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Critique de berni_29


Je découvre ici pour la première fois les mots de Jean d'Amérique, jeune poète et dramaturge haïtien, je découvre sa parole poétique à travers ce recueil qui m'a touché, bousculé, Atelier du silence.
Dans un élan viscéral tendu comme un rap ou enroulé dans un slam, les mots sont martelés, les phrases sont lacérées, tout au long de ce recueil. Ce sont autant de coups portés aux murs du silence avec beauté et douleur pour dire les soubresauts et les blessures d'une terre natale.
C'est une poésie souterraine, tellurique, vertigineuse.
Dans cet Atelier du silence, des mots nouveaux se forgent, continuent de porter leurs coups, comblent le vide, arment peut-être pour la vie des coeurs jusqu'ici fragiles. L'Atelier du silence devient alors cet arsenal du bonheur...

« Au vent nos enfances, mais le sang remonte à la source assécher toute lumière, le chant tète aux mamelles que durcit un sanglot. Gorge infertile face à la partition libre, quelle récolte à poindre ? Tout oiseau, sans doute, reconnaît dans la région muette la plus froide saison. »

Belle, rebelle, en colère... Elle est ainsi cette poésie que je découvre, celle de Jean d'Amérique...
Il célèbre le rythme inlassable des saisons que les maux de la terre cherchent à rendre incohérent. Des fleuves, des arbres, des pierres, des choses tiennent lieu en apparence d'un paysage ordinaire et immuable... Mais on peut brusquement les voir comme des choses fragiles, éphémères.
Vouloir les étreindre comme des êtres chers, les tenir dans nos bras, nos gestes eux aussi éphémères...
Et si la poésie était le dernier art qu'il nous restait pour nous indigner ?
C'est une clameur humaine, où le poète dit la souffrance d'ici-bas et partout sur la terre.
La souffrance du monde, les contrées meurtries par les tragédies, qui pourrait mieux les dire et nous les transmettre qu'un poète ?
Il juxtapose les maux de notre humanité, ceux qui altèrent les paysages géographiques, ceux qui abiment les visages, les peaux, les gestes, les coeurs, les rêves... Les paysages humains...
La poésie sensible de Jean d'Amérique est à la lisière de notre monde à la dérive. Il nous fait y accoster le temps de quelques fragments de texte.

« sous les ponts ce qui se passe relève
d'un nom plus tragique que l'absence
d'amants dessus »

L'égarement du monde ressemble à ce qui anime nos pas de lecteurs.
Il y a forcément une dimension politique dans la poésie de Jean d'Amérique.
Toute poésie devrait être politique au sens noble du terme. Aimer, n'est-ce pas s'unir dans une cité ? Y ancrer cet amour ? Durablement, parfois contre vents et marées. Vivre, n'est-ce pas vivre dans une cité ? Souffrir... Mourir... Combattre... S'ériger contre... Aimer, donc...
La figure maternelle surgit brusquement, irradie la poésie de Jean d'Amérique. Elle ne vient pas de nulle part, comme cela par hasard, elle donne sens au texte.
Atelier du silence est un texte à l'écoute de notre époque. C'est cette poésie d'aujourd'hui qui doit nous aider à tenir debout, à nous accompagner, parce que tenir debout dans ce monde brutal est un combat, une lutte sans merci.

« robe au cyclone
perdre pied dans vos déluges
dans vos pluies m'étancher
quelle fête
si j'ouvre ma fenêtre
c'est que vous êtes une promesse »

Jean d'Amérique nous propose des clefs, nous délivre de nos doutes brusquement, de nos hésitations, nous donne envie d'affronter ce monde à la fois si proche de nous et qui ressemble de plus en plus à une terre inconnue au fur et à mesure qu'on avance...
Alors la poésie de Jean d'Amérique devient un territoire intime, un rivage, une île.

« L'éternité se penche
pour peupler passages »

Nous étourdir de chagrin et de rage, y mettre de la fureur, ou peut-être simplement de la détresse, allumer des feux pour guider celui qui va venir, la personne qu'on attend peut-être déjà depuis longtemps...
En découvrant un poète nouveau pour moi, chaque fois je me pose toujours la même question : est-ce un être comme un autre ? Ou bien est-il différent de nous ? Et si oui, en quoi est-il différent de nous ? En quoi participe-t-il à la beauté du monde qui m'est si chère ? En quoi ses mots pourront-ils s'ajouter à ceux des autres poètes et former une citadelle pour mieux nous protéger des barbaries, de la bêtise, des petits tracas ordinaires... ?
Les mots de Jean d'Amérique sont des briques qui scintillent, se posent l'une sur l'autre pour construire un édifice imprenable au milieu d'une volée d'oiseaux... Dans l'impatience de leur ailes.
Alors j'ai eu envie de m'envoler à mon tour...

« Si j'avais la parole
je demanderais une minute de silence
pour ma liberté d'expression étouffée. »
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