Brand se remémora le contact du marteau, le claquement de l'enclume, la chaleur des charbons. Il n'aurait jamais cru que cela lui manquerait, et pourtant.
Epine sourit à son tour.
-Sous mon extérieur repoussant,j'ai des profondeurs cachées.
-Bien cachées ,dit-il en soulevant sa chope.Mais je pourrais commencer à les sonder.
-Quelle audace!Sonder une fille sans même lui demander la permission.
Les ennemis sont la rançon du succès.
Elle est aussi stupide qu'une souche. Pire. La plupart des souches ont le bon sens de pourrir en silence sans importuner le monde.
Le spectacle préféré des hommes est d'en voir d'autres affronter la mort. Il leur rappelle qu'ils vivent encore.
Un guerrier se bat. Un roi commande.
- Si elle est nôtre ennemie, pourquoi ne nous a-t-elle pas exécutés aujourd'hui ?
- Parce que grand-mère Wexen ne veut pas tuer ses enfants. Elle souhaite qu'ils obéissent. D'abord, elle envoie les ilotes contre nous, puis les Vansterais. Elle espère nous pousser à une attaque irréfléchie, et le roi Uthil s'apprête à lui faire cet honneur. Il lui faudra du temps pour rassembler ses troupes, mais uniquement parce que celles-ci sont nombreuses. En temps voulu, elle enverra la moitié du monde contre nous. Si nous voulons lui résister, il nous faut des alliés.
- Où allons-nous trouver des alliés ?
Père Yarvi sourit.
- Parmi nos ennemis, où d'autres ?
Si les Vansterais passaient la frontière, si les îlotes venaient à accoster, si des voleurs attaquaient en pleine nuit, les femmes du Gettland prenaient rapidement les armes pour se battre à mort, et souvent sacrément bien. Il en avaient toujours été ainsi.
"Le meilleur endroit où rengainer sa lame est le dos d'un ennemi", disait toujours son père ; cependant, le flanc ferait l'affaire.
Brand, qui avait toujours rêvé de posséder sa propre épée, eut soudain la nausée.
_ Je ne suis pas un guerrier.
_ Oh que si.
_ Un guerrier n'a pas peur.
_ Un fou n'a pas peur. Un guerrier tient les rangs malgré la peur. Tu as tenu les rangs.
Brand palpa son entrejambe humide.
_ J'ai tenu les rangs et je me suis pissé dessus.
_ Tu ne seras pas le seul.
_ Dans les chansons, le héros ne se pisse jamais dessus.
_ Oui, eh bien..., dit Rulf en se relevant, serrant l'épaule de Brand.
Ce sont les chansons, et ici, c'est la vie