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Critique de Sachenka


Djamilia est un roman qui m'a été vendu comme étant une histoire d'amour. Et, dès le début, une préface élogieuse de Louis Aragon la présente également ainsi à ses contemporains, ayant contribué à populariser une oeuvre qui aurait pu tomber facilement dans l'oubli. Il y a de ça, bien sûr, et l'amour est au coeur de ce roman, mais il y a plus. C'est probablement parce que l'intrigue amoureuse n'arrive pas d'emblée et prend du temps à s'installer. Eh oui, dans un roman de 132 pages, c'est possible. Je dirais que l'essentiel de ce roman de Tchinguiz Aïtmatov est de traiter, à travers une intrigue amoureuse, de la vie dans les steppes russes, dans les régions reculées du Kirghizstan, son pays natal. Il fait vivre et immortalise des traditions.

Mais je vais trop vite. La fameuse Djamilia qui a donné son titre au roman, plutôt jeune, habite dans la famille de son mari Sadyk qui, quatre mois après leur mariage, est parti à la guerre. C'est une femme fière et forte. « Djamila dès l'enfance avait, avec son père, mené un troupeau de chevaux – elle était la seule qu'il eût comme fille et comme fils – mais dans son caractère se manifestaient quelques traits masculins, quelque chose de rude et parfois même de grossier. Et Djamila travaillait avec énergie, avec une poigne d'homme. » (p. 37-38). Dans ma tête, j'ai l'image de ces femmes mongoles qui luttaient et ne donnaient leur main qu'à l'homme qui serait capable de la maitriser. On est loin de la frêle Juliette cachée dans son château. Mais il ne faut pas croire à une brute non plus. « Elle était trop ouvertement joyeuse, comme un petit enfant. […] Et Djamila aimait aussi chanter. » (p. 40). Surtout, elle devait attirer le regard. « Djamilia était vraiment belle. Élancée, bien faite, avec des cheveux raides tombant droit, de lourdes nattes drues, elle tortillait habilement son foulard blanc, le faisant descendre sur le front un rien de biais, et cela lui allait fort bien et mettait joliment en valeur la peau bronzée de son visage lisse. Quand Djamilia riait, ses yeux d'un noir tirant sur le bleu, en forme d'amande, s'allumaient d'une ardeur […] (p. 41). Bref, une héroïne complète.

Tout ce beau monde, Djamilia, sa belle-famille et tout le village – le saïs – travaillent à cultiver le blé et le charger et faire transporter jusque dans la plaine. C'est leur effort de guerre. Un travail d'autant plus difficile qu'il ne reste pratiquement que les femmes, les enfants et les vieillards. Jusqu'à l'arrivée d'un étranger, un certain Danïiar…

Et c'est ainsi que commence l'histoire d'amour. En fait, non. Djamilia est farouche et fidèle, du moins au début. Elle n'en à rien à faire du nouveau venu. Mais, avec le temps… Une histoire mille fois racontée : en l'absence du mari, la femme esseulée trouve le réconfort ailleurs. Toutefois, là où le roman innove, c'est qu'il ne présente pas l'histoire du point de vue de Djamila ni de Danïiar mais plutôt de celui son jeune frère par alliance, Seït, qui veille sur elle et la famille. Au début, je trouvais cela agaçant mais, je m'y suis fait. Après tout, ce point de vue, s'il créait une distance vis-à-vis de l'histoire d'amour, il permettait de donner un éclairage différent. Par ailleurs, Seït est présent lors de plusieurs des rencontres entre les jeunes gens, qu'il soit au loin, tout près mais caché ou bien discret. En fait, il perçoit presque tout à travers les gestes et les paroles, bien qu'il n'en saisisse pas la portée avant qu'il ne soit trop tard. Une narration du point de vue des amoureux aurait donné accès aux pensées des amoureux mais, en y pensant, pas beaucoup plus. On comprend bien pourquoi Djamilia veut fuir avec son amant.

Et bravo pour cela! Au milieu du XXe siècle, il était encore tabou de parler de divorce, encore plus pour une femme de fuir avec son amant. Vous imaginez dans un pays d'Asie centrale à la population fortement musulmane. C'est une ode au courage de cette femme, prête à un immense sacrifice pour suivre l'homme qu'elle aime.

Surtout, l'auteur Tchinguiz Aïtmatov donne un éclairage plus grand sur la culture kirghize. Dans son roman, les dessins de Seït apparaissent à quelques moments, ils jouent un rôle important dans le dénouement de l'intrigue. Pourtant, là-bas, il n'y a pas vraiment de place pour des peintres, seulement des cultivateurs ou gens pratiquant des métiers traditionnels, axés sur un travail concret. Eh bien, à la fin, le garçon décide de choisir sa passion au risque de s'aliéner sa famille et sa communauté. On ne sait ce qu'il adviendra de Djamilia et Danïiar et de l'amour naissant entre eux (survivra-t-il à l'exil?), mais il est certain qu'il continuera de vivre à travers les dessins de Seït. Je crois que c'est la partie la plus belle et romantique de toute l'histoire. D'autant plus que le jeune devait éprouver quelques sentiments à l'endroit de la jeune femme…

Après tant de mots positifs sur ce roman, presque un éloge, le moment est venu de parler du style de l'auteur, Tchinguiz Aïtmatov. Malheureusement, je l'ai trouvé plutôt ordinaire. Je ne l'ai pas détesté mais il ne m'a pas particulièrement épaté non plus. Sa plume est plutôt directe, ce qui semblait convenir à ces gens à la vie rude. Ses descriptions sont inégales, il décrit amplement certains personnages mais pas d'autres. Pareillement pour les lieux et les occupations des gens. Mon imagination et Wikipédia devaient combler plusieurs trous… On retrouve quelques figures de style (surtout des comparaisons), aidant à mieux comprendre, à bien visualiser. Mais il manque une certaine poésie qui aurait rendu cette histoire encore plus mémorable. Bref, une lecture que je suis content d'avoir faite mais qui n'aura pas sa place spéciale dans mes coups de coeur littéraires ou parmi les grandes histoires d'amour. Dommage…
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