Éric Sven

L'opération Masse critique permet réellement de découvrir des auteurs inconnus du lecteur ou des ouvrages qu'on n'aurait pas l'idée d'acheter. C'est ainsi que j'ai eu la chance de recevoir un superbe album de photos, très joliment commentées dont les protagonistes sont une famille d'agriculteurs belges.

La ruralité ici décrite et photographiée est une ruralité de traditions et d'innovations : la famille Pussemier-Delannoy cultive ses terres (céréales, betteraves) mais se lance aussi dans l'élevage de qualité en constituant un troupeau d'Holstein, fabrique ses fromages, ouvre une petite boutique au sein de la ferme et accueille des touristes. On s'attache rapidement au couple d'agriculteurs dont on perçoit la force de la passion à travers les photos. Alors qu'ils se questionnent sans cesse sur la pérennité de leurs activités, on les sent profondément attachés à leurs terres, à leurs animaux - il ne s'agit pas d'un simple travail mais d'une croyance en un mode de vie et la conscience profonde qu'ils ont de lourdes responsabilités : "L'humanité entière attend de l'agriculteur qu'il la nourrisse, les hautes instances attendent de lui qu'il le fasse de façon sûre et saine, et les voisins attendent de lui que, dans la foulée, il entretienne "leur" environnement, "leur" paysage."

Si une forme de plénitude et de sérénité se dégagent des photos (vraiment réussies), les différents chapitres mettent, simplement mais intelligemment, l'accent sur la complexité du métier d'agriculteur, sur les tensions qui existent avec Bruxelles, sur les choix à opérer, sur la nécessaire conciliation du respect de l'environnement et de l'agriculture intensive, sur les angoisses du lendemain (qui va reprendre l'exploitation ?). La beauté des photos adoucit des textes qui laissent poindre le risque que le fragile équilibre de ce petit monde ne soit définitivement et totalement rompu :

"Ah! L'avenir de l'agriculture ! Les mines, tout à coup, se font graves. Le père a son opinion à ce sujet. Il se veut optimiste. Son rêve, c'est une agriculture qui permette à tous les peuples du monde de se nourrir et de vivre dans la dignité. Au lieu de monter les agriculteurs les uns contre les autres, les régions les unes contre les autres au nom d'un Dieu qu'on appelle la libre concurrence, mieux vaut prôner la diversité.. [...] Dans ce monde dont rêve le père, tout un chacun serait gagnant, et non pas une poignée d'industriels au détriment du plus grand nombre". Beau projet... Y adhérer ne signifie pas pour autant qu'on croît à son avènement alors que la MSA annonce qu'elle a ouvert un numéro vert pour prévenir les risques de suicide chez les agriculteurs français, dont un sur trois a un revenu mensuel de 300 euros en travaillant 7/7 jours.

A feuilleter en se laissant porter par la pureté des paysages, à lire et à méditer aussi tant son actualité est brûlante - un bel ouvrage qu'on est heureux d'avoir dans sa bibliothèque.