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Critique de Bobby_The_Rasta_Lama


"L'amour sans éternité s'appelle angoisse : l'éternité sans amour s'appelle enfer."
(G. Thibon)

C'est ma récente découverte de "Livre d'images sans images" qui m'a donné envie de revenir vers Andersen, et de relire ce conte - peut-être son plus célèbre.
Les mythes et les contes classiques ont toujours joué, pour ainsi dire, le rôle d'un inventaire de diverses situations qu'on peut rencontrer dans la vie réelle - ils nous avertissent, nous éduquent, et nous conseillent le meilleur comportement à prendre.
L'enfant lit ou écoute, et constate que ce qui lui arrive n'a rien de neuf : tout comme les formules mathématiques, ces histoires lui apprennent à reconnaître et à appliquer certaines "formules de vie". C'est rassurant.
Est-ce valable aussi pour les contes d'Andersen ? Souvenez-vous de "La Princesse au petit pois", de "Les habits neufs de l'empereur", de "La Bergère et le Ramoneur", de "La Petite Fille aux allumettes"... ou, bien sûr, de "La Petite Sirène" !

En lisant la triste histoire de la créature marine qui tombe amoureuse d'un homme et qui sacrifie absolument tout à cet amour, on sent déjà inconsciemment qu'il s'agit d'un avertissement : "attention, cette formule ne fonctionne pas !".
Alors, pourquoi son histoire nous émeut-elle tant ? Pourquoi elle nous parle toujours, et pourquoi elle continue à inspirer les artistes ? le langage de la version originale est d'une autre époque, démodé et parfois naïf. Mais il ne s'agit pas de la stylistique. C'est une histoire sur l'amour fort et sur la solitude, devenue en quelque sorte "archétypale" dans la conscience collective. Car la vie est souvent ainsi, et Andersen le savait mieux que quiconque.

Si vous feuilletez son autobiographie (que je classe personnellement parmi les plus beaux livres que je n'ai jamais lus), vous trouverez peut-être quelques parallèles entre ses chagrins et ceux de sa princesse marine, mais il faut chercher entre les lignes.
Par contre, les faits rapportés par ses biographes - extraits de ses journaux et de ses correspondances - nous parlent plus clairement. L'asexuel Andersen tombait souvent platoniquement amoureux, et le sujet de ses passions était avant tout les hommes. Dans une lettre (jamais envoyée) à Edvard Collin, fils de l'un de ses mécènes, Andersen se plaint : "Je me languis de toi comme d'une belle pute de Calabre..." Bien sûr, Collin refusait absolument cet amour, et Andersen est devenu la Petite Sirène.
En effet, on rencontre parfois quelqu'un qui touche notre coeur et nous inspire cet "amour". C'est un moment merveilleux. Vraiment merveilleux... jusqu'au moment où on réalise qu'on est seul avec ses émotions, et que la personne en question n'y comprend rien. de quel amour parlez-vous ? Non, je ne ressens rien. Alors, selon votre nature vous pouvez pleurer, souffrir, vous fâcher, faire comme si de rien n'était, ou vous pouvez espérer que si vous aimez, l'autre finira par vous aimer aussi.
Mais non, il ne vous aimera jamais ; on ne peut forcer personne à éprouver des sentiments !

Andersen était suffisamment lucide pour le savoir, alors il écrivait des lettres pour son tiroir... Et aussi des histoires.
"La Petite Sirène" décrit le moment où vous vous retrouvez seuls, avec un étrange vide à l'intérieur, sali encore par l'indifférence et la trahison de l'autre, mais votre amour ne part pas.
Elle ne comprend pas : elle a tout offert au prince qui semblait l'apprécier, mais qui a fini par en choisir une autre. Comment c'est possible ? Il était si gentil, si prévenant... il n'a vraiment pas remarqué que la Petite Sirène l'aimait ?
On ne le saura jamais, le prince n'explique rien. C'est lui, le personnage "muet" de l'histoire. Un muet innocent, qui plus est, qui ne sait rien sur l'horrible marché avec la sorcière, et qui n'a pas la moindre idée de l'identité de celle qui lui a vraiment sauvé la vie. C'est plutôt la Petite Sirène qui n'a rien compris, et elle pleure sur la mauvaise tombe. La pauvre créature marine devient une sorte de stalker qui s'immisce dans la vie du prince, et réclame son amour, car elle est elle-même follement amoureuse.

Heureusement, Andersen/Sirène comprenait que l'amour forcé n'apporte pas le bonheur, et que l'autre n'est pas forcément mauvais, s'il n'y répond pas. Il nous épargne une fin cruelle : on ne saura pas si la vie du prince avec "l'autre" sera une réussite, il ne mourra pas, et la sirène aimante non plus.
En vérité, dans la vie ordinaire on ne meurt pas vraiment d'un coeur brisé ; même le conteur a survécu.
La Petite Sirène ne meurt donc pas, mais elle ne reste pas en vie pour autant : elle devient un esprit invisible, consolatrice des humains.
Est-ce qu'Andersen voulait dire qu'on rencontre cette sorte d'amour fatal qu'une seule fois dans la vie, et que cette expérience nous change pour toujours ? Peut-être.
Le véritable mémento de cette histoire reste l'idée qu'il est inutile de se sacrifier, comme l'a fait la malheureuse Petite Sirène. Ce n'est vraiment pas une "formule" valable pour la vie réelle. On le sent, et au fond on voudrait qu'elle se décide autrement : qu'elle prenne le long couteau, et... mais pourquoi ? Doit-on la plaindre ? Doit-on plaindre le prince ?
Tout est si compliqué et tragique... 5/5
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