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Cafés d'hommes, services de femmes : : Les se..

Il est toujours intéressant de confronter ses propres observations – les miennes, au Tadla – à celles d'universitaires – celles de Sana Benbelli, quartiers populaires de Casablanca. Au Tadla, donc, depuis plusieurs années beaucoup de cafés – un commerce florissant au Maroc, au point que depuis l'épisode du covid en 2020 des imaginatifs équipèrent des fourgonnettes d'un panneau solaire et d'un percolateur pour s'installer en bordure de route ; « entre deux Cafés, il y a un Café » (page 48) – emploient des serveuses femmes, cheveux non voilés contrairement à la quasi totalité des femmes de cette bourgade de campagne ; serveuses de cafés jeunes (moins de trente ans), vêtements moulants (jogging et sweat-shirt) sur un corps plein (Malek Chebel a beaucoup écrit sur le corps des femmes « arabes », et les critères de beautés attendus des hommes), serveuses souriantes, souvent maquillées, discutant longuement avec les clients (je n'ai pas lu dans le livre de Sana Benbelli d'informations précises sur le ratio temps de service/temps en discussion avec les clients). Pour les hommes marocains, qui passeraient en moyenne 1h54 par jour au Café, « le Café, c'est la foule, le bruit, le chaos, la fumée, les insultes, les vulgarités, le tout mixé avec un peu de drague » (page 96) ; j'ajouterais que le Café, où avant les hommes sirotaient leur café accompagné d'un verre d'eau froide en faisant des grilles de mots croisés remplacées aujourd'hui par un « Monde » réduit à un smartphone, est le lieu où l'on regarde le foot et Dieu seul sait combien de matchs de foot se déroulent chaque jour ; c'est aussi un lieu tourné vers l'extérieur, on s'y pose pour regarder, il suffit de regarder la disposition des chaises.

Il faut bien avancer dans le livre de Sana Benbelli, qui nous propose beaucoup de pistes théoriques et historiques, avant de trouver la parole de ses femmes serveuses, leur parcours individuel haché. Les Cafés étant avant tout des lieux masculins, dans les quartiers populaires et en campagne, la présence de femmes y évoluant en tant que serveuses interpellent. Je ne suis pas certain que le verbe investir, utilisé dans la préface et par l'autrice soit adéquat. Ces femmes serveuses – comme les cueilleuses marocaines de fraises espagnoles – n'investissent pas un espace spécifiquement masculin ; elles sont là sous contrainte, dans une alternative sociale probablement douloureuse : travailler pour vivre sans démesures (se nourrir, se vêtir, payer un loyer cher, les factures), faire vivre sa famille sans se compromettre socialement ; comme le pointe Sana Benbelli travailler même dans un Café au milieu des hommes plutôt que sortir (synonyme de se prostituer). Pour les propriétaires hommes, des Cafés, employer une femme serveuse, permet avant tout de remplir la caisse, on est au-delà du « choix pragmatique » fait par les propriétaires et les serveuses ; être pragmatique c'est avant tout renoncer à ses convictions.

Les témoignages des serveuses, précieux et passionnants, auraient mérité d'être reproduits in-extenso en annexe. Je note page 189 un salaire mensuel étonnant de 3000 à 3500 dirhams alors que le salaire hebdomadaire est de 350 dirhams avec jusqu'à 90 dirhams de pourboire, soit au maximum 1760 dirhams par mois, ce qui à Casablanca est bien maigre pour vivre décemment, économiser, se projeter dans l'avenir.

Sana Benbelli a-t-elle prévu de revoir les serveuses rencontrées dans une dizaine d'années pour connaître leur devenir ? Mariée, migrante, auto-entrepreneuse ?

Le livre comporte de nombreuses expressions arabes avec une translittération spécifique à l'autrice (le tableau de l'alphabet de transcription de la page 198 est-il destiné aux non arabisant.es ?) avec probablement l'accent casaoui, au Tadla le dialecte est autre.

Pour finir, je suis sincèrement désolé, mais lire page 203 dans le lexique « ramadan : mois de carême, mois sacré pour les musulmans, pendant lequel ils jeûnent du levée [sic] au coucher du soleil » m'exaspère profondément ; les musulman.es jeûnent durant le mois de ramadan de l'aube, fajr, soit bien avant le lever du soleil (au Tadla, fajr à 05h05, lever du soleil 06h30), jusqu'au maghreb, coucher du soleil.
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