indimoon le 18 octobre 2023 AnnaCan Je vous propose de jouer de nouveau avec un véritable auteur : Philip Roth dans J'ai épousé un communiste. Lorsque je passai pour la première fois le seuil des Bixton, le bizarre capharnaüm de la petite pièce du devant me donna le vertige : il y avait des peaux tannées empilées partout; des andouillers pendus au plafond, avec des étiquettes, accrochés par du fil de fer, des andouillers sur toute la longueur de la pièce, par douzaines. D’énormes poissons vernis pendaient également au plafond, des poissons luisants aux nageoires déployées comme des voiles, des poissons luisants avec des épées allongées, un gros poisson luisant au faciès de singe; des têtes d’animaux, petit modèle, moyen modèle, grand et très grand modèle montées sur chaque centimètre du mur; toute une escadrille de canards, d’oies, d’aigles et de hiboux sur le plancher, nombre d’entre eux ailes déployées comme en plein vol. Il y avait des faisans, des dindons sauvages; il y avait un pélican, un cygne, et puis aussi, furtivement répartis au milieu des volatiles, un putois, un lynx, un coyote et deux castors. Sous des vitrines poussiéreuses, le long des murs, des oiseaux de petite taille, colombes, pigeons, un petit alligator, ainsi que des serpents enroulés, des lézards, des tortues, des lapins, des écureuils et des rongeurs de tout poil, souris, belettes, en compagnie d’autres bestioles antipathiques que je n’aurais pas su nommer, toutes nichées de manière réaliste dans de vieux décors naturels fanés. Et, partout, de la poussière, recouvrant les fourrures, les plumes, les peaux, tout. Horace, vieillard frêle, guère plus vaste que l’envergure de son vautour, vêtu d’une salopette et coiffé d’un bob kaki, sortit par-derrière pour me serrer la main; quand il vit la tête que je faisais il … …. sourit d’un air d’excuse : « Ben ouais, on jette pas grand-chose, nous autres. » (cordelette, carnassier, mâchoire) … déclara d’un air mystérieux : « À chaque animal son odeur, tu sais. Tu sens l’odeur du renard? » (carcasse, blanchâtre, haut-le-coeur) … dit d’un ton bourru : « Si tu veux crécher ici, va falloir t’y faire. » (semelle, dépecer, carpette) Je passe le relais à .... Chrys, qui me paraît taillée sur mesure pour ce texte (à moins que ce ne soit l'inverse) HordeDuContrevent … déclara d’un air mystérieux : « À chaque animal son odeur, tu sais. Tu sens l’odeur du renard? » Oh que oui je sentais l’odeur du renard à la gueule béante qui semblait vouloir mordre, devant moi, figé pour l’éternité dans sa posture sauvage, gueule dans laquelle, entre deux canines acérées une araignée avait tissé une fine et à peine perceptible toile, saupoudrée désormais d’une légère couche de poussière. Gueule de laquelle flottait une odeur d’haleine plus infecte que la décomposition d’un cadavre, plus nauséabonde qu’une carcasse pourrissant au soleil, plus infecte que les déjections d’un malade à l’agonie. La puanteur m’a assailli les narines avant même que je puisse respirer me donnant un haut-le-cœur réprimé avec beaucoup de difficultés. Détournant la tête avec dégout, je me retrouvai nez à nez avec les poissons volants dans lesquels ma tête avait butté, laissant échapper une myriade de petites poussières venant blanchir mes cheveux. Etonnamment, en lieu et place de l’odeur maritime ou lacustre à laquelle je m’attendais, il me semblait sentir une odeur de rose, oui de rose dont on aurait frotté les écailles et tous les interstices entre les pétales argentés, des effluves de rose-thé comme celles émanant d’un vieux jardin à la flamboyance un peu désuète dans lequel des eucalyptus murmure dans les marais. Plus la luisance des poissons était forte, plus l’odeur de rose était capiteuse. Une odeur de boudoir, précieuse, douceâtre et un peu écœurante. Oui, c’était troublant, les odeurs ne semblaient pas correspondre aux animaux dont elles émanaient. Des canards, des oies, des aigles et des hiboux en position de vol sur le plancher, émanait de sous les ailes déployées, une étonnante odeur de sueur, cette sueur qui dégouline dans le dos puis sèche, aigre et acide. Des rongeurs de tout poil, souris, belettes, une odeur suave et blanchâtre, presque érotique, l’odeur d’entre les jambes, celle que l’on sent quand on est assez près pour la toucher du bout des lèvres. Curieuse, je ne pus m’empêcher de tendre le nez vers les reptiles. Du petit alligator, des serpents enroulés et des lézards, suintait une fragrance de mousse, une odeur verte bucolique, de champs au printemps aux herbes foulées, coupées, piétinées. Une sensation de froid, de fraicheur salvatrice si éloignée de la peur atavique que ces animaux inspiraient en temps normal. Végétales ou humaines, vivantes et vibrantes, les odeurs n’étaient pas celles d’animaux poussiéreux empalés depuis longtemps. Écœurantes ou agréables, ces odeurs étaient celles de la vie dans ce qu’elle a de plus prosaïque, de plus sacré, de plus simple. Je me tournais étonnée et troublée vers Horace dont les cheveux épars et fou sur la tête, les yeux profondément enfoncés dans leurs orbites, et les jambes mikado mettaient en valeur le grand âge. Un filet de bave coulait sur son menton sale, traçant un sillon de suie sentant le buffle et le torrent. Quel était ce lieu, que recelait-il, quels signaux envoyait-il ? Voyant mon trouble, le vieil Horace se reprit, redressa sa tête pour se donner davantage de dignité et me dit : - Si tu essaies de sortir, ces âmes t’en empêcheront (réincarnation, menace, refuge) - Si tu veux comprendre, ouvre grand tes oreilles ( ancestral, magie, esprit) - Si tu restes tu risques de te transformer à ton tour (pétrification, sortilège, essence) Et je passe la main à Bernard qui saura de main de maître transformer cette histoire odorante à souhait... berni_29 - Si tu veux comprendre, ouvre grand tes oreilles. Ouvrir grand les oreilles, certes j’étais d’accord avec cette proposition et je voulais absolument comprendre, tout comprendre, mais avant toute chose il me fallait reprendre mes esprits, m’adosser au réel, chercher un point appui parmi ce capharnaüm vertigineux. La faible clarté qui perçait un trou dans la petite fenêtre de la pièce avait quelque chose de rassurant. Elle semblait rebondir à travers le chatoiement des odeurs, des fragrances, des relents maritimes. Dessiner le souvenir ancestral des lagunes et des estuaires où le battement des marées venaient s’éprendre du paysage et s’enferrer dans les nasses d’un filet. C’était un soleil fatigué mais encore vivant qui venait cheminer sur les décombres du lieu. Horace m’invita à m’asseoir autour de quelque chose qui aurait pu jadis ressembler à une table. Il revint avec un petit plateau qui portait une théière et deux tasses. Il versa le thé fumant. Une odeur âcre s’échappait des tasses, qui n’était pas sans me rappeler celle qui émanait du renard et de sa bouche nauséabonde. Il demeura debout sur ses frêles jambes qui semblait s’enfoncer brusquement dans le sol. Il fit alors un grand geste, balayant d’un mouvement du bras l’ambiance de la pièce et ses centaines de créatures hagardes, comme figées dans l’épaisseur du temps. « Cette maison est habitée par l’esprit de ces bêtes. Elle pourra brûler, s’effondrer, disparaître dans un séisme, devenir poussière, l’esprit de ces bêtes sera à jamais ici. Et lorsqu’on reconstruira une autre maison à l’identique sur cette terre complétement desséchée, elles reviendront comme par magie. Quelqu’un reviendra après moi, après ma mort, et les accrochera une à une à des poteaux de fortune qui tenteront de nouveau de faire tenir cette maison ressortie de dessous terre. » Ses yeux ressemblaient au vertige de la pièce. Il semblait fier d’être là, d’exister dans ce dédale immuable. Mais c’était plus que cela, c’était autre chose qu’une fierté, il y avait une admiration pour ces bêtes autour de lui. Que dis-je ? Il semblait éprouver un amour infini. Il s’avança vers moi et dit : « Et maintenant, bois mon enfant, ça va refroidir. » Alors je… … saisis la tasse de thé d’une main tremblante (spectre, viatique, perche) … souris d’un rictus pathétique (aveugle, estampe, salamandre) … me levai d’un geste lent (piété, femme, urinoir) Et je passe la main à Doriane ma copine de brouette qui saura trouver une suite qui lui ressemble… |