AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de Lucilou


Quand vient l'automne et que les jours raccourcissent, quand Halloween et la Toussaint pointent le bout de leurs nez, il est des rituels auxquels je ne sacrifierai pour rien au monde: réécouter cent fois "L'Ecolier Assassin" de Malicorne, revoir encore et toujours les films de Tim Burton et passer un siècle au moins à trouver un autre film qui, je l'espère toujours, me fera mourir d'angoisse; réfléchir à mon costume pour la soirée d'Halloween qu'organise toujours l'une de mes meilleures amies; absorber des litres de thés aux saveurs de châtaigne et de citrouille et me gaver de brioches à la cannelle; me plonger avec délice dans des romans au choix horrifiques, malaisants, victoriens, gothiques, fantastiques… Ce n'est pas toujours évident à trouver d'ailleurs quand on veut sortir des sentiers battus, des classiques du genre ou des pièges médiatiques… Mais je ne perds jamais espoir.
Cette année m'aura conduite vers "Le Créateur de poupées" et pour être honnête, je n'imaginais pas plonger dans une histoire aussi étrange, aussi dérangeante. Malaisante. Finalement, mes voeux saisonniers auront été exaucés au-delà de mes espérances par cette lecture dont je ne sais pas trop si je l'ai vraiment aimé tant elle m'a déroutée, dérangée parfois. Je suis en revanche sûre d'une chose: "Le Créateur de Poupées" a exercé sur moi une fascination un rien hypnotique.
Roman étrange étrangement séduisant.

Le créateur de poupées, c'est Andrew, créateur reconnu et solitaire en raison de sa très petite taille. Sa passion pour les poupées, qui remonte à son enfance, ses doigts de fées et son handicap ont fait de lui la proie de la cruauté de ses semblables tout autant qu'un personnage atypique, l'un de ceux qui peuplent les vieilles chansons et les contes gothiques. C'est un artiste qui dans un récit à la première personne d'une finesse et d'une fluidité fort agréable nous livre des pans entiers de son existence, de son enfance à ses rencontres, dont certaines m'ont laissé un sentiment poisseux de malaise et de terreur quant d'autres m'ont plongée dans un flot d'incompréhension et de questions demeurées sans réponses. C'est frustrant mais il est des silences qui participent à l'aura mystérieuse, à la séduction d'une histoire… alors, on les accepte, on les goute comme on goute l'étrangeté et le mystère.
Si Andrew nous offre le récit de son existence, c'est parce qu'il a une histoire à nous raconter, celle de sa rencontre avec Bramber, qui n'a pas vraiment eu lieu ou alors qui ne s'est réalisée qu'au gré des lettres qu'ils échangent depuis quelques temps. Cette dernière est amatrice de poupées et est entrée en contact avec Andrew par le biais d'une petite annonce laissée dans un journal spécialisée, annonce dans laquelle elle expliquait rechercher des informations sur l'oeuvre et la personnalité pour le moins originale d'Ewa Chaplin, une polonaise célèbre pour ses poupées étranges et vaguement humaines, effrayantes ainsi que pour ses contes tout aussi étranges.
De lettres en lettres, la correspondance entre Andrew et Bramber s'est éloignée des poupées pour se faire plus intime et la jeune femme s'y livre de plus en plus. Elle écrit au créateur de poupées son quotidien troublant dans un mystérieux institut des Cornouailles dont elle tait le nom, dont on soupçonne qu'il s'agit d'un asile psychiatrique.
Peu à peu, Andrew s'éprend de sa correspondante et décide de quitter Londres pour aller lui rendre visite, sans la prévenir. Il ne lui a certes pas parlé de son handicap, mais elle ne lui dit pas tout elle non plus, il le sent bien... Alors il part, avec dans ses bagages le recueil des contes d'Ewa Chaplin dont la lecture l'accompagne tout au long de son périple, tout comme elle nous accompagne, nous lecteurs, tandis qu'Andrew s'en va vers la Cornouaille.

Ce qui fait la richesse, le foisonnement même, de ce roman de Nina Allan commence par sa narration qui alterne le récit d'Andrew, les lettres de Bramber mais aussi les contes d'Ewa Chaplin, intelligemment enchâssés dans le récit. Singulièrement cruels et dérangeants, presque malsains, ces derniers m'ont happée comme rarement et beaucoup questionnés. Récits qui ne dépareraient absolument pas dans un recueil de littérature gothique et fantastique, on se rend compte assez rapidement compte en cours de lecture qu'ils résonnent étrangement avec les vies de Bramber et d'Andrew, au point de faire naître l'inquiétude, une inquiétude d'abord sourde et pernicieuse qui devient angoisse, chape de plomb et oppression.
Alors on tourne les pages plus vite, on a le souffle plus court, on ne sait plus si on a de la sympathie pour Andrew ou si sa course folle vers une femme qui ne l'attend pas n'en fait pas un homme de la pire espèce. On ne sait pas si on ne devrait pas se méfier de la douce Bramber derrière les grilles de son institution. On ne sait pas, on ne sait plus et on se rappelle les premières pages: la beauté cruelle et si romantique du poème de Matthäus von Collin, le parfum glauque et morbide du prologue... Et on sort perdu de ce roman si particulier, qui se fait le chantre de la différence et des êtres hors-norme qui peuplent et hantent le récit de manière obsessionnelle et morbide, de cette construction labyrinthique dans laquelle on se perd comme les orphelins des contes de fées de perdent en forêt profonde.
Une lecture comme une expérience qui laisse un gout de bizarrerie presque indicible et une foule de questions sans réponses, cette sensation d'avoir frôlé des réponses au gré des symboles, des échos entraperçus entre les pages... La sensation qu'il faudrait le relire pour y déceler ce qu'il garde encore.









Commenter  J’apprécie          100



Ont apprécié cette critique (10)voir plus




{* *}