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Critique de kielosa


Ayant une langue maternelle dite minoritaire, le Néerlandais, j'ai toujours été fasciné par le phénomène des langues. Tout petit, je me souviens de mon grand étonnement lorsque j'entendais ma mère parler Français au téléphone et que je n'y comprenais que dalle ! À la petite école on n'apprenait pas de langues. J'ai oublié l'âge que j'avais exactement lorsque j'ai réussi à convaincre ma grand-mere bien- aimée à m'acheter mon tout premier livre en Français : une histoire de mon compatriote centenaire Henri Vernes (°1918) ou plutôt de son héros Bob Morane "La marque de Kali". de grâce, ne m'envoyez pas de questions sur ce bouquin, car à part les explications de ma soeur aînée, qui fréquentait un pensionnat francophone, je n'y ai pas compris grandchose. Au collège, nous recevions des cours de Français, mais pas de nature à vous rendre bilingue, aussi bien qu'à Paris, à l'institut d'Études Politiques (IEP), j'ai souffert linguistiquement parlant.
Après je me sentais tellement à l'aise que j'ai même osé marier une belle française. Grave surestimation linguistique de ma part, car mon épouse a représenté pour moi un nouveau cycle de perfectionnement en Français. Il est vrai qu'elle parlait un français soigné et exquis. Ma vie active, je l'ai passé comme administrateur au Parlement européen et bien qu'on y mélangeait les langues à longueur de journées, je n'oserais pas prétendre que je sois parfaitement bilingue.
Je me débrouille assez bien dans la langue de Molière si j'arrive à vous raconter mon histoire, mais très souvent encore je bute contre des mots inconnus, des expressions que je ne sais comment traduire, sans mentionner mes gaffes grammaticales.

Dans ma vie, je n'ai rencontré, en fait, que très peu de parfaits bilingues et les rares cas étaient sortis d'un ménage mixte, avaient bénéficié d'une éducation bilingue dès bas âge, pour entreprendre des études de langues et devenir traducteur professionnel, traducteur littéraire ou interprète de conférences.

D'où mon grand intérêt pour le livre et les travaux de Barbara Abdelilah-Bauer, une autorité en la matière. D'autant plus qu'il existe sur le bilinguisme plein de généralisations absurdes et de théories fumeuses. Comme : ça n'a rien de sorcier, il suffit de remplacer un mot par le mot correspondant dans une autre langue ! L'auteure, professeur de langues, diplômée en psychologie sociale, éditrice du site enfantsbilingues.com et fondatrice d'animation et d'informations sur le bilinguisme se trouve mieux placée que quiconque en France pour éclairer notre lanterne.

Avant même d'ouvrir "Le défi des enfants bilingues", je me suis un peu baladé sur son site bilinguisme, où elle répond à des questions que des parents lui posent à ce sujet, et j'ai été très favorablement impressionné par ses réponses, qui témoignent d'une large ouverture d'esprit et d'un très grand bon sens. Pas du tout l'experte qui essaie de prôner l'une ou l'autre théorie, qui ne serait que de peu d'aide aux problèmes de ces parents. Non, elle écoute patiemment la question, demande éventuellement un supplément d'information et cherche vraiment à fournir une réponse visant la meilleure solution à leur problématique spécifique.

La grande difficulté réside, bien entendu, dans les caractéristiques et capacités individuelles de chaque être humain et, à plus forte raison, de chaque enfant. Ainsi, un collègue allemand avait 2 fils de 2 ans de différence à peine et malgré une éducation identique et une intelligence comparable, l'un apprenait les langues en jouant, tandis que l'autre éprouvait de sérieuses difficultés et balbutiait un mélange difficile à comprendre. Un autre exemple, si vous le permettez, un peu plus marrant. Un couple danois-italien avait 2 filles avec également peu d'écart d'âge, qui suivaient les cours d'enseignement secondaire à l'école européenne de Luxembourg, alternativement une année en section danoise et l'an après en section italienne, sans problème. Puis arriva, des annees plus tard, un petit accident et une 3ème fille, qui elle parlait...Portugais. Comme ses parents étaient au bureau ou en mission c'était une jeune Portugaise qui s'occupait du bébé. Contrairement à ses 2 soeurs, la dernière avait des problèmes à s'exprimer correctement et mélangeait les langues. Victime d'un trilinguisme ?

Dans son ouvrage, Barbara Abdelilah-Bauer couvre les différentes formes que le bilinguisme peut prendre : actif ou passif, précoce ou adulte, additif ou soustractif (où l'apprentissage d'une 2ème langue se fait oui ou non au détriment de l'acquis dans la première). Elle distingue aussi clairement l'aspect cognitif ( se rapportant à l'intelligence) de l'aspect affectif ( se référant aux sentiments et émotions) de cet apprentissage.

Le premier chapitre de son ouvrage "Comment apprenons-nous à parler ?" est d'une qualité tout à fait exceptionnelle : instructif, précis et écrit néanmoins dans un langage accessible à tous, bien que le sujet soit loin d'être simple. J'avoue avoir appris plein de choses que j'ignorais.
Elle y rectifie le tir concernant certaines théories "populaires" propagées pendant (trop) longtemps, comme notamment celle qui veut que l'apprentissage d'une seconde langue mette en péril le développement naturel de l'intelligence d'un enfant ou serait source de "confusion mentale", de dyslexie, de sentiments de "déracinement " et même "troubles de la personnalité" ! C'est spécialement dans les pays monolinguistiques que de telles théories ont été défendues ou pour des raisons politiques, comme par exemple parmi les flamands nationalistes de droite.

Barbara Abdelilah-Bauer explique que la décision bien intentionnée des parents de ne plus parler leur langue d'origine afin de permettre à leur enfant d'apprendre la langue du pays où ils résident et où leur enfant fréquente l'école peut être erronée si elle interrompt le processus de consolidation de l'acquis de la 1ère langue.
À la question si l'on peut complètement oublier une langue, la réponse est oui. Mais, étrangement, sous hypnose, des personnes se sont mises à parler une langue "oubliée", ce qui s'explique par la morphologie et structures du cerveau.

L'auteure a publié également un ouvrage plus pratique "Guide à l'usage des parents d'enfants bilingues" (2012).

Il est rassurant de lire que les soi-disant "méfaits" du bi-ou trilinguisme reposent sur des préjugés sans fondement réel, comme de nombreux tests scientifiques ont démontré clairement. Au contraire, le bilinguisme peut favoriser des aptitudes intellectuelles et même littéraires. Dans ce contexte, elle cite le cas de l'écrivain israélien Aharon Appelfeld (décédé le mois dernier), qui à 13 ans en émigrant avait à apprendre une toute autre langue. Mission dont il s'est parfaitement bien acquitté à en juger par des oeuvres comme "Tsili" et "Histoire d'une vie".
Il y a aussi la propre expérience de Barbara Abdelilah-Bauer et ses 3 enfants trilingues.

En Néerlandais il existe un proverbe, qui rime d'ailleurs : "Je bent zovele malen man, als je talen spreken kan" , qui traduit donne : "Autant de langues vous parlez, autant de fois vous êtes un homme".
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