Enfin, avant d'aller plus loin, au terme de cette avalanche de noms de peuples, de villes, d'oasis et de langues, il faut souligner un dernier point : tout ce qu'on va lire ne concerne en termes d'espace que des zones géographiques marginales de l'Asie centrale. On ne dira jamais trop que les déserts, Taklamakan et Gobi, Dzoungarie, Qyzylqum et Qaraqum, les steppes arides et les montagnes, parmi les plus redoutables de la planète, forment l'essentiel de ces quelque six millions de kilomètres carrés. Ce qui est rare en Asie centrale, c'est la terre cultivée ou la bonne pâture, ce sont les zones habitées, tandis que les déserts et les montagnes se trouvent au centre aussi bien de la région que de chacune de ses composantes.
Il faut prendre conscience à l'orée de cet ouvrage de cette immensité désertique, cet espace à la fois distendu et compartimenté qu'est alors et toujours l'Asie centrale. Les régions agricoles de quelque ampleur y sont aussi rares que les hommes. (...) Cette prégnance des espaces vides et le compartimentage qui en découle, conduisent à questionner la notion même d'Asie centrale : il n'est nullement évident que l'Asie centrale existe, puisse être l'objet d'une enquête historique en tant que telle, tant y cohabitent de multiples groupes dans la plus grande des dispersions. Elle pourrait n'être qu'un espace interstitiel entre ces grands blocs de civilisation que forment l'Inde et la Chine, l'Iran et le monde des steppes. (...)
L'un des enjeux est bien de justifier l'idée même d'Asie centrale durant cette période, de montrer comment quelque chose se noue puis se dénoue entre le milieu du IV°s et le milieu du IX°s, et la manière, par-delà les interstices, dont de multiples réseaux organisent cet espace.
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