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Critique de Seraphita


Armen est un phare mythique situé à l'extrémité de la Chaussée de Sein, à dix kilomètres de l'île de Sein, en Bretagne. Ce phare, Jean-Pierre Abraham, a voulu en être gardien, tant cet élément le fascinait. Il le sera durant trois ans et rédigera, au fil de ses périodes d'activité, un journal, « Armen », publié une première fois en 1967.

Par petites touches, il vient décrire son quotidien, non pas en premier lieu le spectacle du dehors qui s'offre au gardien en haut de son phare, mais plutôt la résonnance que ces éléments, le plus souvent déchaînés, peut avoir tant sur le phare que sur son travail de gardien, ses paysages intérieurs et son travail d'écriture.
Les tâches sont d'une régularité métronomique, d'une monotonie rude. Hiver comme été, l'auteur rend bien compte de celles-ci. Il évoque le temps de la relève lorsque les conditions climatiques le permettent, le lien entre gardiens (ils sont toujours deux), l'amitié qui peut naître au-delà des mots. Car, pour éviter de vaciller, l'économie de mots s'avère parfois vitale. Au coeur de cette solitude recherchée, bien des dangers menacent, outre les éléments du dehors : l'ennui, la peur, notamment, figurent en première place. Face à cela, le gardien construit ses défenses. Il emporte avec lui trois ouvrages : l'un de Vermeer, un autre sur un monastère cistercien ainsi qu'un recueil de poèmes de Pierre Reverdy. Et puis, il écrit, pose, juxtapose des mots, ombres sur le blanc des feuilles, pour donner contour, forme au chaos liquide, à la furie des éléments, la solitude voulue et l'ennui, le vide, la monotonie des jours.

Jean-Pierre Abraham est fasciné par les contrastes entre ombres et lumières ; cet amoureux des peintures de Vermeer cherche en ses oeuvres un écho à son expérience sensible. Il traque dans les moindres recoins du phare les parts d'étincelles au creux de la noirceur d'un quotidien douloureux.
On comprend, au fil de son journal, combien il s'efforce de transmuer l'expérience du quotidien, de l'attente, de l'itération en une expérience quasi-mystique, celle d'un moine dans un monastère offrant sa vie et la rythmant par des rituels, autant de scansions vitales pour soi et la communauté.

Et peu à peu, le monde extérieur vient épouser son monde intérieur. Choisit-on un lieu parce qu'il se fait écho de nos paysages intérieurs ? Ou bien notre monde interne devient-il poreux au contact des turbulences du dehors ? Ombre et lumière, le dedans et le dehors viennent se confondre, en une sorte de Yin-Yang, et de cette fusion naît la mélodie des mots.

Ce journal de Jean-Pierre Abraham est une expérience de lecture bouleversante par son caractère inédit et le regard particulier que l'auteur porte sur ses années à Armen.
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