Mais où tout le monde est d’accord, c’est au sujet du programme de morale et d’industrie civique. On est d’accord pour le trouver mauvais. Enseigner la grammaire, l’orthographe, les fractions, Clodion, fils de Pharamond qui n’a peut-être pas existé, passe encore ! Mais chacun réclame, au nom sacré de la conscience, le droit d’appuyer la morale sur sa propre conception philosophique. Et chacun est de bonne foi. Et chacun de s’écrier : Quand je suis d’accord avec ma conscience, le reste ne compte plus. »
Il faudrait pourtant voir où cela peut nous conduire.
— Docteur Tant-Mieux !
— Docteur Tant-Pis !
— Optimiste !
— Pessimiste !
— Grognon !
— Ricaneur !
Après avoir épuisé leur stock d’injures, les adversaires se mirent à rire en se serrant la main.
C’est toujours ainsi que se terminaient leurs batailles pédagogiques. On s’injuriait, mais on s’aimait tout de même.
Il faut vous dire que les batailleurs sont de vieux camardes qui, depuis l’École Normale, sont comme les musiciens de campagne : toujours ensemble et jamais d’accord. Ils se recherchent, s’embrassent et… se disputent. Au demeurant, des amis sûrs que j’aime à voir à ma table. Ils sont intéressants.
Si nous pouvions nous élever jusqu’à cette indulgence qui n’est autre que la tolérance, nous serions peut-être assez intelligents pour comprendre et observer cette neutralité scolaire que déclarent impraticable ceux qui veulent mettre l’école au service de leur religion ou de leur politique, mais que le Législateur a cependant crue possible puisqu’il l’a inscrite dans la Loi.
Est-ce que je me trompe ? moi aussi, je la crois possible et je l’observe sans pour cela abjurer ma propre croyance.
On en parle dans la loi.
On en parle dans les journaux.
On en parle à la ville et au village.
Et puisqu’on en parle, c’est qu’on n’est pas d’accord.
Tous ceux qui en parlent le font avec une telle éloquence que c’est toujours le dernier orateur ou écrivain qui a raison : « Très bien ! À la bonne heure ! — Pour le coup, il n’y a pas à répliquer : c’est celui-ci qui leur en bouche un coin. » Et puis voilà que c’est l’autre… Et puis un autre. Mon Dieu, ma pauvre tête !