Nous mangeons toujours les expériences et les souvenirs de notre socialisation en même temps que les mets. Il n'en a pas toujours été ainsi. La place de la nourriture dans l'échelle des valeurs, s'est modifiée au cours de l’histoire. Tant que les aliments servent principalement à calmer la faim, on trouve dans la littérature, y compris dans les descriptions des banquets plantureux de la noblesse, des évocations assez sobres. Ce n'est qu'avec l'arrivée de la bourgeoisie et de la surabondance que la nature de la nourriture, la quantité et les bonnes manières font leur apparition. Le fait de manger prend une connotation psychique : l'aspect psychique cède la place à l'élément comportemental.
Grimod de la Reynière invente le tribunal gourmand avec son jury dégustateur où l’on peut voir l’ancêtre de la critique culinaire d’aujourd’hui. Le succès public de son Almanach des gourmands est rapidement concurrencé et bientôt dépassé par celui de la Physiologie du goût de Brillat Savarin, publiée en 1825.
A l’aube du XIXe siècle, la gastronomie se hisse au rang d’art majeur et avec Carême, qui joue avec les couleurs, les valeurs, les volumes et la lumière, cuisine et esthétique se confondent ; la table toute entière devient tableau…
Pris entre le mystère de la naissance et celui de la mort, nous ne faisons jamais que chercher indéfiniment un sens à notre précarité. Une forme de réponse à cette interrogation est là, dans le fond de notre assiette. La gourmandise, disait Balzac, est le péché le plus vertueux. C’est aussi l’un des plus délicieux, car sa vertu première est de rendre plus doux, plus acceptable, le chemin obligé qui nous conduit à notre disparition.
Au siècle de la consommation de masse et de l'expérience gastronomique, la nourriture elle-même ne joue peut-être plus qu'une rôle subordonné et devient le symbole de l'amour, des relations de la con=communication... cette métaphore est peut-être notre dernière tentative pour trouver un accès à notre corps dans un monde où les références semblent se dissoudre et où nous n'avons plus affaire qu'à des images et à des signes.
La démarche habituelle au restaurant demeure de consulter d’abord la carte des mets et ensuite celle des vins, ce qui nous semble à l’opposé de la logique gourmande ; il est en effet bien plus aisé de repérer d’abord le ou le vins que l’on désire boire (à la fois en fonction de nos goût propre et des impératifs économiques qui régissent ce type de démarche) et d’y adapter avec bonheur les prouesses du chef de cuisine.
Madame de Sévigné, la fameuse épistolière, apprécie fort le poulet farci de chair de vipère. " C'est, dit-elle, aux vipères que je dis la santé dont je jouis"
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Ces bouillons de vipère, et aussi l'alcool de vipère (elle est dans la bouteille), font partie des remèdes populaires traditionnels qui sont encore en usage à notre époque dans certaines campagnes.
où est-il encore possible, ailleurs que chez soi, d'apprécier la saveur d'une truffe entière plutôt que des éclats atomisés, de se délecter d’une portion de caviar de dernière pêche qui dépasse en volume les quelques grains anecdotiques dont les restaurateurs décorent bien souvent leurs sauces ?
Nos goûts, nos dégoûts et jusqu’aux excentricités de notre mode d’alimentation (où chacun se plaît à voir l’affirmation de sa personnalité) s’inscrivent dans une longue chaîne héréditaire, un réseau de mythes, de rituels et de souvenirs qui nous précèdent, nous dépassent et nous lient.
Dans sa critique (Diderot) du Salon de 1765, il précisait que la nature morte était la peinture « des vieillards » et de ceux « qui sont nés vieux » ; elle n’exigeait qu’étude, patience, technique et vérité, mais guère de poésie et peu de génie.
Les enjeux sont lourds en matière de culture : toutes les civilisations totalitaires ont voulu réglementer, régimenter, décider et promouvoir des oukases qui valaient comme jugement esthétiques convenables, présentables.