Alors je fermais les yeux de contentement et de joie, car cette transformation en elle, c’était ma vie à moi qui s’ouvrait à la verticale des possibles. Avec plus d’attention, je pouvais même entrevoir une autre loi de l’amour que je médite, impuissant, depuis : Leyli éait une inconnue. Je l’aimais, ne la connaissais pas. Et justement, dans sa transformation en adulte, je devinais cette personne par-delà l’amour présent, qu’il allait falloir laisser se déployer pour l’aimer tout à fait.
Bien sûr, il aurait fallu ne jamais sortir des tapis, rester mourir dans ces jardins aux cyprès mystiques, aux oiseaux légendaires, ne plus accepter de respirer un autre air que celui des nœuds tressés, ne plus se nourrir que du grenadier immense, et ne plus boire une autre eau que celle dont l’essence unit ciel et bassin, au champ central du plus beau des Bakhtiars...
Présente, je vous fuis ; absente, je vous trouve.
Dans le persan, elle chérissait par-dessus tout la fluidité, qui dit beaucoup en peu de sons, grâce à ces mots qui se réunissent en se simplifiant (et dans la diabolique complexité du genre, absolument imprévisible en français, elle me le signale avec irritation). Del c’est le cœur, « délam » suffit pour dire « mon cœur », « déleté », ton cœur. La lettre magique qui unit ce qu’on sépare, c’est l’ézâfé.