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Critique de Henri-l-oiseleur


Dans le cadre de "Masse critique", les éditions 10/18 m'ont envoyé ce roman de Rabih Alameddine, "L'ange de l'histoire". C'est l'avantage de Masse Critique de mettre en circulation des livres que, de moi-même, je n'aurais pas lus. Ce roman gay, qui se déroule pour une part dans le San Francisco des années 70-80, en pleine épidémie de Sida, et dont le héros narrateur est un Arabe d'origine égypto-yéménite, poète tourmenté qui survit à la mort de tous ses amis, est un roman gai, drôle, par moments désopilant. Il a cette qualité littéraire insigne qui consiste à prendre des sujets graves et sérieux dans la vie réelle, pour les alléger et les rendre comiques, ou du moins supportables, par la grâce de la littérature.

D'où viennent cette "vis comica", la drôlerie de ces scènes d'hôpital psychiatrique, d'agonies sordides, de ces souvenirs de malheur et de harcèlement infantiles qui accompagnent le narrateur ? D'abord, il n'est pas seul à faire son récit : y collaborent Satan, excellent humoriste, son fils Mort (mawt, la Mort, du genre masculin), qui fume trop, et les Quatorze Saints Protecteurs que le héros, dans son enfance, a appris à invoquer en secret dans son internat religieux du Liban, même après que Vatican II les a exclus du calendrier. Les discussions vont bon train, chacun raconte à l'autre des bribes du passé de Jacob / Ya'qub, le personnage principal, et tout ce beau monde surnaturel s'ingénie à le sauver de la dépression et du désespoir. D'autre part, dans la salle d'attente des urgences psychiatriques de l'hôpital St Francis (de San Francico), le héros narrateur Jacob parle avec Satan, négocie, bavarde, retrouve des souvenirs pénibles et - qui sait - va se sortir de ce mauvais pas. Ces infinis papotages sont irrésistibles et contribuent habilement à faire avancer l'histoire, ou plutôt, à la faire reculer, puisque l'on reconstruit, de proche en proche, la vie passée de Jacob. La narration n'est pas linéaire, mais réfractée entre plusieurs narrateurs.

Cette participation du surnaturel rappelle fortement les derniers romans de Salman Rushdie, qui sont aussi irrésistibles, mais plus didactiques : Rushdie a une leçon à faire passer, tandis d'Alameddine cède au pur plaisir de raconter, sans trop verser dans le misérabilisme arabe progressiste. Il ne peut prêcher de grandes leçons à la façon des auteurs musulmans de gauche, il est trop homo pour ça : l'autre grand mérite de ce roman est là, l'homosexualité littéraire est un scepticisme. Le souvenir des années atroces du sida n'est jamais un prétexte à sombrer dans le pathos. Ces agonisants n'étaient pas surnommés "gays" pour rien : la légèreté, la pudeur ironique, évitent de s'attendrir et de tout prendre au tragique, ce que l'infirmier irakien sado-maso de l'hôpital psychiatrique dit à Jacob à la fin de sa nuit aux urgences : "Ya'qub, ya Ya'qub, ne vous en faites pas comme ça, ça ira,et si ça ne va pas, revenez et on trouvera une autre solution."

C'est donc un bon roman, même si l'auteur parfois use et abuse de certains procédés qui perdent de leur efficacité à la répétition.
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