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Haut dans le ciel - Poésies choisies

Kikuo Takano (1927-2006) est un mathématicien et poète japonais qui n'avait jamais été publié en français jusqu'à ce que les éditions RAZ demandent à Philippe Démeron de traduire un regroupement de textes écrits sur une quarantaine d'années.



Après ses lectures d'Heidegger, et ses pages sur l’être et sur la poésie, Takano déclare avoir "décidé de m’interroger sur le sens de la vie avec ces mêmes mots dont je cherchais, sincèrement, le sens – et de le faire désormais sans crainte. (...)". Le sens, la place dans la vie, la vérité de soi, la philosophie "Jusqu'à quel point suis-je moi-même ?".



Poète de l'instantané, il place bien entendu sa poésie, comme bon nombre de poètes japonais, dans les éléments naturels. "Quand je ne posais pas encore de questions / sur le sens du ciel et de la terre, / j'avais des mains et des pieds de boue - / alors ma langue était heureuse : / en elle la lumière rencontrait l'eau, / le ciel et la terre : j'étais heureux / comme une feuille d'arbre."



Bien entendu le monde végétal est bien représenté dans ces pages "Les arbres accomplissent ce que / la terre n'est pas parvenue à faire. / Les oiseaux poursuivent ce que / n'ont pas réalisé les arbres. Mais que // pourra accomplir l'homme ?" Le fruit, l'anémone, la fleur de lotus , le prunier, la grappe de raisin, mais aussi l'animal, l'ibis, la cigale, l'alouette, la luciole, la truite, le tigre, lui inspirent de beaux textes qui parviennent à toucher l'âme du lecteur.



Le miroir aussi revient régulièrement dans sa réflexion. Reflet, réflexion, révélation de l'ego. "Quel triste objet / ont inventé les hommes ! / Qui se regarde dans un miroir / fait face à lui-même / et qui pose la question / est, en même temps, interrogé. / Pour allée plus au fond des choses / l'homme doit faire le contraire / et s'éloigner. " Révélation du vide en soi.

"Si l'on met face à face / deux miroirs, par leur reflet réciproque, / ils révèlent un vide profond. // ils révèlent / un vide infini."



Les éléments sont convoqués en guise de miroir pour parler de soi avec vue directe sur l'intime "Face à la mer j'ai l'impression d'être / un enfant grondé - / nous avons tous l'impression d'être des enfants grondés". Une vue à l'acuité renforcée par la solitude "Quand je demeure seul / le proche devient le lointain. / Comme un gant retourné / l'intérieur se fait extérieur. ".



Et pour terminer, réfléchir à ce petit conseil de vie que nous offre Kikuo Takano : "Cependant nous avons l'espérance : / l'âme et les paroles ne doivent pas / attendre à la fenêtre mais chercher / les portes par où passer."



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La Crevie suivi de Mon goéland

Philémon Le Guyader, éditeur et poète ou bien poète et éditeur, mais aussi acteur, vit chaque jour en poète dans son Finistère inspirant et a choisi de se publier lui-même pour ne plus avoir à être la victime des programmes éditoriaux bouclés sur plusieurs années et des courriers les plus désespérants les uns que les autres.



Ce n'est pas pour autant qu'il en profite pour se laisser aller à la facilité et il met autant d'exigences dans ses propositions que les auteurs qu'il choisit. En 2016, il a publié un triptyque poétique qui aurait mérité qu'un autre éditeur s'y intéresse.



Dans la première partie, La Crevie, cette vie dont les poètes parfois en crèvent, reprise ensuite en 2022 dans un recueil illustré par Jacques Cauda et qui mériterait vraiment une large diffusion, Philémon Le Guyader offre dans ce recueil, publié en 2016, à vingt-huit poètes leur poème posthume (quatre pour le prince Arthur). Ces écrivains que l'on connaît plus ou moins, dont pour certains on ignore les circonstances de leur mort, leur offrir leur dernier poème en guise de tombeau est un beau cadeau. Ecumeur de biographies, avec un style sucré/salé, un peu caustique et non dénué d'émotion qui est la marque de fabrique de Philémon Le Guyader, tutoyant ces poètes comme des amis, l'auteur nous entraîne un peu dans leur intimité pour un hommage inspirant.



Ce qui frappe avec ces destins tragiques c'est la variété des causes de la mort, mais plus que l'approche biographique c'est le style poétique très contemporain utilisé par l'auteur qu'il faut retenir.



La seconde partie trahit les origines bretonnes de Philémon Le Guyader, avec une observation anaphorique du goéland, ce volatile voleur de gaufres sur les plages et qui se plaît à se soulager sur les statues, même Chateaubriand en est victime à Saint-Malo... On sent bien la proximité de caractère entre ce goéland et l'auteur. Même s'il n'en est pas à déchirer "les poubelles de façon psychotique" plusieurs affirmations peuvent correspondre à la fois au goéland et au poète-éditeur-acteur.



Dans un tout autre style, la troisième partie nous emmène vers la ruche-capitale. Par petites touches, le tempo de la ville apparaît, ses impasses, ses parkings, ses foules, ses terrasses, ses pavés, ses jolies femmes et "Ce bruit / mouvement / apaisant / sans l'être".



En lisant cet ouvrage, j'ai l'impression de mieux connaître Philémon Le Guyader même s'il ne parle que d'un goéland, de poètes décédés, ou d'une ville. Et c'est un peu cela que je recherche dans la lecture, m'approcher un peu des auteurs pour percer leur secret.

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La gazelle de Thomson

Un homme se meurt. Un artiste sur un lit d'hôpital. La douleur. Le besoin de s'accrocher à la vie. Alors il dessine. Toute la journée il dessine une chaise. Toujours la même chaise multipliée dans un trait qui se fait de plus en plus malhabile. Drôle de chose que cette chaise en paille. Fragilité de la paille et en même temps symbole de stabilité. Allongé dans son lit l'artiste voit cette chaise comme un espoir. Sortir d'ici pour s'asseoir devant le chevalet. Pour ne pas se laisser prendre par la nuit.



Cet homme c'est Roberto Cedrón, peintre et sculpteur, mais aussi marionnettiste, comédien, metteur en scène et décorateur de cinéma argentin, ayant fui vers la France la dictature des généraux et ayant vécu à Douarnenez où il poursuivit ses activités de peintre affichiste et graveur jusqu'à sa mort en 2018.



Un homme se meurt et ses amis viennent le voir, dont Jacques Vincent, architecte de formation, puis graphiste, illustrateur et enseignant en art appliqués. La poésie et la pratique de l'écriture sont constantes sur son parcours. Alors, lors de ses visites à l'hôpital au chevet de son ami, il note ce qu'il voit, ce qu'il ressent. Il sait la mort proche. Il saisit chaque instant dans la dignité et sans larmoiements.



Un autre ami, Philémon Le Guyader, créateur des éditions RAZ éditions, décide de regrouper les textes de Jacques Vincent et les chaises de Roberto Cedrón pour en faire un ouvrage-hommage.



Si Jacques Vincent est l'auteur du texte et Roberto Cedròn l'illustrateur, ce sont les mots les véritables illustrateurs de cet ouvrage. Les mots qui dépeignent parfaitement le sursaut de vie qui anima Roberto Cedrón à la fin de ses jours. "Attendre que le corps épuisé puisse les gestes du dessin. La main, avant l'outil, apprécie le grain du papier - sa main dit-on - arpente le territoire pour en prendre la mesure."



Bien sûr, il y a l'émotion de la fin de vie.

"Il me remercie pour ma visite. Je le remercie à mon tour pour ce qu'il me donne. Sans savoir quoi ajouter je le laisse à son sommeil." Mais comme écrit l'auteur "Si un dessein se dessine c'est pour en changer ". Et pour cela on s'accroche aux détails du quotidien. Une chaise peut bien faire l'affaire, elle qui dit le repos, le visiteur, les gestes du menuisier et du vannier qui l'ont fabriqué. La chaise, cet "infime territoire où tout redevient possible ". Cette image peut tout aussi bien convenir à la poésie de Jacques Vincent.



Jacques Vincent a publié par la suite en 2021 « Les passagers » aux éditions Folle avoine et « il pleuvait ce jour-là » chez Voix d'encre en juin 2023.



Cet ouvrage est un bel hommage à l'amitié. Si tous les malades en fin de vie pouvaient tous être aussi bien accompagnés...



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