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Critique de Berthelivre


« Il faisait le même temps lorsque j'ai vu Armen, pour la première fois. La mer était grise, comme toujours lorsqu'on navigue sur un bateau de guerre. J'ai cru reconnaître cet endroit. J'ai souhaité vivre dans ce phare. C'était la meilleure façon pour ne plus le voir. Quand j'ai posé le pied, la première fois, sur ce débarcadère-jouet, je me suis cru chez moi. »

Jean-Pierre Abraham (1936-2003) n'a guère plus de 20 ans quand il a cette première vision du phare d'Armen, au large de l'île de Sein. Il en a 23 quand il y débute son stage de gardien de phare, et 25 quand il en devient gardien titulaire. Qu'est-ce qui a fasciné à ce point le jeune étudiant en lettres ?
Il emporte trois livres avec lui : un sur les peintures de Vermeer, le deuxième à propos d'un monastère cistercien, et le dernier, de poèmes, de Pierre Reverdy. Il y revient inlassablement, ces trois ouvrages nourrissent son regard, sa pensée et, infiniment, son écriture.

Que cherche-t-il ? L'attente, la patience, l'oubli, la fuite, la claustration en pleine mer, la violence primaire de l'océan ? Ou bien savait-il avant d'arriver, « de monter » pour la première fois au phare, que les mots seraient au rendez-vous des nuits et des quarts ?

Des mots qui disent l'incertitude, la peur, le questionnement, le doute. Mais qui racontent aussi une histoire de lumières. Celles des lampes, celle du phare, celle du temps d'hiver, celle qui se brise dans les vagues devant les fenêtres, celle des cuivres et des boiseries qu'il nettoie pendant des heures, pour faire sourdre un reflet, un éclat. Celles des tableaux de Vermeer, qu'il distingue, nuance par nuance.

Et puis l'entente silencieuse, la complicité rude, parfois rieuse, avec le compagnon, l'autre gardien présent.
Et puis un monde vertical, l'escalier de pierre dans lequel les sabots résonnent, des chambres à chaque étage, et celle au sommet, de la lanterne, avec ses verres et son mécanisme précieux. Un monde de bruits mécaniques, qui affronte celui des déferlantes et de leurs coups de boutoir. Et celui de la sirène de brume qui fait sursauter, toutes les quarante-cinq secondes, et affole les oiseaux de mer.

Ce texte est d'une absolue beauté. On voudrait le garder et on voudrait l'offrir. Sa raison d'être est parfaitement insaisissable. Comme son auteur, « tout serré à l'intérieur », elle n'offre « aucune prise ». Peut-être ce livre n'est-il si beau que parce qu'inexplicable.

« Armen : tour à tronc blanc, base sombre et sommet noir. 37 m. 48° 03,3 N – 4° 59,9 W – hauteur 29 m – portée 23 milles – 3 éclats blancs, 20 secondes. Aujourd'hui automatisé, donc inhabité. Ce qui rend ce livre encore plus précieux... »
(4ème de couverture)
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