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Critique de YvesParis


Alexandre Adler est probablement l'un des esprits les plus intelligents de son temps. Depuis près de vingt ans, il commente avec une culture époustouflante l'actualité internationale à la télévision ou dans la presse (Courrier international, le Monde, L'express, le point ...). En 2002, il franchissait le pas en publiant son premier essai "J'ai vu finir le monde ancien", justement salué par la critique (il obtint le prix 2003 du Livre politique) et par le public. Quelques livres plus tard il nous revient avec un essai sur l'Islam - dont la photographie de couverture n'est pas sans similitude avec celle de "J'ai vu finir ..."

Sans doute a-t-il cédé à une certaine mode éditoriale - comme il l'avait fait un an plus tôt avec "L'Odyssée américaine" - en consacrant un livre supplémentaire à une région dont on n'a jamais autant parlé que depuis le 11-septembre. Affirmer que "l'espace de l'Islam (...) revient de plus en plus vite au centre de notre univers mental et politique" (p. 56) est au mieux une évidence, au pire une lapalissade. Mais cet essai n'est pas inutile dans la mesure où il nous invite à nous focaliser sur les deux pays qui, selon Adler, tiennent les clés d'un éventuel "islam modernisé" : la Turquie et l'Iran.

Alexandre Adler, qu'on a parfois suspecté de néo-conservatisme pour son appui sans nuance de la politique de George Bush en Irak, est trop subtil pour adhérer sans réserve à la théorie du "choc des civilisations". le principal conflit ne se joue pas, dit-il, aux frontières sanglantes de l'Islam décrites en son temps par S. Huntington "mais bien au contraire au coeur de l'Islam lui-même avec des personnages capitaux pour l'avenir démocratique de notre comme le regretté Ahmed Shah Massoud en Afghanistan, Kemal Dervis en Turquie, les frères Khatami en Iran, le défunt Rafic Hariri au Liban (...)" (p. 13). Tout le mérite de son court mais dense essai est de nous inviter précisément dans les deux principaux pays musulmans où se joue la dialectique de l'Ancien et du Moderne.

On peut lui reprocher, dans les deuxième et troisième parties de son ouvrage, d'avoir voulu pousser le parallélisme un peu loin en multipliant les références croisées entre la Turquie et l'Iran. Certes, ces deux pays ont connu les mêmes vicissitudes liées à la menace d'un environnement hostile et au difficile passage à la modernité. Pour autant la situation à Ankara et à Téhéran est bien différente.

La Turquie est "vectorisée par son rapport à l'Europe" (p. 216). Alexandre Adler - dont les parents ont échappé au génocide en fuyant l'Allemagne vers la Turquie - ne cache pas être "très favorable" à la candidature européenne de la Turquie (p. 10). Il décrit un pays en marche forcée vers la modernité, à la fois économique et politique où l'accession au pouvoir du parti islamiste AKP doit moins à une flambée de fondamentalisme qu'au discrédit qui a frappé l'ensemble de la lasse politique. Il prédit une édulcoration thermidorienne de l'AKP et un probable retour au pouvoir du centre-gauche et du centre-droit laïques.

Rien de tel en Iran. Alors que la Turquie, selon Adler, est aimantée par l'Europe, l'Iran n'est aimantée par rien. Sans doute la disparition du régime baasiste en Irak pourrait-elle lui conférer ce rôle de superpuissance régionale que le Shah avait, à son époque, si ardemment recherché. Mais l'époque n'est plus la même, le soutien indéféctible des Etats-Unis a cédé la place à une franche hostilité et l'environnement reste toujours aussi instable (l'Irak à l'ouest, l'Afghanistan au sud, la Russie au nord), nourrissant une paranoïa proprement chiite. Adler décrit fort bien le hiatus qui existe entre le président Ahmadinejad et son peuple. le premier est un ancien Moudjahidine, enferré dans un discours anti-sioniste et ani-américain passé de mode. le second aspire, sinon à l'adhésion pure et simple au modèle que lui propose l'Occident, du moins à la possibilité d'en consommer librement les fruits.

Dans la dernière partie de son livre, Adler se livre à un exercice de prospective proprement étourdissant. du plus catastrophiste au plus optimiste, il passe quelques scénarios en revue. le premier verrait l'Iran et la Turquie se déchirer les dépouilles de l'Irak, les premiers soutenant la majorité chiite, les seconds la minorité sunnite pour mieux étouffer les velléités d'indépendance kurdes. de fil en aiguille deux axes se constitueraient : "à un axe chiite Iran – Irak - Liban s'opposerait un axe sunnite Turquie – Syrie - Arabie saoudite" (p. 209). Ce scénario semble toutefois peu crédible à l'auteur. Il estime notamment que l'Irak n'est pas prête à basculer sous domination chiite mais qu'une forme de cohabitation s'y instaurera. Plus optimiste encore, il pense que les ambitions nucléaires de l'Iran seront canalisées.
Ces deux hypothèses sont discutables. Parier sur la pacification de l'Irak, c'est postuler que les Etats-Unis organiseront leur retrait en fonction de l'état du pays, alors que tout porte à croire qu'il sera guidé par les priorités politiques américaines. de la même façon démontrer comme le fait magistralement Adler que l'accession au statut nucléaire de l'Iran conduira, par effet de domino, via l'Egypte, l'Arabie saoudite, la Turquie et même le Japon, à une prolifération mondiale que les Etats-Unis ne sauraient tolérer ne signifie pas pour autant qu'elle soit impossible.

Le message de "Rendez-vous avec l'Islam", comme l'était déjà celui de "J'ai vu finir le monde ancien" est résolument optimiste. Espérons que l'avenir lui donnera raison.
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