux journaux aussitôt qu’ils seraient en sécurité.
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