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Citation de LignedeFaille


Émilie Talon
Sur la plage de nuit*, tout est noir d’abord, et puis nous nous y faisons. La loi ne permet pas vraiment aux filles et aux garçons de se baigner ensemble ici, mais la nuit tous les chats sont gris, nous pourrions n’être que des garçons ou que des filles, nous sommes des silhouettes et nous rions sous cape. Nos pieds s’enfoncent dans un sable d’une grande douceur. Si nous tombons parce que nous n’y voyons rien, nos genoux y pénétreront comme dans un nuage. Nos loupouch forment un tas sombre à l’entrée de la crique. Nous avons ôté nos vêtements dans la nuit noire, nous sommes en maillots de bain ! Nous avançons en chuchotant, la nuit nous paraît de plus en plus claire, nos corps de plus en plus blancs.
« Qu’est-ce que c’est par terre ? – Ce sont de petits crabes.
– Mais ils ne bougent pas !
– Ils ont chaud. »
Nous leur marchons dessus, nos plantes de pieds les enfoncent, les ensablent. Ils se laissent piétiner sans réagir tant le terrain est meuble. Leurs pinces amorphes ne présentent aucun danger. Je m’agenouille, j’en regarde un qui se déplace, latéralement, lentement, la pince mollement levée.
« Tu viens ? »
Nous avançons dans l’effervescence délicieuse du bain de minuit. Je perçois un clapotis, l’un des nôtres a dû s’enfoncer dans cette mer où nous sommes absolument
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seuls, où nous régnons. Mais je suis déjà dans l’eau jusqu’en bas des cuisses ! J’y suis rentrée sans m’en rendre compte, j’éclate doucement de rire, il n’y a aucune différence de température entre l’air et l’eau. J’avance. Je me rappelle l’Atlantique, dans lequel nous progressions, avec Shirin, main dans la main pour ne pas nous faire emporter par les courants qui nous gifflaient, le long de la plage, dans les Landes, jusqu’à retrouver le parasol et les grands signes d’un Mansour à l’œil écarquillé
« C’est pas la peine d’aller si loin ! »
L’Atlantique propose une lutte fraternelle, la mer du Golfe un évanouissement collectif. Nous sommes à l’autre bout du monde. L’eau est chaude !
J’aperçois la silhouette de Shirin, en quelques pas, quelques brasses maintenant, je pourrais la rejoindre. Une main encercle ma cheville, me surprend sans me faire peur, les serpents doivent dormir comme les crabes. Fereydoun et son ami Mohsen sont passés sous l’eau, ils suivent les sillons que de doux courants ont creusés dans le sable qui est comme une poudre dense et souple, la caresse de la poussière sans son irritante fumée.
Ils se sont enfoncés sous l’eau et ils éprouvent la liberté de leurs gestes, leur légèreté. Ils nagent comme d’autres sautent dans le ciel. Ils devront respirer, ouvrir le parachute, mais pas tout de suite. Pour l’instant, ils évoluent sans frein, ils tournent innocemment autour de nos jambes qu’ils ne voient pas. Un peu d’air, puis ils replongent dans cet ailleurs qu’offre la masse subaquatique. Ils habitent leur mer. Nous nous y enfonçons, nous fuyons délicieusement.
Ce n’est qu’en me séchant sur la terre peu ferme que je me dirais que ce genre de baignade est plus dangereux qu’il n’y paraît. On pourrait s’y oublier, comme Robinson s’endormait de plus en plus longuement dans les sables mouvants de son île. Croire que tout est possible, que les prédateurs ne mordront plus jamais, se laisser flotter et ne plus jamais revenir sur la rive.
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