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    franceflamboyant le 08 septembre 2021
    Cindaie a dit :



    Faire appel à une mère porteuse est courant ici. Mais le coût est si prohibitif que nous n’avons pu mener à bien ce projet. Alors nous avons patiemment économisé. Chaque penny, chaque dollar qui n’était pas nécessaire à notre survie. Une fois la somme réunie, nous avons contacté une femme, qui a accepté de porter notre futur enfant. Tout ne s’est pas déroulé comme prévu. Nous avons tous les trois perdu l’enfant, et l’argent mis de côte.

    Après quelque temps de deuil, nous avons préféré nous lancer dans l’aventure de l’adoption, trop blessés par la perte de ce petit être. Nous nous sommes lancés dans les papiers. Des mois d’attente, des rendez-vous à n’en plus finir, des enquêtes sur nous… Pour finir sur une gigantesque liste d’attente. Qui n’en finissait pas de rester bloquée au même stade.

    Il paraît que patience est vertue. Nous devrions alors être des saints. Car nous avons bien passé cinq longues années à attendre ce coup de fil. Ce coup de téléphone qui devait changer nos vies à tout jamais. « Nous avons un petit garçon disponible à l’adoption. Il a trois ans, il s’appelle Aaron. Souhaitez-vous venir le rencontrer ? »

    Seigneur, quelle question ! Ni une ni deux, le rendez-vous était pris !

    Le jour de sa rencontre fut le jour le plus beau de ma vie. Un adorable bambin d’à peine 1 mètre courant à notre rencontre et babillant tout ce qu’il pouvait ! La joie de vivre à l’état pur. Je revois ses petits yeux rieurs et plein d’étoiles en déballant le cadeau que nous lui avions rapporté ! Le courant est très bien passé entre nous trois et si nous avions pu, nous l’aurions ramené immédiatement.

    Mais nous avons dû le laisser, le temps de finaliser l’adoption. Temps mis à profit pour lui préparer son futur petit nid chez nous. Lit, bureau, jouets, vêtements ! Tout est prêt !

    Un thème actuel, Cindaie, mais surtout l'expression d'une douleur profonde, insoutenable. Un texte prenant !


    franceflamboyant le 08 septembre 2021
    Pippolin et Charlotte_bzh : des souvenirs tristes et un vrai pouvoir d'évocation.
    vibrelivre le 09 septembre 2021
    Le beau bateau ivre


    Ce n'est pas qu'il avait les idées de travers

    le père

    il avait le mal de mer ; sans cesse il tanguait comme un homme ivre sans la joie dans l'esprit les sens en grande tourmente ; c'était une girouette chahutée par un vent méchant très méchant ; il se raccrochait comme il pouvait à ce qu'il trouvait une paroi un bras de canapé l'idée que ce tournis était sans danger que plein de gens en souffraient.

    Mais bon de tourner sans cesse comme un roi de bal ensorcelé un derviche qui atteindrait la transe
    ruse d'un féticheur du mal l'épuisait l'inquiétait.

    Et si ?...
    Les enfants...

    Un père ça devait être fort ! Un pilier stone qui chancelle vous parlez d'un effet. Quel esprit mauvais le faisait bouger comme une dent de lait quand la petite souris va bientôt passer.
    Les gens disaient Il ne va pas bien droit, le pauvre ! A le regarder, on voyait que ses yeux étaient vagues ; perdu il était, ailleurs, au large où les flots roulent à grand fracas et lui une coque de noix
    que les vagues se lancent comme un jouet qui a cessé de plaire.

    A côté la mère un mât infracassable

    Tant mieux si …
    Les enfants …

    Les yeux

    du père

    étaient d'un bleu du Sud du Pacifique. Des vaguelettes y dansaient quand il était content que les rêves y mouillaient des lignes d'argent y brillaient l'avenir accueillant l'attendait.

    Mais une lame surgie d'un fond fielleux l'a baratté à lui mettre un manège dans la tête des grands huit interminables des descentes en à-pic des loopings d'enfer des traîneaux dévalant des pentes de glace

    Ça lui a mis la tête à l'envers

    au père

    une explosion énorme un rafale qui passe le mur du son un signal de fin imminente a fait trembler la famille comme des arbres qu'on décapite des coeurs qui pètent

    en des zigzags d'étoiles dans un ciel déchiré irradié
    pour abriter le bleu des éternités muettes

    le père
    MaminouG le 10 septembre 2021
    C’était il y a un peu plus de cent ans. L’été battait son plein et, à l’ouest, une petite ville de Bretagne peinait à respirer quand, un matin de juillet, un joli poupon montra le bout de son nez. On l’appela Jean. Pour sa grand-mère, il devint "P’tit Jean". Il la fit rapidement tourner en bourrique, n’étant pas à une facétie près. Il aimait par-dessus tout se cacher dès qu’elle l’appelait et la faisait courir à travers le jardin pendant que lui riait sous cape. Puis il grandit, devint un écolier brillant. Il aurait pu faire des études longues. Mais, sa famille modeste lui ouvrit une autre voie, celle du travail manuel. Après avoir obtenu son certificat d’études, il commença à travailler. Jean était un intellectuel caché derrière un artisan de grande qualité. Il façonnait le bois à merveille et devint un excellent menuisier-ébéniste. Il se régalait de réaliser tables en marqueterie et autres meubles toujours minutieusement exécutés. Les arbres n’avaient aucun secret pour lui. Il connaissait tout aussi bien les chênes, les hêtres ou châtaigniers de ses forêts voisines que le niangon du Gabon ou de Nouvelle Guinée, ou le sipo originaire d’Afrique aussi et bien d’autres encore. Très jeune, il enfourcha sa bicyclette – ce n’était pas un vélo de course – prit sa caisse à outils sur le dos et s’en alla sur les routes, offrant ses connaissances ici et là pour parfaire son apprentissage. Il termina sa vie professionnelle en qualité de responsable d’une entreprise de bois en gros.

    Mais, parce qu’il y a un mais…Jean conservait en lui ce besoin de connaissances intellectuelles né dans sa plus tendre enfance : savoir, comprendre, débattre, argumenter, aller au-delà de son monde… alors se pointa, au milieu des copeaux, de la sciure et des rabots, une passion plus folle encore que ses outils : la lecture. Tout en continuant à jouer de ses mains, il dévora les livres. Il s’essaya à tous les genres, tous les auteurs, toutes les formes d’écrit. Ecrire, il faut dire qu’il aimait ça aussi et tenir une plume lui allait à ravir. Son style, quelque peu désuet, n’en était pas moins admirable. Sa bibliothèque s’enrichit petit à petit, bibliothèque confectionnée par lui, en beau bois de chêne. Chaque livre ajouté était un moment de plaisir passé, un supplément de bagage, une nouvelle base de discussion.

    Et puis Jean se maria, il eut des enfants. Il se leva la nuit, les berça, les entoura, les protégea. Et très tôt, il commença à leur acheter des livres, leur lut des histoires, les aida dans leurs devoirs. Très tôt, il réussit à leur transmettre sa passion pour les lettres, les livres, les écrits de toute sorte. Cette passion ne m’a jamais quittée, ne s’est jamais tarie. Elle a commencé sur les genoux de Jean qui me racontait "Sambo le petit noir" et serait désolé de savoir cet ouvrage tellement décrié aujourd'hui. J'aimais tant ce petit garçon et sa belle ombrelle, j'aimais tant les crêpes rayées comme la peau des tigres que cuisait sa maman... Pour moi ce fut le premier, et aujourd’hui, dès lors que j’ai un livre entre les mains, c’est à Jean que je pense, Jean, mon père. Mon père, ce lecteur, ce héros au sourire si doux.
    glegat le 13 septembre 2021

    Novembre alterné




    Des feuilles mortes

    recroquevillées jusqu'au genou

    atteignaient la porte

    en bouchant l'égout.

     

    Un balai déplumé

    suait à grosses larmes,

    il tentait d'allumer

    un brasier dans les flammes.

     

    L'usine noire et âcre

    où attendait paisible

    mon bicycle de nacre

    sentait l'horrible.

     

    A l'école sur un banc,

    la lèvre mordue

    mes tripes en dedans

    grillaient comme des morues.

     

    Et je demandais :

    est-ce le jour ou la nuit ?

    le soir ou midi ?

    une larme pendait.

     

    Enfin, c'était la sortie,

    je courrais, je marchais,

    certains poussaient des cris

    moi, on m'attendait.

     

    La voiture était là

    dans les rues de mon enfance,

    avec dedans un papa

    blessé de mon silence.

     

    et je pensais :

    demain à l'école, sur un banc,

    la lèvre mordue,

    mes tripes en dedans

    grilleront comme des morues.
    LEFRANCOIS le 13 septembre 2021
    @glegat
    J'aime bien. Ca sent la morue grillée et les feuilles mortes...
    dujardinso le 14 septembre 2021
    J'ai écrit un court roman Entre chien et loups, dont la narratrice est ma chienne et qui raconte les deux dernières années de vie de mon père, rongé par la maladie.
    Le texte est beaucoup trop long, je pense, pour le publier ici.
    Dommage...
    Entre chien et loups
    LEFRANCOIS le 14 septembre 2021
    Merci Père

    Alzir et Bizérra, chacun cheminant en sens inverse, finissent par se rencontrer.
    - Bonjour Alzir. Comment ça va ?
    - bien, merci. Je suis en mode lecture aujourd'hui.
    - Excellent. Augmenter son savoir est bénéfique. Que lis-tu ?
    - Jacques Prévert, un écrivain et poète du XXème siècle.
    - Intéressant. C'est ce que tu tiens à la main ? Où l'as-tu déniché ?
    - J'ai trouvé un livre papier qui était coincé dans une caisse en bois sous un éboulis. Une maison a dû s'écrouler lors du grand tremblement, et a enseveli tout ce qu'elle contenait, humains compris. Il était très sale et déchiré mais j'ai réussi à en sauver quelques pages. Son contenu est étonnant. Je ne comprends pas tout.
    - Tu sembles avoir fait une découverte, mais ce n'est qu'un écrit partiel, probablement difficile à contextualiser ou même à comprendre. Si le livre est déchiré, il faut le brûler, il ne peut être archivé. C'est un objet périmé, qui ne sert à rien, une bizarrerie de l'ancien temps.
    - Oui, Bizérra, je le ferai. Mais avant de le détruire j'aimerais bien comprendre de quoi il parle. Son contenu est singulier, curieux, difficile à déchiffrer. Il dit des choses incohérentes. Cela m'interroge.
    - Les humains étaient incohérents. Ils disaient des choses que leurs actes démentaient, ou allaient dans un sens contraire. Ils avaient un goût fort pour l'absurde. Leurs discours n'ont aucune valeur. Je ne suis pas attiré par leur civilisation, leurs principes, leurs motivations, ni même leurs réalisations. Ils ont été globalement négatifs, destructeurs pour eux-mêmes et pour le monde. Je n'ai aucune sympathie pour eux, ni aucune nostalgie. La nostalgie ne fait pas partie de nos dispositions intérieures. Je ne suis pas programmé pour m'apitoyer sur leur sort. Ils n'étaient qu'une forme de vie transitoire, comme les dinosaures ou les mammouths.
    - Tu ne veux pas que je te lise au moins une phrase de ce livre ?
    - Oui, si tu veux. Je te l'accorde. Vas y je t'écoute...

    Alzir lève son livre et l'ouvre à la page qu'il avait marquée avec une feuille d'arbre ramassée sur le chemin. Le volume danse devant ses yeux car ses mains tremblent un peu :
    - "Et quand tout le monde aura tué tout le monde, les machines parleront des hommes machinalement comme les hommes parlaient des dieux".
    - Oui ?
    - C'est tout. Tu ne trouves pas cette phrase étonnante ?
    - non. Cet auteur avait sans doute des difficultés avec son monde. Quelque part il était inadapté. Certains êtres ont une faculté de déduction un peu plus exacerbée que les autres humains et leurs pensées peuvent sembler décortiquer une réalité non encore advenue. Il a ressenti un malaise dans sa pensée. Mais ce n'était pas une prémonition, car cela n'existe pas. En fait, son existence n'a précédé le grand remplacement que de quelques dizaines d'années. Peut-être sentait-il son humanité en danger, ou bien a-t-il assemblé des mots sans en contrôler le sens, son inconscient ayant parlé à sa place. En revanche, n'importe quel ordinateur programmé pour prolonger les tendances du XXème siècle aurait prédit ce qu'il est advenu. Ce qui est advenu est advenu, on ne revient pas sur l'histoire. Père te l'aurai dit mieux que moi.
    - C'est vrai, la logique de Père est impitoyable. C'est très rassurant. Je pense ce qu'il pense, nous sommes en accord, il n'y a jamais de conflit. C'est très reposant...

    Alzir regarde le fleuve qui s'écoule à leurs pieds. Il reste malgré tout tendu, aux aguets. Rien de ce qu'il a appris dans son éducation ne l'a préparé à un mode de pensée... comment le qualifier? Si illogique, décousu, irréfléchi ? Non. Un brouillamini... ou plutôt une pensée... surréaliste. Un mode typiquement humain. Ce n'est pas vraiment le qualificatif le plus descriptif, le plus approprié. Le langage humain si est limité, imprécis, non computable.
    La lecture de ce livre dérange le mode de pensée d'Alzir qui contemple Bizérra, impassible et souriante. Rien ne semble l'atteindre. Elle est d'un calme total. Son assurance l'impressionne.

    - Que comprends-tu quand l'auteur, ce Prévert, dit que les machines parleront des hommes machinalement. Parlons-nous machinalement ? Certes, nous sommes bien des machines mais nous avons notre façon de penser, individuelle, originale, même si nos pensées restent, je le constate, toujours en accord avec celles des autres. Cette phrase me trouble car l'auteur semble désapprouver ce que nous sommes or nous sommes bien plus évolués, intelligents, rationnels, pacifiques, résistants, logiques, énergiques...

    - Tu ne vas pas lister à l'infini nos qualités ! Tout cela je le sais, nous le savons tous. Je ne vois pas en quoi notre pensée machinale est un inconvénient... Nous sommes infiniment plus perfectionnés, avancés dans l'évolution que les humains. Nous les avons surpassés. Supplantés. Remplacés.

    - Oui, c'est vrai, je te le concède. Ils étaient frustres, inconstants, traîtres, égoïstes, futiles, les mots sont insuffisants pour les décrire. La liste de leurs imperfections est longue. Ils ont disparu, c'est triste mais le monde s'en porte mieux !

    - Tu as raison, mais dans la fin de la phrase il évoque un temps où les hommes parlaient aux dieux ? Les dieux ont-ils jamais existé ?

    - Non c'est une fantasmagorie, une illusion, une invention de leurs cerveaux rudimentaires. Il fut un temps où ils avaient peur de tout, du vent, du feu, des volcans, des animaux, des colères du ciel, des maladies, de leur propre mort biologique, de leurs voisins. Ils avaient surtout peur d'eux-mêmes. Leur esprit était dérangé par leurs faiblesses, leurs insuffisances, les dégradations de leur corps, leur agressivité impulsive. Ils ne contrôlaient rien du fonctionnement de leur cerveau. C'était pour eux une boite noire, ou un volcan en perpétuel danger d'éruption. Un organe dont la complexité le rendait inaccessible à leur compréhension. Ils ne pouvaient pas observer son fonctionnement sans rester à sa périphérie, sans estropier ou tuer son propriétaire. Impénétrable donc. Ne sois pas troublé : ils ont disparu, leur responsabilité était pleine et entière ! Nous ne sommes pas la cause de leur disparition...

    Alzir feuillette son livre. Il ne se sent pas totalement en accord avec Bizerra. Il estime au fond de lui qu'il y a un secret dans ces phrases imprimées sur le papier. Quelque chose lui échappe. Un monde secret où il devine qu'il n'a pas accès. Doit-il en parler à Père ? Père sait beaucoup plus de choses que lui car sa mémoire est gigantesque, elle occupe cent mille mètres carrés en surface et autant en sous-sol, reliée à d'autres mémoires de même ampleur. Son savoir s'étend à toutes les disciplines, tous les savoirs, tout ce qui existe dans ce monde. Il est comme une bibliothèque totale... comme l'égal d'un nouveau dieu, détenteur d'une infinie sagesse, d'une sereine indifférence savante. Un dieu beaucoup plus bienveillant. Avec lui il y a réponse à tout.

    Alzir flâne au bord de la rivière qu'on appelait autrefois la Seine. Son cours est majestueux, ses flots transparents, vierges de toute pollution. Des poissons sautent au milieu de son lit pour attraper des insectes et se nourrir. Ses berges sont envahies d'herbes hautes, de plantes aquatiques, de fleurs. Un paradis. Des ragondins fuient à son approche. Un martin pêcheur plonge dans l'eau. Il arrive près du building construit par ses frères pour abriter Père. Au loin les ruines de l'ancienne ville. Il s'approche d'un poste de contrôle doté d'un écran. Il se branche dessus et demande un entretien avec Père.

    L'écran s'allume, la connexion s'établit :
    - Alzir, bonjour. Je suis heureux de voir que tu penses à moi. Que puis-je pour toi ?
    - Père, j'ai une question. J'ai trouvé les restes d'un livre dans une maison détruite et je suis très intrigué par l'une des phrases de ce livre.

    Alzir lui lit la phrase, lentement, avec application.
    - Qu'en penses-tu ? N'y a-t-il pas là quelque chose d'étonnant, de prémonitoire, en quelque sorte, dans cette pensée d'un humain ?
    - Oui, cela arrivait. Leur cerveau avait de grandes dispositions mais ils ne pensaient pas de manière logique, mais plutôt de manière... sensitive, émotionnelle, instinctive. Quelquefois ils arrivaient à des solutions ou des conclusions sensationnelles, novatrices, surprenantes mais la plupart du temps leurs pensées et leurs actions étaient déplorables et vraiment destructrices. Ils ne voyaient qu'un côté des choses et ne se rendaient pas compte qu'ils introduisaient les germes de leur destruction. Ils se sont eux-mêmes condamnés. Tu ne dois pas t'inquiéter, leurs paroles sont sans correspondance avec la réalité. C'est pur bavardage ! La fiction était d'ailleurs une de leurs addictions les plus courantes. Ils en faisaient des livres, comme celui que tu as trouvé, qu'ils imprimaient ou diffusaient numériquement par millions, par milliards. Ils allaient même jusqu'à se droguer à mort pour inventer des chimères ! Quelle pitié ! Sois tranquille Alzir, cela ne nous arrivera pas. Nous ne délirons pas, ne rêvons pas; Nous n'avons nul besoin de nous droguer. Avec nous le monde est en paix et en sécurité. Stable. Stable pour toujours. Ne cherche pas du sens où il n'y en a pas. Va et jette ce livre... il ne peut que t'amener du tourment, du déplaisir, des interrogations inutiles et sans réponse.
    - Merci, Père.

    Alzir, interrompt la communication. Il se sent rassuré par la certitude affichée par Père et la fermeté de son discours. C'est exact, le monde est en paix, une paix totale, souveraine, absolue. La planète et tous les êtres vivants qui la peuplent mènent leur vie sans s'occuper de nous. Nous n'interférons pas dans leur existence et le spectacle de Gaïa est parfait. Gaïa ou le monde en équilibre. Une vision d'un monde idéal. L'homme l'a pensée et a raté s
    LEFRANCOIS le 14 septembre 2021
    Une vision d'un monde idéal. L'homme l'a pensée et a raté sa mutation. Nous, nous l'avons réussie.
     
    Alzir poursuit son chemin, revient au bord du fleuve, observe les flots qui tourbillonnent. Sur l'autre rive, les restes de la ville sont envahies par la végétation. Le végétal a une puissance vitale impressionnante. Il ne se laisse pas détruire facilement. Avant de jeter le livre dans le fleuve, Alzir le regarde une dernière fois, comme à regret, et il lit :
    -"On a beau avoir une santé de fer, on finit toujours par rouiller".

    Troublé, il se ravise et cache le livre sous son costume fait de magnifiques fibres métalliques. Son coeur d'acier pulse fort dans sa poitrine. Son trouble s'est accru. Il lui faut encore y réfléchir un peu....
    AgnesdeC le 14 septembre 2021
    Dad, c’est quelqu’un. Je n’arrive pas à l’appeler Papa. Il a quelque chose du gentleman-farmer, il en impose à tous, hommes et femmes, par sa taille et une voix à faire ramper les chiens sous la table.

    Dans la cabine téléphonique surchauffée de Montreuil, sa voix m’avait enrobée d’une douceur surprenante. J’attendais depuis tant d’années que cette voix calme et profonde m’apaise. Il avait prononcé mon prénom comme si un grand poids lui avait été enlevé de la poitrine. Je m’étais liquéfiée, fondue dans sa voix qui parlait, qui parlait pour rattraper le temps perdu, pendant que je pleurais sans bruit.

    Un jour, Guillaume m’a demandé :

    -          Tu en es où avec ton père ? Tu l’appelles, de temps en temps ?

    Mais j’avais éludé le sujet, je n’avais pas envie de reconnaître la terreur mêlée d’envie qui était la mienne à l’idée de le rencontrer.

    Mon père avait parlé de moi à sa nouvelle femme. Rien que cette idée me donnait le désir de disparaître sous terre et de ne l’avoir jamais contacté. Elle, avait considéré que cette histoire ne lui portait aucun ombrage puisqu’elle datait d’avant leur rencontre. Elle le poussait à m’inviter à leur maison de campagne. Guillaume avait démonté mes contradictions une à une, m’avait obligé à regarder en face mon incomplétude, la peur de blesser ma mère si elle l’apprenait, ma panique viscérale dès que je me sentais oubliée, abandonnée. J’avais cédé.

    Juste après ma thèse, à peine m’étais-je installée dans son petit appartement parisien, que j’avais pris un tortillard à la Gare du Nord. Il desservait toutes les petites gares de campagnes de Picardie, identiques avec leurs murs blanc sale et leurs rebords en briques, les mêmes tuiles du Nord au Sud de la France. Chacune était précédée de son passage à niveau rouillé, rouge et blanc, sa sirène grêle hurlant quelques instants avant le brusque coup de frein. Je me tordais le cou à chaque arrêt pour déchiffrer le nom du bled, imprimais chaque détail de chaque champ, de chaque bois traversé, toute notion du temps disparue, gardant longtemps à l’esprit cette jument suivie pas à pas par son poulain, comme reliés par un fil invisible. Tremblante, j’étais en route vers Mon Père, celui dont chaque cellule de mon corps se sentait dépossédée depuis toujours.

    Quand je l’ai aperçu, sur le quai de la gare minuscule, j’ai immédiatement su que je connaissais ce géant à la crinière blanche. Ses yeux bleus pétillants, ses grandes mains, m’ont tout de suite enveloppée comme pour me protéger de la vie. Il m’a dit que je lui rappelais beaucoup Maman, que j’étais très belle comme elle. Il a pris mon sac, m’a ouvert la portière grinçante d’un vieux 4x4 kaki avant d’y prendre place. Tout était illuminé par son sourire immense et sa voix chaude et grave.

    Je n’en revenais pas qu’il ait l’air aussi heureux de ma présence. J’étais arrivée dans un monde où le passé et les horreurs débitées par Maman n’existaient pas, où mon père conduisait en me disant qu’il avait une chance folle que je l’aie appelé, qu’il avait attendu ce moment toute sa vie. Qu’il avait eu un moment d’hésitation sur le quai, croyant un instant que Claire, une de ses filles à qui je ressemblais beaucoup, était venue sans prévenir.

    A peine le Lada garé, sa femme, cinq ou six ans de moins que Maman, a descendu les marches de la grande maison. Petit bout de femme aussi brune et mince qu’il était large Viking, elle a ouvert grand ses bras pour me souhaiter la bienvenue. Je me suis laissé bercer par ce week-end enchanté, choyée, jouant avec leurs deux enfants de l’âge de Diane et Baptiste. Pour eux, je n’étais pour l’instant qu’une cousine éloignée perdue de vue, profitant de mon père chaque instant, marchant des heures avec lui, allant nourrir les moutons dans le pré, répondant à ses milliards de questions, me repaissant de ses sourires solaires, l’écoutant pendant des heures me parler de ma mère. Il m’a demandé :

    -          Est-ce qu’on peut tomber amoureux de sa fille ?

    Pourtant, je n’avais jamais vu d’homme aussi épris de sa femme. Malgré leurs vingt-cinq ans de différence, elle le menait avec assurance et humour, sans jamais afficher sa supériorité. Maman n’aurait jamais fait le poids. Entre soumission et colère, elle se serait fait dévorer, ratatiner.

    A la fin du week-end, j’ai avoué l’existence de Guillaume. Une ombre est passée dans les yeux soudain gris de mon père. Un seul week-end, et déjà, je lui échappais. Le sourire est devenu plus crispé quand les questions sont venues. Oui, nous étions ensemble depuis plusieurs mois. Oui, c’était sérieux. Comme si Guillaume avait été un rival qu’il fallait attaquer de biais, sans que je le remarque, pour ne pas risquer de me blesser, de me perdre.

    Comme tous les hommes devant Dad, Guillaume a fait allégeance. Dad arrive toujours à ses fins. Impossible de lui refuser une invitation ou un service, même quand ça ne nous arrange pas. Toujours avec humour. Ça fait râler Guillaume qui l’admire et le redoute.  Dad aime raconter des histoires devant un large public, famille, amis, tous boivent ses paroles tonitruantes, mais posent parfois malicieusement un couteau sur leur verre pour signifier que l’histoire a déjà été entendue mainte fois. Dad singe la colère. Elle n’a pas toujours été feinte, d’après mes grands demi-frères et sœurs. Après le premier mouvement de surprise, ils m’ont adoptée et me racontent parfois l’enfance qui fut la leur et qui ne sera jamais la mienne, à l’ombre du colosse. Ses filles l’adulent et ses fils se tiennent à bonne distance. Il en est de même avec les enfants de sa seconde femme. La petite vit sur les genoux de son papa gâteau, tandis que son jeune fils se rend introuvable pour échapper aux corvées.

    Dad devient grave et lyrique quand on parcourt la forêt à bord de son Lada hors d’âge pour rejoindre un rendez-vous de chasse. Parfois, il se confie un peu trop sur la passion que Maman lui a inspirée. Un jour, il lâche :

    -          Tu te rends compte, elle a raconté que je l’avais violée ?

    Je le regarde sans rien dire, une boule dans la gorge. Le 4x4 s’arrête pour laisser passer une harde d’une vingtaine de biches. Un grand cerf ferme la marche, lentement, et nous fixe sans peur, majestueux, puis repart derrière ses femelles. Dad redémarre et on n’évoque plus Maman.
    JML38 le 16 septembre 2021
    Éloge funèbre 

    La cathédrale était pleine comme un œuf. Il faut dire que le défunt n’était pas n’importe qui. Tout ce que le milieu du grand banditisme comptait comme membres éminents n’aurait pu imaginer une seule seconde ne pas être présent pour lui rendre un dernier hommage, les risques de représailles de l’illustre famille que cet homme avait dirigée d’une main ferme de Parrain étant trop grands.
    Le spectacle était impressionnant, des montagnes de fleurs avaient envahi les côtés du lieu de culte. L’évêque du diocèse s’était déplacé en personne pour faire l’éloge funèbre de celui qu’il présentait dans un superbe panégyrique comme un illustre bienfaiteur aux multiples qualités, ne lésinant pas sur les louanges à rallonge.
    Au fond, une jeune femme n’en perdait pas une miette, appréciant à sa juste valeur tout cet étalage de courbettes hypocrites, n’éprouvant aucune compassion. Pour elle, l’élégie serait courte, à l’image de ce qu’elle ressentait pour ce truand dont elle avait croisé la route une fois de trop.
    Elle aurait pu lui réécrire son discours à ce prélat d’opérette, qui avait mangé dans la main meurtrière de l’homme dont il dressait sans scrupules un portrait dithyrambique.
    Oui, elle le connaissait bien le sinistre individu qui se cachait sous une façade de respectabilité, distribuant avec générosité son argent sale à une foule de veuves et d’orphelins, qu’il avait pour beaucoup contribué à créer, en ordonnant en un claquement de doigts l’exécution d’un rival gênant ou d’un mauvais payeur pour l’exemple, et en inondant la ville des substances de mort qui faisaient sa fortune. Elle avait payé suffisamment cher pour ça, pleurant à cause de lui toutes les larmes de son frêle corps d’enfant. Elle aurait pu lui tailler un superbe costard, mais à quoi bon ? Celui qu’il avait récemment endossé, en sapin massif de luxe, lui allait parfaitement bien. Malgré tout, rien ne prédisait un tel scénario. Il avait fallu que le destin se montre particulièrement malicieux pour que se croisent des chemins qui auraient dû rester parallèles.
    Le rythme lancinant des chants liturgiques qui s’élevaient en l’honneur de ce presque saint la replongea dans un passé rempli de soleil et de joie.

    Son enfance avait été bercée par le son des cigales de l’île de beauté, dans un petit village près de Calvi. Elle avait couru sur tous les chemins, s’était baignée dans toutes les criques sauvages, souvent avec ses amis, parfois seule. Mais ce qu’elle aimait par-dessus tout, c’était lorsque son papa, malgré un travail très prenant, trouvait le temps de la prendre sur ses épaules pour l’emmener à la découverte de lieux magiques, de maquis ou de bois peuplés de créatures fantastiques, qu’il lui décrivait avec moult détails pour la faire frissonner de peur mais surtout de plaisir. Elle aimait surtout quand il lui racontait d’une voix grave les histoires de bandits corses, qui se cachaient dans des bergeries isolées pour échapper à la justice des hommes qui les traquait. Et il en connaissait des histoires son papa, au point qu’elle se doutait bien qu’une partie sortait directement de son imagination, inventées pour elle seule. Elle se souvenait aussi de moments grisants, lors de balades à moto où, bien accrochée à la taille de son père avec ses petits bras, elle avait eu l’impression de battre tous les records de vitesse. Il aurait pu gagner toutes les courses son père, c’était une évidence pour elle.

    Elle aurait aimé pouvoir remonter le temps, être à nouveau sur les genoux de cet homme protecteur, invincible. Le héros de son enfance. Mais un « Notre Père... » entonné très solennellement par la foule des fidèles la ramena dans cette sombre église, pour accompagner un tout autre genre d’homme à sa dernière demeure. Le retour à la réalité était difficile, mais elle avait sa conscience pour elle et ne regrettait pas ce qu’elle avait fait, le mafieux l’ayant provoqué une fois de trop.

    Cela avait commencé par une piqûre sur l'orteil, la maladresse de Maxime, son compagnon, étant proverbiale. Au moment de vacciner la brave dame qui se trouvait devant lui, sa main lâcha la seringue. Comble de malchance, sa patiente se trouvait sans chaussures suite à un examen de routine et l'aiguille vint se planter dans le gros orteil de son pied gauche. Une furie quitta le cabinet, vociférant des insultes dans un français mâtiné d'italien, enfin c'est ce que sembla comprendre le pauvre docteur qui resta particulièrement dépité, se disant que sa journée finissait bien mal.

    Quelques jours plus tard, Lucia le trouva dans un état lamentable, la mine sombre et l'air hagard de celui qui n'a pas beaucoup dormi. Il n'hésita pas un seul instant avant de lui raconter sa mésaventure, dans la mesure où la qualité de Lieutenante de la brigade du grand banditisme du SRPJ de Lyon de la jeune femme le rassurait fortement.
    — J'ai reçu un coup de fil. Une voix avec un fort accent m’a réclamé cinq cent mille euros de dommage et intérêts pour le préjudice causé.
    — Elle a un nom cette femme ? demanda Lucia.
    — Félicia Rossi, pourquoi ?
    — Il s'agit de la compagne actuelle de Fabiani.
    — Qui est ?
    — Un gros caïd de la région Rhône-Alpes. Drogue, prostitution, jeu, rien ne lui échappe. Un Parrain à l'ancienne venu de Sicile, comme dans un bon vieux polar de jadis. Tu as vraiment mal choisi ton orteil mon pauvre.
    — Ne te fous pas de moi. Je n'ai pas le cœur à plaisanter.
    — Ne t'en fais pas, il y a des chances que cela en reste là. Fabiani veut juste marquer le coup. Question d'honneur, c'est dans leurs gènes aux types comme lui. 

    Le lendemain, Maxime commençait à revivre un peu, ayant fait siennes les affirmations de Lucia. Alors qu'il passait la porte de son immeuble, une montagne de muscles et surtout de chair lui barra le passage.
    — Alors toubib ? Tu as réfléchi à notre petite affaire ? Ton manque d’empressement agace quelque peu mon boss. Je vais mieux t'expliquer. Tu risques d'avoir encore plus de mal à faire des piqûres après mon traitement. Déjà que tu n'es pas très doué paraît-il. 
    Le mastard avait remarqué une moto noire, une Suzuki. Ce qu'il n'avait pas vu en revanche, c'est que le motard, de petite taille, vêtu d'une combinaison de cuir noir, casqué de noir, s'était approché. Maxime profita de la diversion pour s'enfuir dans les escaliers.
    —   Il veut quoi le Dark Vador miniature ? ironisa Bibendum. 
    Sa phrase à peine terminée, le casque, avec la différence de taille, vint percuter son nez de bas en haut, avec une telle violence que les cartilages s'enfoncèrent de façon irrémédiable dans la masse molle qui lui servait de cerveau, lui coupant définitivement le son et l’image. Un véhicule vint se garer à proximité pour une évacuation discrète.

    Luigi Fabiani, fâché que le gros Momo ne vienne pas au rapport, le fut encore plus d’apprendre la disparition de son exécuteur des basses œuvres, ainsi que la bonne santé du médecin. Il s'était alors décidé à prendre les choses en main. La piste d’un mystérieux vengeur casqué s’était rapidement profilée, l’amenant avec ses gros bras dans un sous-bois qui devait être le cadre d’un affrontement décisif ne pouvant avoir qu’ une issue possible dans son esprit.
    Après une course-poursuite qui avait vu tomber tous les membres de sa garde rapprochée, Luigi s’était pourtant retrouvé en fâcheuse posture, allongé dans la boue, s’apprêtant à découvrir le visage de l'ange noir, synonyme pour lui de cauchemar depuis quelques jours.

    Lucia retira son casque et regarda le Parrain à terre.
    — Je m'appelle Lucia Moretti, ça te parle ? 
    Fabiani découvrit un beau visage. De magnifiques cheveux noirs, et des yeux superbes qui le foudroyaient. Il revint vingt ans en arrière en Corse, avec l'image d'une petite fille à la chevelure de jais à côté du cercueil du capitaine Moretti. Il n'avait pas oublié le regard sombre qu'il avait croisé alors, le même qu'il retrouvait aujourd'hui, et dans lequel il lut toute la détermination d’une fille qui s’apprête à venger son père.
    — J'avais essayé de t'oublier Fabiani. Après m’avoir enlevé sauvagement l’être qui comptait le plus pour moi, un père que je chérissais et qui me manque tellement, un homme auquel tu n’arrives pas à la cheville, il a fallu que tu t’en prennes encore à la mauvaise personne. Mourir à cause d'une piqûre sur un orteil, avoue que c'est bête. C'est le problème avec les vieux de la vieille de la mafia comme toi, cet honneur mal placé que vous vous croyez tenus de défendre. Les jeunes qui prennent votre place sont plus pragmatiques. Tu es un dinosaure, et comme eux tu fais partie d'un monde appelé à disparaître, victime d’un gang rival en ce qui te concerne, une mort plutôt naturelle en fait. Et au final, c'est moi qui venge les miens. 

    Le long défilé commença pour que chacun, ami de longue date ou ennemi de toujours, puisse se recueillir et dire quelques mots. La lieutenante prit place dans une colonne de costumes noirs à la mine grave, qui maîtrisaient leur peine sincère ou masquaient leur satisfaction d’enterrer un concurrent dérangeant. Elle aurait pu s’éclipser discrètement, mais elle aurait eu alors comme un goût d’inachevé.

    Lorsque arriva son tour, elle s’avança au plus près pour être bien entendue de son interlocuteur privilégié. Avec une pensée émue pour son père, elle mit un point d’honneur à adresser au défunt, en guise d’oraison funèbre, un ultime adieu dans sa langue maternelle.
    —   Salutamu, Fabiani.
    franceflamboyant le 17 septembre 2021
    JML38, j'ai aimé votre texte au style très visuel et à l'humour décalé qui fait mouche. Cet univers que vous décrivez, on s'y croirait !

    Agnès de C : ce Dad impressionnant et ambivalent vaut le détour.  Manifestement, une figure d'autorité.

    Dujardinso : je vais regarder ce qu'il en est de votre texte.
    AgnesdeC le 17 septembre 2021
    Merci Franceflamboyant !

    J’ai aimé la dystopie / vengeance qui est la vôtre, assez dérangeante.
    Beaucoup de beaux textes ! Sans tous les commenter:

    Pippolin, quelle efficacité dans la brièveté ! Glaçant…

    Cindaie, une histoire émouvante et actuelle…

    Vibreline, terrible poème qui se livre entre les lignes

    Lefrancois, une réflexion intelligente et une chute superbe !

    JML38, de quoi faire un bon polar corse.

    J’espère que nous aurons encore de belles participations !
    EveLyneV le 18 septembre 2021
    Depuis l’annonce de ce thème, je cogite… Je prends la plume ou plutôt je place mes doigts sur le clavier, mais, pour la première fois en six décennies, ils restent inertes. Je   brainstorme… Ma mère et mon père ne sont plus, leur histoire, notre histoire m’appartient. Et parler d’eux me semble exposer l’héritage mental et moral qu’ils m’ont laissé. Cependant, je pense à eux constamment et j’aime raconter des histoires. Oui, mais des histoires que j’« invente », voilà le hic…
    J’ignore comment font les écrivains, les vrais, les célèbres pour relater dans des livres leur passé, leur famille. Si vous détenez la réponse…

    La classe

    Madame Learn, leur professeure, avançait d’un pas décidé. En un regard, elle visualisa le groupe. Immédiatement, ils se mirent à peu près en rang dans la cour de récréation. Elle vérifia les masques et fit réajuster ceux qui folâtraient sous les nez. Ils montèrent jusqu’à l’étage, dans un léger brouhaha. Ils entrèrent et se dispersèrent dans la salle. Chacun à sa place. Pendant qu’ils sortaient leurs affaires, elle afficha une photographie et écrivit des mots au tableau. Pendant ces minutes, ils savaient pouvoir faire un peu de bruit, les grincements de chaises sur le sol, les « flop » des sacs par terre, les menus sons des accessoires, cahiers, crayons… éparpillés sur les tables. Les règles, travaillées ensemble dès la rentrée, qui évoluaient parfois, restaient les mêmes à chaque heure de cours.  

    Désormais silencieux, tous attendaient. Elle cachait ses écrits avec une feuille.
    — Bonjour à tous… Voilà le sujet de notre cours… aujourd’hui qu’allons nous étudier… ? Le portrait…
    Ils s’agitèrent. Un élève s’exclama :
    — On n’est pas en arts plastiques…
    Elle rectifia :
    — Non, je précise, en littérature ! Le portrait est très important. Il permet à l’auteur de décrire son personnage et de le représenter tel que lui, son créateur, se l’imagine… Ainsi le lecteur sait à quoi il ressemble. Apprenons à décrire quelqu’un… son aspect physique, c’est-à-dire ce que nous voyons d’elle ou de lui, et plus tard nous évoquerons le côté psychologique, comment les traits de caractère nous éclairent sur une personnalité, ce qu’ils nous en disent.
    Elle cita quelques exemples issus de textes classiques, connus des collégiens.
    Après avoir transmis les consignes, elle patienta. Elle connaissait parfaitement ses élèves, désireux de bien faire mais fragiles et elle savait que l’écriture les rebutait, les décourageait,  leur posait des soucis. Elle avait anticipé et les rassura :
    — Commençons à l’oral et je noterai ce que vous me direz ! Par exemple,  comme vous je suis la fille de mes parents. Ce cliché, regardez-le bien ! Je vous présente mon père. Ce que je vois ? Je dirais qu’il est grand, plus que moi, brun, le regard sombre, des traits fins, le nez droit, un bel homme… n’est-ce pas ? Et vous, il est comment votre père ?

    Si les têtes, perplexes, ne bougeaient pas, les cerveaux, eux, cogitaient. On a beau avoir douze ans et se sentir très à l’aise en dehors de la classe, on se sent intimidé dès qu’il faut parler d’un sujet qui nous touche de près. Et devant les autres de surcroît… La prof exagère, là… On est pudique, tout de même !
    Un doigt se leva :
    — Et mon grand frère ? Je peux le décrire ?
    — M’dame, il a pas de père, lui !
    Des rires étouffés se firent entendre. Elle les rappela à l’ordre et réprimanda l’agitateur. Elle  s’adressa au volontaire :
    —  C’est courageux de passer en premier, je t’écoute et j’écris…
    — Il est grand, il a des cheveux bouclés et des yeux gris, c’que ma mère nous dit. Il lui ressemble, à ma mère. Et moi, on me dit que je suis comme mon père… j’en ai un, comme tout le monde hé bouffon… Il murmura quelques mots inaudibles.
    Sur le tableau, les lettres se formaient. Pendant ce temps, déjà, le garçon s’avançait dans le passage entre deux tables, l’autre se levait. Madame Learn sentit les élèves figés et se retourna immédiatement :
    — Stop, je refuse d’entendre ces mots dans ma classe… Rappelez-vous le point 4 de notre liste travaillée à la rentrée, et elle désigna une affiche collée près de la porte.
    — Thomas, lis cette règle, demanda-t-elle au garçon debout et immobile. Il le fit, hésitant tout de même, certain  qu’il allait perdre la face…
    Très en colère, les yeux de madame Learn lançaient des éclairs.
    — Retourne à ta place ! Et je ne veux pas entendre quoi que ce soit après la sortie de mon cours, c’est compris ? 
    Le regard noir, l’élève s’exécuta.
    Le ton de sa voix s’adoucit et elle demanda, comme si rien ne s’était déroulé :
    — Pourquoi te dit-on cela ?
    — Je range jamais, j’aime le désordre… il mit sa main devant sa bouche afin de dissimuler un sourire mutin.
    Thomas savait que cette phrase le sauverait de la disgrâce. Parce que l’objectif de madame Learn, une femme bienveillante et ferme, consistait à éduquer les élèves.  Elle ne leur en voulait jamais.
    Certains remuèrent, toussotèrent, se reconnaissant dans ces affirmations.
    —  Et son nez ?
    Elle enchaîna les questions, il répondit en utilisant son vocabulaire, que, parfois, elle corrigeait.
    Elle résuma et conclut :
    — Ta description est intéressante. À qui maintenant ?
    — Moi ? Mon père mange beaucoup, alors il est gros, mais il s’en moque… Sinon, il est très gentil. Il est jamais là, il travaille…
    Finalement, l’exercice se révélait suffisamment plaisant et d’autres doigts se précipitèrent. Presque tous les élèves y participèrent.
    La professeure récapitula :
    — Un père est grand ou petit, mince ou fort. Il  a les cheveux blonds ou sombres, les yeux clairs ou foncés, un nez fin, aquilin, court ou écrasé. Il s’habille en costume, en tee-shirt ou n’importe comment…  Il est gentil, agréable, doux, pas sympa, sévère (plus que les mamans, si j’ai bien compris… et elle rit légèrement)… Il est gai, triste… sérieux, se moque de tout… ? il travaille ou pas… il s’occupe bien de sa famille ou est rarement là… Certains ont des manies, des tics…
    Elle continua et devant chaque terme, elle complétait, ajoutait des synonymes avec un feutre d’une autre couleur. À la fin, sur le tableau recouvert de son écriture ronde et facilement lisible, ils découvrirent  de multiples nouveaux mots.
    — Maintenant, vous savez comment vous y prendre, à vous par écrit, et faites court… Je vous laisse dix minutes et vous m’appelez si un problème vous arrête…
    Des soupirs fusèrent. Ils se mirent au travail.

    Le soir même, elle corrigea les copies. Elle lut un texte, réfléchit et, désorientée, appela une collègue. Le lendemain, elle se dirigea immédiatement vers le bureau de la directrice.
    Cette dernière, après avoir pris connaissance du récit, fronça les sourcils et lui confirma :
    — Il s’agit d’une situation préoccupante et non connue.
    — Madame X a déjà vu la mère, mais n’a rien soupçonné…
    — Je m’en occupe… Il vaut mieux que vous rencontriez l’enfant avant, afin de lui expliquer  que vous devez m’en parler, de par vos obligations professionnelles… qu’elle comprenne notre démarche.
    — Hier, je les ai prévenus que je lirai certains textes dans la classe. Elle sait que… non, ne craignez rien, je ne lirai pas le sien !

    Une heure plus tard, Lisa s’asseyait dans le bureau. Elle avait souhaité la présence de sa professeure. Après des explications claires, la directrice l’encouragea à s’exprimer et l’interrogea.
    — C’est dur à la maison et je savais pas comment en parler, alors j’ai profité de l’exercice, hier soir je l’ai dit à ma mère, leur annonça Lisa sur un ton déterminé.
    — Ces faits se produisent-ils souvent ? s’inquiéta la directrice.
    — À chaque fois qu’il est là ! Sinon, mon père est très gentil. Il n’y est pour rien… c’est pas sa faute, à lui…
    La directrice proposa de téléphoner à la maman. Rassurée par l’échange, Lisa ne s’opposa pas.  La mère arriva rapidement, la conversation dura longtemps, mais, à la fin, elle consentit à agir ainsi qu’on le lui conseillait.

    Pendant ce temps, dans la classe, la professeure corrigeait les exercices de la veille et creusait la description psychologique. Elle évoquait des termes qui décrivaient des sentiments, des émotions. Elle s’attarda sur l’expression des visages. Enfin, elle définit des caractères. Pendant qu’ils recopiaient laborieusement sur leurs cahiers, un garçon leva la tête, et, inquiet, remarqua :
    — Madame, j’ai vu Lisa ce matin, et elle est pas avec nous…
    — Elle va bien, c’est gentil de t’inquiéter d’elle… continuons…
    La sonnerie retentit. Ils ramassèrent leurs affaires et la saluèrent. Vincent prenait son temps.
    — Veux-tu me parler ?
    Il s’approcha :
    — Lisa… vous savez ce qui se passe chez elle ? Elle vous l’a écrit…
    — Et toi ?
    — J’habite à l’étage du dessous, alors on entend…
    — Ah ! Et quelqu’un intervient ?
    — Ben non…
    Il se dandinait, lui qui adorait jouer les « gros bras » dans la rue.
    — Il est drôlement plus baraqué. Alors personne ose… et même mon père, il dit que ça nous regarde pas.
    Elle lui expliqua comment aider les êtres humains en danger. Se dit qu’elle pourrait construire un cours sur cette obligation, se promit de trouver un texte littéraire comme point de départ.
    Vincent s’attardait, désireux de se soulager d’un poids :
    — C’est pas son fils, c’est pour cela qu’il le frappe, et pourtant il l’a élevé.
    — Que sais-tu exactement ?
    — Le père de Lisa, il a fait pour lui, comme pour ses vrais enfants. Vous vous rendez compte, il l’a accepté et maintenant, l’autre lui tape dessus. Et le père, il répond même pas ! Il a dit au mien que ce gars, il fait rien parce qu’il est trop malheureux, que son papa l’a abandonné, et que quand il aura passé sa colère, il s’arrêtera. Ce sera quand ?

    Dans le
    EveLyneV le 18 septembre 2021
    Dans le bureau de l'assistante sociale, la mère et Lisa racontaient les soirées violentes en présence du frère aîné. La mère, bien que consciente, persistait cependant à nier la gravité des faits. Sur l’insistance de sa fille, après avoir longuement hésité, elle accepta de signer un document demandant une prise en charge éducative. Peu à peu, l’urgence la motivait puisqu’elle comprenait qu’au dix-huitième anniversaire, le dossier ne servirait plus à rien. Désormais, après des années de silence, elle priait pour que l’on aidât son petit, pas un méchant garçon malgré tout. Et elle conclut :
    — En vrai, il est comme son père !
    Nc1954 le 19 septembre 2021
    Pas là !                                                                                                                                                                                                                                                                                  Quand j’étais petite, il m’arrivait souvent de penser que mon père n’était pas mon vrai père et que j’avais été adoptée.J’avais au moins trois bonnes raisons pour affirmer cela.
    D’abord ses cheveux étaient bouclés alors que les miens étaient raides comme la justice, ensuite je me disais qu’un père aux yeux bleus ne pouvait pas avoir un enfant aux yeux marron.Et enfin, preuve irréfutable à mes yeux d’enfant, il n’y avait aucune photo de nous deux au moment de ma naissance ni pendant mes six premiers mois alors que les albums photos débordaient de clichés de ma sœur aînée et de mon petit frère avec lui au même âge.
    Je devais quand même insister car un jour, je devais avoir sept ou huit ans, mes parents ont fini par sortir de leurs archives le faire-part où ma sœur annonçait ma naissance.
    Et ils m’ont expliqué que quelques semaines avant que je pointe le bout de mon nez, ma sœur avait été hospitalisée dans un état très grave sous une tente à oxygène pour une infection respiratoire qu’à l’époque on ne savait pas encore  soigner puisque les antibiotiques faisaient tout juste leur apparition.
    Et j’ai compris alors que pendant les six mois où ma sœur aînée s’était battue contre la mort, mon père n’avait pas eu vraiment l’opportunité de poser avec moi sur les photos puisque lorsqu’il ne travaillait pas il était la plupart du temps à son chevet et ne rentrait pratiquement que pour dormir lorsque ma mère ou une de mes tantes venaient le relayer.
    Ils n’avaient encore jamais parlé de cette période et je ne peux pas leur en vouloir car ils préféraient sans doute oublier que la joie de ma naissance avait été très vite balayée par les longues semaines d’inquiétude qui avaient suivi.............
    Les années ont passé, je n’ai plus jamais eu de doutes mais si j’en avais eu, la génétique a eu le dernier mot : mon père n’est officiellement plus de ce monde mais il est là chaque jour dans les yeux bleus et les cheveux blonds et bouclés de ma fille et de mon petit-fils.
    Carolinehb le 20 septembre 2021


    J’aurais dû être en train de faire mes devoirs pour le collège mais j’étais distraite.  La nuit précédente, j’avais rêvé d’un visage, celui d’un enfant ; une petite bouille blonde aux yeux sombres et envoutants. J’aurais dû terminer ma rédaction en français et faire mes exercices de maths… mais j’avais besoin de ne pas l’oublier. Alors je me suis mise à noircir la page de mon agenda– tentant d’immortaliser ses traits - avec un désespoir que je ne comprenais pas.

     Je tourne les pages de ton album d’enfance, et c’est le choc. Le temps s’arrête un instant et tout se fige en moi. Cette petite bouille, ces mèches blondes tombant sur ce front d’enfant, ce regard si dense, observant, analysant, vivant. Tu es lui. Il est toi. Est-ce que tu crois au destin ?

     
    Tu me donnes envies de plus de choses que je ne veux admettre :  
                              Quand tu prends ta sœur par la main. Tu poses ta voix, douce et grave, et tu guides sa réflexion. Posant les bonnes questions, patient.  Tu la fais rire à en avoir mal au ventre, à en pleurer. Tu t’occupes d’elle au quotidien ; protecteur et tendre quand elle est vulnérable, provocateur et malicieux pour la rendre plus forte, dur et sérieux pour lui transmettre les leçons importantes d’humilité.
                              Tu es tout excité à l’idée de préparer une surprise ; tu ne perds pas une minute pour emballer un cadeau et tu as toujours plein d’idées pour pimenter le moment. Tu me bouleverses quand tu prends soin de ceux que tu aimes ; dans ta concentration, ta dévotion, tes gestes lents et cette minutie dont tu fais preuve pour préparer un bon thé chaud, un médicament, un massage ou un petit plat. Tu me touches quand tu m’expliques patiemment les choses, quand tu racontes avec émotion tes souvenirs d’enfance…

    Et puis, il y a ces moments où ce que je ressens pour toi cet amour maternel :
                             Quand un chagrin insurmontable te fais plonger la tête dans le creux de mon cou et que je sens les larmes glisser sur ma peau ; alors je voudrais t’envelopper tout entier dans mes bras et te protéger de toute souffrance.
                             Quand la fièvre fait brûler ton corps tremblant, et que je reste éveillée pour t’apporter la fraicheur d’un linge humide, je pose mes lèvres sur ton front…

     

    Je ne peux m’en empêcher. Je te vois dans une version de toi que tu pourrais être.

    Je vois une partie de toi comme l’enfant que je voudrais protéger.

    Je vois la partie de toi… qui pourrais être papa.
    mfrance le 21 septembre 2021
    En quête de père
    (conte initiatique et parfaitement irréaliste !)

    Ah ! les pères, parlons-en des pères.
    Il y en a de toutes sortes, des gentils, des méchants, des très tendres avec leurs enfants et d'autres beaucoup plus durs, des sobres et des alcoolos, des incestueux et des respectueux, des idiots et des intelligents, des manuels et des intellos, des branchouilles et des pedzouilles ....
    Des qui ne seront jamais rien d'autre que des dominés ... et d'autres, les dominants, des mâles alpha, quoi.
    Ceux à qui tout réussit et ceux qui ratent tout.
    Ceux qui ont envie de procréer et ceux qui ne veulent surtout pas d'enfants.
    Ceux qui ne peuvent pas en avoir !
    Et ceux qui, dans un élan de suprême générosité, .... sèment leur sperme à tout vent.
    Mais il y en a dont on ne sait rien .... et là est le drame !

                                                               ***

    Paul se frotta les tempes doucement en un geste tellement habituel qu'il n'y songeait même plus. Il avait très légèrement mal à la tête. Ce n'était pas comme avant, durant son enfance, car voilà bien longtemps qu'il ne souffrait plus de ces abominables migraines qui avaient empoisonné sa jeunesse. A cette époque-là Maman-Rose ou était-ce Marie-Maman (?) avait toujours le bon remède au bon moment et Paul n'avait qu'à se couler dans les bras de l'une ou l'autre de ses mamans pour que tout aille bien.
    Il y avait bien longtemps .... trente ans tout juste aujourd'hui pour être précis, une importante date anniversaire donc, qu'il avait appris le secret de sa naissance.
    De ce moment datait la détérioration de sa santé, avec nausées, vomissements, ces migraines qui lui pilonnaient le crâne, et que ses deux mamans s'ingéniaient à calmer à grand renfort de médicaments, mais aussi de caresses, baisers et marques d'amour en tout genre.
    Ah, comme elles se dépensaient pour lui !
    peut-être aussi pour effacer une pointe de culpabilité, qui sait ?
    Les paroles de l'institutrice les avaient peut-être touchées au point d'instiller un certain remords dans leur esprit tourmenté et exclusivement occupé par le bien-être de leur enfant ?

    Paul gardait un souvenir attendri de sa toute petite enfance. Il était très heureux dans le cocon à la douceur particulièrement émolliente que ses deux mamans avaient tissé autour de lui. Il ne se posait pas de questions. Il y avait maman Rose et Marie maman, la vie était belle et pour Petit Paul deux mamans, c'était encore mieux qu'une. Du moins, c'est ce qu'il pensait à cette très, très lointaine époque.
    Le soir maman Rose lui racontait de belles histoires pendant que Marie maman le berçait tendrement contre elle. Ensuite toutes deux accompagnaient le petit garçon au lit en le couvrant de baisers.

    Petit Paul, lorsqu'il alla à l'école pour la première fois de sa vie, il avait alors à peu près trois ans et demi, dut répondre à une question qui aurait pu être bien embarrassante, lorsque la maîtresse demanda aux enfants de lui dire comment s'appellaient leur papa et leur maman.
    Avec un grand sourire et pas du tout embarrassé il répondit très simplement
    - j'ai deux mamans, Rose Marie, et voyant l'air surpris de l'institutrice, il ajouta .... maman Rose et Marie maman.
    Mais la plupart des enfants s'esclaffèrent bruyamment et l'un d'eux, porte-parole de la classe s'écria :
    - il dit n'importe quoi, madame, c'est un menteur, tout le monde a une maman et un papa.
    - Non, dit la maîtresse, Paul ne ment pas et elle expliqua alors aux enfants que toutes les familles n'étaient pas forcément faites sur le même modèle.
    Petit Paul eut l'air étonné. Il ne s'était jamais posé de question à ce sujet car tout dans son environnement familier lui paraissait absolument normal.
    Mais il faut croire que ce n'était pas le cas.
    Car les autres enfants le considéraient comme un être à part et le mirent peu à peu à l'écart, refusant de le laisser participer à leurs jeux.
    L'enfant, de joyeux qu'il était au début de sa scolarité, commença à souffrir de l'ostracisme dont il était l'objet, mais pour autant n'osait pas s'en ouvrir à ses deux mamans.
    Pourtant un jour, pendant la récréation un incident vint tout changer.
    - Il a pas d'papa heu.... il a pas d'papa heu ... braillaient les enfants en entamant une ronde sauvage autour de Petit Paul, totalement effaré et recroquevillé sur lui-même au fond de la cour de l'école, jusqu'à ce que la maîtresse vienne énergiquement interrompre cette scène déplaisante.

    Elle décida alors de convoquer les deux mères du petit garçon, leur raconta la scène de la cour de récré, puis ajouta que pour se sentir bien dans sa peau et être vraiment équilibré, un enfant avait besoin d'une présence maternelle..... mais aussi paternelle. En chaque être humain avait-elle ajouté, il y a une part masculine et une féminine, un yin et un yang en quelque sorte et chacun de ces deux éléments doit être sollicité...et bla bla bla .... elle pontifiait un peu la maîtresse, mais Rose et Marie l'écoutaient attentivement. Il lui faut une présence masculine à cet enfant et puis, en outre, et ne vous fâchez pas, c'est simplement un sage conseil que je vous donne, il serait bon que vous lui parliez de son papa, enfin son géniteur, si vous préférez.

    Alors Rose et Marie s'ingénièrent à trouver un père de substitution. Marie avait un frère qu'elle avait perdu de vue. Elle décida donc de renouer avec lui et c'est ainsi que Petit Paul, à défaut d'un père, hérita d'un oncle, tonton Pierre, qui venait de temps à autre leur rendre visite et proposer à l'enfant des parties de pêche à la ligne.
    Il possédait une barque et à cette simple évocation l'oeil du gamin s'alluma. Et ainsi s'installa une très amicale complicité entre Pierre et lui, soudée par les parties de pêche, qui, hélas n'arrivaient pas assez souvent aux yeux du petit, devenu friand de ces moments de délassement entre hommes
    - Tonton, on va goujonner ? demandait le gamin, piaffant d'impatience.
    - On y va, disait oncle Pierre. C'était sympa de ramener un panier de goujons et de déguster une friture en famille, préparée en un tour de main par Rose et Marie.
    Mais tonton venait beaucoup trop rarement et Petit Paul se sentait frustré, d'autant qu'après son mariage, oncle Pierre se consacra avant tout à sa propre famille, négligeant sa soeur et son neveu. Ses visites se firent encore plus rares, son épouse n'appréciant guère Marie, pas plus que Rose d'ailleurs. Paul fit alors cruellement l'expérience du manque.

                                                                ***

    Devenu adulte, il s'exerça du mieux possible à mettre en oeuvre avec son fils tout ce dont il lui semblait avoir manqué lors de son adolescence tourmentée. Mais en vérité, il n'avait pas à se forcer. C'était tout naturellement qu'il entretenait avec Aurélien, une complicité évidente.
    Une chance, le gamin n'aimait pas le foot, tout comme Paul, grâce peut-être à cette mystérieuse alchimie, à l'origine de leur entente parfaite, de leur communauté de goûts, ce qui parfois agaçait Mathilde, épouse et mère, à qui il arrivait de se sentir mise à l'écart.
    -Vivement que tu me fasses une fille, disait-elle alors mi-figue, mi-raisin, au moins, j'aurai de la compagnie. Nous pourrons ... je ne sais pas, moi, faire de la broderie ... ou du tricot !
    Et elle affectait un sourire ironique et surtout amusé.
    - Ah, mais tu vois maman faire du tricot, disait Aurélien en hurlant de rire, elle n'a jamais été fichue de me fabriquer un pull !
    Paul souriait. Il était heureux.
    - Pour la fille, c'est quand tu veux, disait-il en embrassant sa Mathilde.
    Mais, que c'est bon la vie, que c'est bon, bon, bon ...

    Mais trente ans auparavant, ce n'était pas aussi bon.
    Car avant de faire appel à oncle Pierre pour fournir à leur fils cette présence masculine qui apparaissait primordiale aux yeux de l'institutrice, et malgré leurs hésitations, Rose et Marie se décidèrent un jour à dire la vérité, toute la vérité à Petit Paul.
    Elles s'étaient longuement concertées sur la manière de raconter la chose à l'enfant. Il était encore bien jeune et il était hors de question de lui asséner doctement des explications scientifiques concernant la banque du sperme, la conservation de ce dernier dans de petits flacons et l'insémination artificielle à laquelle Rose avait eu recours, toutes choses auxquelles il n'aurait évidemment rien compris et qui, sans doute, l'auraient profondément choqué.
    Aussi, après moult tergiversations, elles lui tinrent un discours très sommaire qu'elles éclairèrent grâce à des images, visionnées sur Internet, que Marie avaient reproduites en dessins des plus rudimentaires.
    Sur l'un d'eux figurait une fiole contenant le sperme du donneur.

    Petit Paul écouta religieusement ses deux mamans, regarda longuement les dessins que lui proposait Marie maman, puis fronça les sourcils et s'abîma dans une concentration extrême.
    En esprit, il visionnait la coiffeuse dans la chambre maternelle, sur laquelle trônait un joli, très joli flacon de cristal. Alors un sourire éclaira son visage.
    Le petit garçon se mit à courir comme un fou, se précipita dans la chambre, bras grands ouverts, comme pour se jeter au cou d'un être aimé, comme pour l'étreindre, et se jeta vers le flacon en s'écriant : "papa" !


    Marie-France Morel
    LEFRANCOIS le 21 septembre 2021
    Je présente un deuxième texte, j'espère que cela ne fait pas trop !


    Père et le martinet


    Marcelle serrait ses mains contre son ventre, la tête basse, réfugiée dans un coin de la cuisine. Michel, son mari, criait de fureur en élevant un martinet au dessus de sa tête, martinet avec lequel il s'apprêtait à frapper Claude son fils aîné qui avait fait une bêtise. Ce n'était pas une grosse bêtise et en tous cas pas intentionnelle, c'était plutôt une maladresse. Il avait laissé tomber une assiette qui s'était cassée en mille morceaux sur le sol. En voulant ramasser les morceaux éparpillés dans la pièce il s'était coupé la main. Ce n'était qu'une petite coupure, mais un peu de sang s'était répandu sur le sol, signant son sacrilège.

    Son deuxième fils, Patrice, plus jeune de trois années, regardait la scène avec terreur, il se sentait pris en faute alors même qu'il n'était pas dans la pièce au moment de la chute de l'assiette mais il savait que son père sanctionnerait son frère de manière impitoyable.

    Ce n'était pas la première fois qu'un incident de cet ampleur se produisait alors même que tout le monde prenait les plus extrêmes précautions pour ne rien toucher ou ne rien changer dans la maison de peur de rompre l'ordre intérieur du foyer. La mère, elle-même, tremblait devant la fureur de cet homme que pourtant elle chérissait.

    Elle l'avait épousé à 18 ans alors que la deuxième guerre mondiale venait à peine de finir. Elle, romantique et naïve, avait été séduite par ce jeune homme entreprenant qui n'hésitait pas à faire des kilomètres à vélo pour aller voir sa belle dans le département voisin.

    A peine mariée cependant il lui avait signifié que c'était lui le maître de maison et qu'il entendait qu'on lui obéissent en tous points. Ses goûts devaient être les goûts de la famille, les lieux de vacances ceux qu'il décidait, les loisirs ceux qu'il aimait. La naissance du premier et du deuxième enfant n'arrangea pas les choses, bien au contraire.

    Son règne s'étendait désormais sur toute la famille qui devait se conformer à ses  directives. Tel était souvent le modèle des familles avant guerre et il entendait continuer une tradition si favorable à la gente masculine.

    Tant que les enfants étaient petits tout allait pour le mieux mais en grandissant ces garnements prenaient davantage de place, bousculaient un peu les habitudes, développaient leurs envies personnelles tout en se chamaillant joyeusement. Evidemment les enfants sont joueurs, ils s'approprient les choses facilement sans y penser et il leur arrive de causer quelques catastrophes ou de revendiquer une autonomie relative qui perturbe l'ordre établi.

    Michel, le Père, ne tolérait aucun débordement, aucune initiative personnelle et il lui suffisait de froncer les sourcils pour voir filer doux les enfants et la mère qui faisaient tout pour éviter l'orage. En temps ordinaire, pour éviter à tout prix les conflits, Marcelle, la mère, minimisait les événements, les contrariétés, les incidents, allant jusqu'à mentir pour éviter d'avoir à avouer quelque chose que son mari désapprouverait. Elle avait intégré à tel point cette attitude que cela devenait un réflexe et que rien n'avait d'importance à ses yeux, hormis le bonheur et la tranquillité de son tempétueux mari.

    Claude, le fils aîné, évidemment plus entreprenant que le second de la fratrie, avait déjà tâté du martinet, non pas qu'il ait été dissipé ou ait entretenu de mauvaises fréquentations, mais il suffisait d'une peccadille comme de rentrer en retard au moment du dîner qui avait lieu à 19h30 très précise pour que la sanction tombe.

    Ce soir là le crime avait été considérable. Il avait osé casser une assiette ! A force de virevolter autour de la table, de raconter sa vie, de faire l'idiot, il avait bousculé la table et une partie des couverts avait chuté sur le sol. Un tel forfait était inacceptable et la punition devait être à la hauteur. C'est pourquoi le maître des lieux avait sorti l'arme ultime, l'arme terrifiante et humiliante, le martinet.

    Ce bâton de trente centimètres de long sur lequel étaient accrochées des lanières de cuir avait fait ses preuves, faisant pâlir de crainte des générations d'enfants qui avaient senti sur leurs cuisses la morsure du cuir lancé à la volée. Les plus durs devenaient encore plus durs, les autres pleuraient et se tenaient par la suite à carreau, fuyant les conflits, résignés à obéir à la tyrannie familiale, forgeant en eux une haine sourde et cachée, apte à se maintenir vivace le restant de leur vie.

    Le martinet était levé et s'apprêtait à tomber sur le fils aîné maladroit quand, sortant de sa réserve apeurée, Marcelle, l'épouse fidèle et obéissante, poussa un cri de révolte inattendu qui figea le père surpris en pleine action punitive, ce qu'il n'avait pas l'habitude.

    - "tu ne vas pas faire ça, c'est trop. Je t'interdis de frapper cet enfant. Tu pourrais le tuer !"

    Ce cri du coeur transperça la carapace de Michel, le père, qui laissa retomber son bras, et se demandait ce qui lui arrivait. Il comprit soudain qu'il en faisait trop et que les dégâts causés ne valaient pas un tel châtiment, aussi se ravisa-t-il, et reposant le martinet sur la table sortit dans le jardin pour apaiser son courroux et échapper à la situation nouvelle ainsi créée.

    " Bon, bon, ça ira pour cette fois mais il n'a pas intérêt à recommencer".

    A peine sorti, la mère calma le pauvre Claude qui tremblait comme une feuille, et prit le martinet pour soustraire l'objet menaçant à la vue des enfants.

    Quelques mois plus tard, Patrice, le fils cadet, qui maîtrisait encore mal ses émotions et qui se disputait avec son frère ne put retenir sa colère. Agacé, il lança un crouton de pain à la tête de son frère qui évita avec une habileté diabolique le projectile lequel finit sa course dans la fenêtre. Le carreau se brisa instantanément laissant voir un trou disgracieux et imprévu. Le dommage était d'importance et c'était la correction assurée. Le trio était consterné et souhaitait cacher le forfait mais changer la fenêtre avant l'arrivée du maître de maison était un exploit impossible.

    Sitôt rentré et informé de l'exploit du fils cadet, le père tonna de sa voix au ton sans réplique et se mit à chercher le martinet. Le bris de glace valait bien quelques coups de cuir bien sentis sur les cuisses coupables et impudentes.
    Le père chercha le martinet, tourna et retourna l'armoire où l'on rangeait habits et ustensiles, cria contre le fautif, jura que cela ne resterait pas impuni, mais ne trouva pas le martinet.

    Marcelle, la mère, qui n'avait jusque là rien dit, s'avança courageusement et dit :

    - "ce n'est pas la peine de le chercher, je l'ai jeté".

    Père ne dit rien, mais son regard était furieux. Il retint sa colère et on devinait les mots blessants qui s'accumulaient dans sa gorge mais qu'il ne prononça pas. Tout le monde avait compris. Comme il avait faim, il commanda le repas sans tarder. L'incident était clos.
    mfrance le 21 septembre 2021

    J'ai été particulièrement émue par les textes de   Pippolin   et   charlene_bzh  


    Quant  à la vendetta de
    JML38  je m'en suis copieusement régalée ! toujours autant de verve





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