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Citations sur Jours à Leontica (8)

Je gratte avec mes chaussures la neige qui s’est déposée sur le rocher où nous nous installons pour sécher. Je pose la paume de ma main dessus. Il est lisse et de la même largeur que les bancs qui flanquent l’entrée de la maison du Felice. Je m’y assois et balaie des yeux les alentours, m’imprégnant du paysage comme une serpillère qui essuie le sol. Et je pense.
Je pense que l’eau de ce torrent murmure quelque chose d’indéchiffrable, comme la Muette, cette vieille toujours renfrognée, quand elle marmonne. Elle jaillit des hauteurs de la montagne et rejoint plus bas, vers Dongio, les eaux du Brenno, le fleuve qui coupe le Val Blenio en deux. Le Brenno naît sur le col du Lukmanier et meurt dans le fleuve Tessin, à Biasca. Aux Bolle di Magadino, l’eau croise le lac Majeur, puis poursuit sa route en Italie, dans le Tessin au début, puis le Pô, qui se jette dans l’Adriatique. Je me demande si le Felice s’est déjà dit que cette eau va à la mer, et qu’il s’agit de la même, que l’on se baigne dans le Pô, sur les plages de Rimini, ou dans la Moscova, en Russie.
Et aussi qu’entrer dans cette gouille revient comme qui dirait à naviguer le long des fleuves et à travers les lacs, les mers et les océans, même sous la pluie . C’est aussi comme se sentir en communion avec quelqu’un qui se baignerait à l’autre bout du monde. L’eau de la gouille doit mettre une heure pour rejoindre un baigneur dans le Brenno plus bas dans la vallée, des jours pour le lac Majeur, des années pour la Moscova. Mais le Felice a de la patience, je pense.
Et j’en viens alors à me dire que cette eau est aussi la même que celle dans laquelle sa mère faisait bouillir les pommes de terre pour préparer ses gnocchis dominicaux d’il y a quatre-vingts ans, l’idée me donne des frissons. Est-ce que le Felice y a déjà songé, à tout ça ? Le contraire m’étonnerait. Forcément qu’il y a déjà songé.
Je reste assis à contempler les montagnes. Le sommet du Simano avec sa croix en fer, un minuscule point qui brille sous le soleil. L’Adula, avec son glacier réduit à peau de chagrin, en voie de disparition. Le sommet du Pizzo Sosto qui, vu d’ici, fait un angle droit d’une blancheur éclatante. Au sud, les crêtes enneigées des Préalpes s’estompent jusqu’à devenir aussi vaporeuses et légères que du papier vélin, là-bas en bas, là où la vallée s’ouvre comme une porte sur le monde. Et je pense à ce qu’elle devait avoir l’air loin, cette porte, des années en arrière, quand le Felice était enfant. Puis je pense aux migrants qui l’ont franchie pour chercher fortune. Et à la Muette qui n’est probablement jamais allée au-delà.
Je me lève. Ramasse un galet dans la gouille. Il est mouillé et brille dans la paume de ma main. Je le regarde lentement sécher jusqu’à devenir opaque. Je le serre dans mon poing, le glisse dans ma poche et me remets en chemin, accompagné de mon ombre sur la neige qui disparaît aussitôt que je m’enfonce entre les vieux sapins.
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Un jour je lui avais apporté un plein sac d'herbe de mon jardin, mais il m'avait dit que ses lapins n'y toucheraient pas, parce que je l'avais coupée à la débroussailleuse et qu'ils le sentent quand ça pue les gaz d'échappement.
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Nous la laissons dans son monde, fait du présent et guère plus.
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Il prend une grande inspiration avec la bouche et retient longuement l'air dans ses poumons. L'air de sa vallée.
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Les vieilles de Leontica marchent à longueur de journée, même si aucune ne bat le Felice. De l’aube au crépuscule, on peut les croiser dans le village qui vont et viennent, dans un sens ou dans l’autre. L’été, certaines poussent même parfois jusqu’au Nara. Il y en a qui vont par deux, d’autres, comme la Muette, qui préfèrent faire cavalier seul.
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Pendue au lobe de son oreille, une goutte d'eau s'allonge, reflète l'aube, tremble un peu, puis tombe. Il se rhabille, enroule dans du papier journal sa savonnette qui a séché et la glisse dans sa poche pendant que la vallée apparaît sous les premières lueurs du matin.
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Le ciel est étoilé. Moins cinq degrés. Je vois la silhouette du Felice, au fond, dans son coin de jardin. Enveloppé dans la vapeur qui s'élève dans le faisceau du lampadaire près du lavoir. Il pisse sur son compost.
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Le soleil, au zénith, et resplendissant, et si beau. Immense. Comment peut-il continuer à briller comme ça alors que (...je vous évite un spoil)
Comment une telle beauté et une telle immensité peuvent-elles rester indifférente à autant de peine ?
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