De ses origines à nos jours, l'alpinisme n'a ainsi jamais cessé d'être une activité de découverte des montagnes du monde, et donc d'être une exploration.
Comme tous les animaux, l'être humain garde en lui un attachement intime à son territoire d'origine. Il le marque pour le rendre reconnaissable, il y trace les itinéraires qui seront ceux de son lieu de vie.
Depuis la première ascension du mont Blanc jusqu'aux années 1870, par exemple, il était à peu près inconcevable de gravir un sommet sans l'aide d'un guide.
L'alpinisme est le plus souvent un acte gratuit -- la fameuse "conquête de l'inutile" tant revendiquée par ses pratiquants.
En fait, il y a toujours eu des personnes pour admirer la montagne et des personnes à qui elle fait peur.
En 1336, l'ascension du Mont Ventoux par le poète Pétrarque préfigure ce qu'on a appelé "l'esprit de l'alpinisme" : le sommet était certes d'altitude plus que modeste, les difficultés d'ascension plutôt dérisoires, mais la course n'avait aucune utilité pratique, sinon celle d'atteindre le sommet, et surtout le récit qui en a été fait est celui d'un poète tout entier pris par la subjectivité de ses émotions.
La conquête de l'inutile n'est pas inutile.
Elévation vers le monde de l'altitude et bonheur de la création : ce sont là les deux caractéristiques de l'alpinisme qui non seulement contribuent à sa richesse, mais surtout lui donnent sa spécificité.
Comme le poète ou le peintre, le traceur de première trouve de grands instants où son oeuvre naît, jaillit hors de lui-même : les gestes s'enchaînent sans hésitation, les prises, comme les mots du poète ou les couleurs du peintre, apparaissent où et quand il le faut.
L'alpinisme n'est pas l'inlassable répétition de la même ascension sur la même montagne. Il est la poursuite d'un même plaisir bien particulier, le plaisir de l'ascension sur toutes les montagnes possibles.