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Le roman relate l'histoire d'un collectionneur et créateur de poupées, Andrew, et de Bramber tout simplement amatrice de poupées et admirative d'Ewa Chaplin, créatrice de poupées de collection et écrivain.
Les deux personnages partagent leur passion à travers des échanges épistolaires, ils se sont connus par l'intermédiaire d'une petite annonce passée par la jeune femme dans un journal de collectionneur que lisait Andrew, il vit à Londres tandis qu'elle vit en Cornouailles.
Au fil de leurs échanges, Andrew en tombe amoureux et décide alors d'aller à sa rencontre pour lui faire une surprise.
Il s'agit du récit principal dans lequel ils se révèlent l'un à l'autre, à travers ces lettres, Bramber se dévoile amplement. Elle fait découvrir à Andrew le livre de contes écrit par Ewa Chaplin dont elle admire le travail.
Dans cet ouvrage figurent des histoires enchâssées dans le récit principal.
On découvre ces récits en même temps qu'Andrew lors du long voyage qu'il effectue pour rejoindre Bramber.
Ce sont des contes fantastiques, assez noirs, oppressants, dans lesquels l'auteure nous livre des histoires d'amour tragiques, de nains au destin fatal, amoureux d'une reine, de meurtres, de personnes solitaires ayant un handicap, mis au ban de la société, des personnages hors norme, d'autres superstitieux.
L'art, notamment la musique et le théâtre y tiennent une place importante.
Ces contes à la fois tragiques et fantastiques semblent être une mise en abyme de ce que sont les deux personnages principaux, eux-mêmes, différents, Andrew d'abord, personne de petite taille rejetée d'abord par ses camarades d'école dans son enfance puis adulte solitaire, et de Bramber, personnage agoraphobe, ayant subi des drames et vivant depuis 20 ans, cloîtrée dans un hôpital psychiatrique. D'ailleurs Andrew se demande si Ewa Chaplin n'a pas lu dans ses pensées, il s'identifie fortement aux personnages des contes, il met aussi le comportement de Bramber en symétrie avec les personnages de certaines histoires du livre d'Ewa Chaplin.
Ces récits encadrés interrogent fortement la frontière entre la fiction et la réel, la part de vérité des êtres que révèle la fiction.
C'est un peu comme les poupées réalistes, uniques, auxquelles Andrew donne vie. Elles sont symboliques et représentatives d'êtres réels mais gardent une part de rêve et de mystère.
Un livre sur la différence dans lequel des êtres hors norme hantent le récit de manière obsessionnelle et morbide.
Un livre dont la lecture m'a tout de même donné une forte sensation de bizarrerie tant dans les thèmes et les personnages récurrents que dans la construction du récit, on se perd quelquefois dans les dédales de l'histoire, du point de vue des personnages aussi qui varie inopinément.



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Je découvre Nina Allan avec The Dollmaker (Le Créateur de poupées en VF) et, au-delà de l'évidente qualité de la plume de son auteure et de l'inventivité des univers qu'elle y déploie, je suis époustouflée par la finesse et l'originalité de la structure de ce récit, par son audace également. Se plonger dans ce roman est une expérience étonnante, qui nécessite d'avoir constamment à l'esprit plusieurs niveaux de lecture.


Les éditions Tristram ont choisi pour titre le Créateur de poupées. Cette traduction, qui perd la neutralité de l'anglais – le terme dollmaker pouvant faire référence aussi bien à un homme qu'à une femme –, trop réductrice, laisse malheureusement de côté la créatrice de poupées et auteure d'origine polonaise autour de laquelle est construite l'histoire : Ewa Chaplin, et fait perdre au titre la richesse de son sens.


Le roman alterne entre des passages narratifs à la première personne écrits du point de vue d'Andrew Garvie, un créateur de poupées reconnu, les lettres lui ayant été envoyées par Bramber Winters, avec laquelle il a démarré une correspondance suite à une annonce postée par la jeune femme dans une revue spécialisée et visant à rassembler des informations sur Ewa Chaplin, et les contes cruels et uchroniques de cette dernière lus par Andrew au cours de son périple.


L'histoire commence par la décision d'Andrew d'aller rendre visite à Bramber à Westedge House, l'établissement où elle vit depuis de longues années, autant maison de repos qu'hôpital psychiatrique. le trajet depuis Londres est lent, touristique, fait de sauts de puce de petite ville en petite ville. Andrew qui, sur la base de ses seules lettres, est tombé amoureux de Bramber, est partagé entre son désir non seulement de la voir, mais aussi de la délivrer de ce lieu, et sa crainte d'être rejeté en raison de sa petite taille – le terme péjoratif dwarf (« nain ») revient à de multiples reprises dans le texte. le voyage d'Andrew est parsemé de récits d'épisodes de son passé, tout comme les lettres de Bramber évoquent à la fois son quotidien et les raisons qui l'ont conduite à Westedge House, ainsi que des épisodes de la vie d'Ewa Chaplin, dont elle voudrait rédiger une biographie, faisant écho à sa propre histoire.


Le choix de l'auteure de ne pas montrer les deux côtés de cette correspondance, de ne pas présenter au lecteur un dialogue, matérialise dans le texte le fossé qui sépare les personnages, ce que renforce encore le fait que les lettres de Bramber soient antérieures au récit du voyage d'Andrew. Chacun des personnages ne connaît de l'autre que l'image qu'il s'en est faite, et l'un des objets du texte va être pour eux de parvenir à combler ce fossé et à se découvrir mutuellement : leur rencontre physique, qui demeure jusqu'à la fin du roman incertaine, est l'objectif du voyage, ce vers quoi tend l'histoire.


Les contes cruels d'Ewa Chaplin, teintés d'étrangeté, distillant à petites touches ou plus franchement des univers relevant de la fantasy ou de la dystopie, s'ils pourraient être lus pour eux-mêmes en dehors du roman, servent ici le récit-cadre en le mettant en abyme. Comme si cela ne suffisait pas, les nouvelles de Chaplin comprennent elles-mêmes des récits enchâssés. L'auteure, en multipliant ainsi les mises en abyme, les effets d'échos, met en place des réseaux de sens qui interconnectent les différents niveaux de la narration.


Impossible de ne pas remarquer, à la lecture, ces détails issus du récit d'Andrew ou des lettres de Bramber : un geste, un objet, une situation, qui réapparaissent presque à l'identique quelques pages plus loin dans l'un des contes, clins d'oeil appuyés au lecteur brisant de façon audacieuse l'illusion référentielle et mettant en évidence l'artificialité du roman. Nina Allan agit ici à la manière d'un marionnettiste qui, non content de laisser visibles les fils de ses pantins, ferait tout pour les mettre en valeur. Aux parallèles entre récit-cadre et récits enchâssés facilement décelés par le lecteur, s'ajoutent ceux que ne peuvent voir que les personnages et qu'ils expliquent, intrigués par la façon dont les contes résonnent étrangement avec leur propre expérience. Andrew, perturbé par la manière dont les nouvelles de Chaplin évoquent de façon détournée des épisodes parfois douloureux de son existence, finit par s'interroger sur la possibilité qu'il soit en réalité lui-même un personnage.


Les contes produisent des effets d'attente vis-à-vis du récit-cadre dont ils constituent une série de reflets déformés. L'on en vient à tenter de déduire la suite des histoires d'Andrew et de Bramber à partir des nouvelles d'Ewa Chaplin. L'auteure utilise avec beaucoup de talent cette structure complexe. Les parallélismes entre les nouvelles et les vies des protagonistes, qui justifient dans le récit-cadre la narration de moments-clefs de leur passé, lui servent à faire découvrir un aspect et un épisode après l'autre ses personnages, qui gagnent ainsi graduellement en épaisseur. Elles permettent également à l'auteure de constamment susciter et déjouer les attentes de son lecteur, dans un roman dans lequel l'un des enjeux, pour Andrew et Bramber, va être précisément d'échapper à la destinée vers laquelle leur apparence ou leur passé semble inexorablement les pousser, afin de tracer leur propre voie.


Les symboles, les échos sont légion dans ces pages. J'imagine qu'une seconde lecture permettrait d'en déceler plus encore car il faut un temps d'adaptation pour saisir la manière dont le livre fonctionne. le plus évident est peut-être que les poupées d'Andrew, ses troll dolls, qu'il conçoit à partir de poupées anciennes en piteux état et qu'il élabore de façon, non pas tant à camoufler leurs défauts qu'à les mettre en valeur, fonctionnent comme des métaphores des protagonistes, que le récit met face à leur passé, à leurs cicatrices et qu'ils vont devoir accepter afin de se reconstruire et d'avancer.

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Je suis déçue, mais déçue, d'une force !!! Ce livre que j'attendais depuis six mois, tant j'avais aimé le livre précédent de Nina Allan m'a déçue, m'a mise très mal à l'aise, ne m'a pas du tout "accrochée", et j'ai pourtant forcé, jusqu'à la page 91. Et j'ai abandonné. Et voici pourquoi :
On fait la connaissance d'Andrew, petit garçon de sept ans, le héros du livre, qui vit près de Londres. Enfant unique, il est aimé par ses parents, et il leur demande pour la première fois d'avoir pour son anniversaire cette poupée de collection, magnifiquement faite, numérotée, aux finitions très soignées qui trône depuis quelques semaines dans la papeterie-magasin de jouets que sa mère et lui ont l'habitude de fréquenter. Après de nombreux débats, ils finissent par la lui offrir. Il n'y joue pas, il l'admire. Petit garçon solitaire dès le primaire, à cause de sa petite taille qui ne dépassera pas les 1,48 cm, il trouve de l'intérêt à des journaux de collectionneurs, des ouvrages sur des créateurs de poupées, il s'abonne à des revues de collectionneurs, surtout celles de plangonophilie. (Voyez, j'ai au moins appris un mot). Il n'a pas d'amis, mais rencontre dans une bibliothèque un homme qui s'intéresse à celà.
Cet homme l'invite chez lui pour lui montrer sa collection (!!!!!) Andrew a 15 ans à l'époque, et entre deux antiquités, ce Will le viole régulièrement. La réaction d'Andrew ? Juste : heureusement que c'est vite fini...
Déjà là je suis au bord du malaise, parce que le "héros" rajoute qu'il trouve un slip propre dans la salle de bains à chaque fois, mais que ses slips sales disparaissent. Au secours.
Adulte, il voit dans un de ses magazines spécialisés l'annonce d'une femme qui est collectionneuse et cherche un correspondant. Ils s'écrivent, mais dans le livre on ne voit que les lettres de cette Bramber, qui dit être fan des oeuvres de littérature et de créations de poupées d'une polonaise, Ewa Chaplin, et pas celles d'Andrew. Au bout d'un certain temps, sans l'en avertir le petit homme décide d'aller la rencontrer, et comme c'est un trajet très long du nord au Sud de l'Angleterre, il réserve ses trajets et ses nuitées d'hôtel en route. Et il prend avec lui un livre de nouvelles de cette Ewa Chaplin. Pendant le trajet, j'ai la sensation qu'on est déjà dans une autre époque, alors que rien ne le suggère... une lenteur dans le style, ou le récit.... et une à une il lit les nouvelles d'Ewa Chaplin, se passant au moins au siècle précédent, avec des références à Ibsen,Shakespeare, Chaucer, etc, pour le théâtre, références que je n'ai pas, nouvelles truffées de nains lubriques et priapiques mais NON ! Je n'en peux plus. Pas de poupées, juste des trucs qui sentent la poussière, le gothique, et inintéressants pour moi. Alors j'ai arrêté. Je vous mets ci-dessous le résumé éditeur.
J'ai absolument dé-tes-té.
Cause : malaise généralisé

Lien : https://melieetleslivres.fr/..
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Quand vient l'automne et que les jours raccourcissent, quand Halloween et la Toussaint pointent le bout de leurs nez, il est des rituels auxquels je ne sacrifierai pour rien au monde: réécouter cent fois "L'Ecolier Assassin" de Malicorne, revoir encore et toujours les films de Tim Burton et passer un siècle au moins à trouver un autre film qui, je l'espère toujours, me fera mourir d'angoisse; réfléchir à mon costume pour la soirée d'Halloween qu'organise toujours l'une de mes meilleures amies; absorber des litres de thés aux saveurs de châtaigne et de citrouille et me gaver de brioches à la cannelle; me plonger avec délice dans des romans au choix horrifiques, malaisants, victoriens, gothiques, fantastiques… Ce n'est pas toujours évident à trouver d'ailleurs quand on veut sortir des sentiers battus, des classiques du genre ou des pièges médiatiques… Mais je ne perds jamais espoir.
Cette année m'aura conduite vers "Le Créateur de poupées" et pour être honnête, je n'imaginais pas plonger dans une histoire aussi étrange, aussi dérangeante. Malaisante. Finalement, mes voeux saisonniers auront été exaucés au-delà de mes espérances par cette lecture dont je ne sais pas trop si je l'ai vraiment aimé tant elle m'a déroutée, dérangée parfois. Je suis en revanche sûre d'une chose: "Le Créateur de Poupées" a exercé sur moi une fascination un rien hypnotique.
Roman étrange étrangement séduisant.

Le créateur de poupées, c'est Andrew, créateur reconnu et solitaire en raison de sa très petite taille. Sa passion pour les poupées, qui remonte à son enfance, ses doigts de fées et son handicap ont fait de lui la proie de la cruauté de ses semblables tout autant qu'un personnage atypique, l'un de ceux qui peuplent les vieilles chansons et les contes gothiques. C'est un artiste qui dans un récit à la première personne d'une finesse et d'une fluidité fort agréable nous livre des pans entiers de son existence, de son enfance à ses rencontres, dont certaines m'ont laissé un sentiment poisseux de malaise et de terreur quant d'autres m'ont plongée dans un flot d'incompréhension et de questions demeurées sans réponses. C'est frustrant mais il est des silences qui participent à l'aura mystérieuse, à la séduction d'une histoire… alors, on les accepte, on les goute comme on goute l'étrangeté et le mystère.
Si Andrew nous offre le récit de son existence, c'est parce qu'il a une histoire à nous raconter, celle de sa rencontre avec Bramber, qui n'a pas vraiment eu lieu ou alors qui ne s'est réalisée qu'au gré des lettres qu'ils échangent depuis quelques temps. Cette dernière est amatrice de poupées et est entrée en contact avec Andrew par le biais d'une petite annonce laissée dans un journal spécialisée, annonce dans laquelle elle expliquait rechercher des informations sur l'oeuvre et la personnalité pour le moins originale d'Ewa Chaplin, une polonaise célèbre pour ses poupées étranges et vaguement humaines, effrayantes ainsi que pour ses contes tout aussi étranges.
De lettres en lettres, la correspondance entre Andrew et Bramber s'est éloignée des poupées pour se faire plus intime et la jeune femme s'y livre de plus en plus. Elle écrit au créateur de poupées son quotidien troublant dans un mystérieux institut des Cornouailles dont elle tait le nom, dont on soupçonne qu'il s'agit d'un asile psychiatrique.
Peu à peu, Andrew s'éprend de sa correspondante et décide de quitter Londres pour aller lui rendre visite, sans la prévenir. Il ne lui a certes pas parlé de son handicap, mais elle ne lui dit pas tout elle non plus, il le sent bien... Alors il part, avec dans ses bagages le recueil des contes d'Ewa Chaplin dont la lecture l'accompagne tout au long de son périple, tout comme elle nous accompagne, nous lecteurs, tandis qu'Andrew s'en va vers la Cornouaille.

Ce qui fait la richesse, le foisonnement même, de ce roman de Nina Allan commence par sa narration qui alterne le récit d'Andrew, les lettres de Bramber mais aussi les contes d'Ewa Chaplin, intelligemment enchâssés dans le récit. Singulièrement cruels et dérangeants, presque malsains, ces derniers m'ont happée comme rarement et beaucoup questionnés. Récits qui ne dépareraient absolument pas dans un recueil de littérature gothique et fantastique, on se rend compte assez rapidement compte en cours de lecture qu'ils résonnent étrangement avec les vies de Bramber et d'Andrew, au point de faire naître l'inquiétude, une inquiétude d'abord sourde et pernicieuse qui devient angoisse, chape de plomb et oppression.
Alors on tourne les pages plus vite, on a le souffle plus court, on ne sait plus si on a de la sympathie pour Andrew ou si sa course folle vers une femme qui ne l'attend pas n'en fait pas un homme de la pire espèce. On ne sait pas si on ne devrait pas se méfier de la douce Bramber derrière les grilles de son institution. On ne sait pas, on ne sait plus et on se rappelle les premières pages: la beauté cruelle et si romantique du poème de Matthäus von Collin, le parfum glauque et morbide du prologue... Et on sort perdu de ce roman si particulier, qui se fait le chantre de la différence et des êtres hors-norme qui peuplent et hantent le récit de manière obsessionnelle et morbide, de cette construction labyrinthique dans laquelle on se perd comme les orphelins des contes de fées de perdent en forêt profonde.
Une lecture comme une expérience qui laisse un gout de bizarrerie presque indicible et une foule de questions sans réponses, cette sensation d'avoir frôlé des réponses au gré des symboles, des échos entraperçus entre les pages... La sensation qu'il faudrait le relire pour y déceler ce qu'il garde encore.









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Le Créateur de poupées
Nina Allan
The Dollmaker, riverrun, 2019
Tr. de l'anglais par Bernard Sigaud
Tristram, 2021

Dans la continuité de l'oeuvre originale de son auteur, le roman le Créateur de poupées nous offre une architecture complexe, à tiroirs, à fenêtres, où des réalités parallèles se rejoignent et s'imbriquent comme un ruban de Möbius découpé à l'infini ou une construction de MC Escher.
Le témoignage du narrateur, Andrew Garvie, se trouve régulièrement entrecoupé par des lettres non datées ou des nouvelles traduites du polonais, histoires dans l'histoire qui se rattachent constamment au récit principal et tissent également des fils entre elles grâce à de multiples détails. le ton est donné dès le début : ce roman ne se revendique pas du domaine de l'imaginaire, qu'il dépasse d'assez loin, mais développe progressivement une atmosphère étrange, insolite.
Andrew est un homme harmonieusement constitué, mais petit : « cent quarante quatre centimètres ». Cela lui vaut dès l'école d'être traité de nain et autres charmantes épithètes. Cette caractéristique physique oriente sa vie, ainsi que deux événements marquants de sa jeunesse : sa rencontre avec sa première poupée, Marina Blue, et sa relation avec Wil qu'il considère comme son ami alors qu'en fait celui-ci se sert de lui comme d'une poupée sexuelle.
L'intérêt d'Andrew pour les poupées devient de plus en plus prégnant, au point qu'il commence à en fabriquer lui-même, d'abord en copiant des modèles de collection, puis en développant son propre style, notamment la série des troll dolls, réalisées à partir de pièces abîmées trouvées en brocante et restaurées tout en préservant leurs blessures. C'est l'un des fils rouges de ce roman : tous les personnages principaux sont « différents », nous apparaissant blessés, abîmés, d'une façon ou d'une autre et l'assumant plus ou moins bien : nain(e)s, culs-de-jatte, autistes musiciennes de génie, sans oublier un transgenre et d'autres personnages à orientations sexuelles variées, etc. Un vrai défilé de « phénomènes », comme on en trouvait jadis exhibés dans les foires. le regard que l'auteur porte sur eux est empreint d'humanisme et pour ainsi dire affectueux, reconnaissant leur forme de beauté.
Suite à une petite annonce trouvée dans une revue plangonophile, Ponchinella, Andrew se met à correspondre – exclusivement par lettres – avec Bramber Winters, elle aussi passionnée par les poupées de collection, notamment celles fabriquées par Ewa Chaplin, Polonaise émigrée, arrivée à Londres en même temps qu'éclate la Seconde Guerre mondiale, et par ailleurs auteur de fictions courtes. L'une des nouvelles de son ténébreux recueil Neuf contes de fées modernes évoque d'ailleurs un cirque abritant des freaks.
« J'avais toujours estimé que les exhibitions de phénomènes étaient malsaines, que c'était là exploiter des gens qui n'avaient pas d'autre moyen de gagner leur vie. Mais la fête foraine dans la nouvelle d'Ewa Chaplin fonctionnait comme une sorte de refuge, un sanctuaire pour des gens qui autrement auraient été rassemblés et exterminés par les nazis. »
Dans une autre nouvelle, l'une des protagonistes, borgne, est auteure de romans policiers. Dans une autre encore, un nain dandy et collectionneur tisse sa toile autour d'une étudiante dont il est amoureux. Cette nouvelle, « Amber Furness », réapparaîtra au cours de l'intrigue sous une forme scénarisée dans laquelle joueront des personnages secondaires.
Bien que ce projet n'ait pas l'air d'emballer Bramber lorsqu'il lui en parle, Andrew décide de lui rendre tout de même une visite surprise à Bodmin, en Cornouailles. Il subodore qu'elle y est pensionnaire dans un asile psychiatrique ou un établissement similaire, mais cette hypothèse ne le rebute aucunement. Persuadé d'être amoureux d'elle, il prémédite de la ramener avec lui à Londres.
L'écriture de Nina Allan, transcendée par la traduction affûtée de Bernard Sigaud, est fine et subtile à tel point qu'on ne sait parfois plus dans quelle partie de l'histoire on se trouve. Les récits enchâssés le sont aussi précisément que des pièces d'automates, le tout fonctionnant ensemble dans un mouvement d'horlogerie qu'on ne peut plus maîtriser dès lors qu'il est enclenché. le temps, son existence réelle ou supposée, est au coeur de tous les ouvrages de Nina Allan ainsi que sa fascination pour le miniaturisme, donnant à l'ensemble de son oeuvre une dimension quantique.
J'ai suivi le parcours littéraire de Nina Allan depuis l'admirable recueil de nouvelles Complications (pour lequel elle a reçu le Grand Prix de l'Imaginaire, ainsi que son traducteur, en 2014), et j'estime qu'après son roman La Fracture qui l'a propulsée au rang d'écrivaine reconnue (sélectionnée au Fémina et au Médicis, catégorie Étranger, en 2019), elle s'est encore surpassée avec le Créateur de poupées qui mériterait amplement d'être couronné par un de nos prestigieux prix littéraires. CB
Chronique parue dans Gandahar 29 en septembre 2021
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Travaillée par une densité surnaturelle, avec ses coutures devenant invisibles, la fable contemporaine extrême et tendre des préjugés délétères sous toutes leurs formes.

Sur le blog Charybde 27 : https://charybde2.wordpress.com/2021/08/19/note-de-lecture-le-createur-de-poupees-nina-allan/

Depuis « Complications » (2011), et de manière éclatante avec « La course » (2014) ou « La fracture » (2017), Nina Allan nous a désormais habitués à nous plonger avec bonheur dans ses déroutantes mécaniques horlogères, chaque fois sur des terrains différents, mêlant avec une grande habileté langagière les éléments très concrets d'une contemporanéité britannique aux éléments tout aussi réels de diverses contrées imaginaires empruntées à la science-fiction, au thriller d'anticipation ou à des genres littéraires encore moins directement identifiables. Avec « le créateur de poupées », publié en 2019 et traduit en août 2021 par Bernard Sigaud chez Tristram, elle pousse certainement un grand cran plus loin cette capacité presque magique à déjouer les attentes de la lectrice ou du lecteur, en inscrivant mine de rien la question de l'altérité, des préjugés et donc des attentes, justement, au centre de sa fable à tiroirs multiples.

En mobilisant avec une savante tendresse la figure du nain, tout d'abord, que ce soit dans le récit dit principal ou dans les nouvelles d'Ewa Chaplin qui entrelacent « le créateur de poupées », Nina Allan pose avec force un cadre dans lequel les réactions sociales, historiques et contemporaines, à la différence – même bien faiblement radicale – vont pouvoir nous être contées ou être exprimées directement sous nos yeux. En travaillant expressément dans le corps du texte les détails signifiants de la célèbre toile de Vélasquez, « Les ménines », ou le lied de Schubert intitulé « le nain », un sous-texte rampant se constitue, dans lequel nos propres réflexes rencontrent davantage qu'à l'occasion les préconceptions héritées pour laisser rôder en limite de perception (surgissant en pleine lumière, naturellement, lorsque l'un des personnages, aux divers niveaux de récit, y fera directement allusion) un univers de fêtes foraines et d'exhibitions qui lorgnent du côté du Maurice Richardson des « Exploits d'Engelbrecht », du Claro de « CosmoZ », voire de la Katherine Dunn de « Amour monstre » ou du Jean-Luc André d'Asciano de « Souviens-toi des monstres » : « Ewa Chaplin a écrit une histoire sur une fête foraine ambulante. Les exhibitions de phénomènes et les fêtes foraines étaient très populaires en Europe de l'Est ».

En inscrivant l'ensemble du récit sous le motif de la collection de poupées et de leur création, ensuite, Nina Allan a non seulement réalisé le formidable exercice d'imagination d'extrapoler un univers entier de passionnés encore plus touffu et documenté que celui de la véritable plangonophilie (on se souviendra avec émotion du travail d'Antoine Bello, dans « Éloge de la pièce manquante », pour donner chair littéraire à l'univers du puzzle de vitesse et de la haute compétition qui s'y rattachait), mais a surtout orchestré un bain diabolique dans lequel, à côté du complexe et tenace préjugé « officiel », mentionné ab initio, vis-à-vis des amatrices et amateurs de poupées (lorsqu'il ne s'agit plus d'enfance et de jouets), nagent entre deux eaux divers éléments bien présents pour la lectrice ou le lecteur, fût-ce à leur esprit défendant : sans aller nécessairement jusqu'à la série « Chucky » de films d'horreur, et une fois désamorcée la tentation un peu plus lénifiante de Carlo Collodi avec son Pinocchio et son Gepetto, on sent largement planer les ombres inquiétantes, derrière les frères Grimm, d'Angela Carter (et sans doute plus encore de son « Magasin de jouets magique » que de sa « Compagnie des loups ») et D E.T.A. Hoffmann (auquel les allusions directes ou indirectes, entre noms de lieux et noms de personnages, semblent trop nombreuses pour être fortuites). Et c'est pourtant bien par le truchement de ces poupées, comme par les marionnettes chez l'A.S. Byatt du « Livre des enfants » ou chez le Russell Hoban de « Enig Marcheur », que l'art – artisanat – contribue souterrainement à surmonter les conditionnements sociaux délétères.

C'est la fictionnelle autrice et créatrice Ewa Chaplin, avec les cinq nouvelles complètes proposées parmi celles de ses « Neuf contes de fées modernes » (« La Duchesse », « Amber Furness », « L'Éléphante », « Coïncidence » et « La fenêtre d'en haut »), morceaux de bravoure à part entière, qui offre certainement les clés permettant de saisir certains fils conducteurs dans la trame serrée de l'enchevêtrement de préjugés que met en scène « le créateur de poupées ». Juive polonaise ayant fui le nazisme (qui condamnait aussi aux camps et à la mort plus ou moins rapide les handicapés et les homosexuels), elle connaît de toute première main la rage destructrice qui peut enflammer les essentialismes et les préconceptions, et ses personnages ambivalents sont les guides parfaits pour inciter lectrice et lecteur, comme Andrew et Bramber, victimes de préjugés eux-mêmes tous deux gonflés d'autres préjugés, à surmonter les leurs et à regarder la différence dans les yeux pour l'oublier ensuite. Comme le dit fort joliment Paraic O'Donnell dans The Guardian (ici), « le roman joue avec nous quasiment dès le départ, (…) mais nous parle bien de ce que nous choisissons de voir autour de nous ». Maîtrisant plus que jamais les délicats mécanismes de construction romanesque (comme les « Complications » horlogères de son premier recueil) permettant d'atteindre toujours plus de profondeurs insoupçonnées, Nina Allan, dans cette véritable danse des miroirs (selon le mot de Gary K. Wolfe dans Locus, ici) nous offre un exceptionnel roman d'éveil à la vie – qui n'est pas celle, rêvée ou non, des marionnettes, mais bien celle d'humains libres aux yeux enfin dessillés de ce qui les polluait encore et encore.
Lien : https://charybde2.wordpress...
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Lecture ardue pour contenu hardi, ce roman de Nina ALLAN joue avec les dimensions et peut se targuer de laisser beaucoup d'éléments hors de portée à ceux qui n'auront pas le loisir de s'armer de patience.
Une version plus courte, valorisant davantage les images, ou scénarisée et portée à l'écran pourrait révéler à plus ce qui semble inatteignable et serait dommageablement éteignable.
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Nina Allan s'ingénie à rendre notre lecture inconfortable dans l'intention de nous confronter à la différence, à l'étrange, au hors-normes et de nous placer en porte-à-faux face à nos attentes et nos idées préconçues. le créateur de poupées est un livre d'une extrême richesse et d'une extrême cohérence qui ne fait que confirmer tout le bien que je pense de cette grande autrice. A lire si on est prêt à « perdre [sa] place dans la hiérarchie des choses. »
Lien : https://dragongalactique.com..
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Pour être tout à fait honnête, je ne suis pas sûre d'avoir compris tous les tenants et les aboutissants de ce livre.... L'écriture est agréable et les nouvelles de la fictive Ewa Chaplin sont fascinantes, néanmoins les enchevêtrements sont un peu trop tarabiscotés pour moi. N'en reste qu'un sentiment de malaise (voulu par l'auteur, c'est donc bon signe) et une certaine déception à la fin, qui reste ouverte.
N'hésitez pas à vous faire votre propre opinion, de mon côté, je retenterai ma chance en lisant "La fracture" de la même autrice.
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Très difficile de raconter ce livre atypique par sa forme. Andrew est un petit homme 1m44, collectionneur de poupée ancienne et même créateur et concepteur. Il entretient une correspondance avec une certaine Bramber, elle même collectionneuse de poupée et admiratrice d'Ewa Chaplin, une polonaise célèbre pour ses poupées mais aussi pour ses nouvelles.
Andrew décide un jour de rendre visite à Bramber qui vit dans un asile sans être pour autant internée mais il veut lui faire la surprise et ne la prévient pas. Il organise son voyage et profite de celui-ci pour visiter la Cornouaille où se trouve Bramber. Nous le suivons donc dans son périple, visitons certaines villes et profitons des lectures d'Andrew et en particulier des nouvelles de Ewa Chaplin qu'il lit en trajet. Et là nous voilà dans une mise en abyme, où sommes nous réellement, avec Andrew, Ewa Chaplin, Bramber ? Tout s'imbrique pour notre plaisir.
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