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Critique de AgatheDumaurier


Bon, je sais que Christine Angot n'est pas populaire, mais ne nous laissons pas intimider.
Je poursuis mon cheminement dans son oeuvre, elle m'intéresse.
Au début de cet opus, je me suis dit : non mais c'est quoi ce style horrible, elle écrit si bien dans "Inceste", "Un amour impossible", et là, c'est quoi ces imparfaits au lieu des passés simples ? On aimerait au moins des passés composés : "il me raccompagnait à ma place...j apercevais un type...le lendemain un type ...venait à mon stand..." J 'avais envie de tout barrer au crayon rouge et de mettre "temps ! " dans la marge. Et aussi de sanctionner tous les "on". Ca m'a gênée longtemps, je ne m'y suis jamais totalement habituée, mais les qualités du reste ont pris le dessus, et j'ai fini par me dire, après tout, ce sont les écrivains qui font la langue. le Gaffiot, c'est Cicéron, le latin, c'est Cicéron. Admettons cet emploi de l'imparfait comme temps de l'action ponctuelle et bornée. Pourquoi pas. Christine n'est pas en première, et elle a fait ses preuves.
Et puis le reste, c'est quand même très bien.
Une femme, deux hommes, puis un troisième qui se profile, mais rien de classique, là encore.
Pas de vaudeville, pas de tragédie, pas de romanesque. La vie. Mais restructurée.
Christine rencontre un homme, la cinquantaine, bon bourgeois assis dans un fauteuil de directeur de journal, intellectuel, intelligent, fin, faillible. Il lui dit qu'il est tombée amoureux d'elle, alors elle se met à douter de la relation qu'elle vit, à cette époque, avec Bruno, dont elle est déjà en train de se détacher.
Ensuite, grand flash back : l'histoire de sa relation avec Bruno. Bruno Beausir, alias Doc Gyneco, rappeur français, à l'époque sarkoziste (et qui va le payer cher). Bruno, c'est le contraire du journaliste, c'est le XVIIIème arrondissement (pas la banlieue, le XVIIIème, ce n'est pas pareil), le titi, les copains drogués, délinquants, la galère, la musique, le rap. le portrait de Bruno est extrêmement réussi, fin, tendre, profond, et je crois que le rappeur a l'intelligence d'en être satisfait (voir interviews), ce qui confirme l'analyse d'Angot sur leur proximité, leurs liens, leurs affinités. Bruno est le risque, l'authenticité, la vie réelle contre la vie en cocon du journaliste bourgeois de la rive gauche. Cliché ? Non, réalité. Angot y réfléchit. Elle combat le cliché.
Elle même, on l'assimile, et Bruno le premier, à cette "gauche caviar". Or, si on a lu "Un amour impossible", on sait qu'il n'en est rien. Christine Angot n'est pas une bobo de la rive gauche. Qu'est-elle ? Que veut-elle ? Et nous, lecteurs, qui sommes-nous ? Que voulons-nous ? Sommes-nous en train de nous mentir, de "jouer" (grande frayeur de Bruno et Christine, les gens qui jouent, avec les autres, qui jouent à se faire peur...) Les interrogations de la narratrice deviennent les nôtres. Christine et Bruno sont rejetés de tous les côtés, doucement mais sûrement, par des gens qui se croient ouverts mais demeurent étonnamment étriqués. Bruno s'exclut lui-même du "milieu" de Christine, mais c'est qu'ils sont soumis à des forces sociales qui les dépassent. On retrouve là un avant-goût de ce qui sera "Un amour impossible", avec Christine dans le rôle de son père, et Bruno dans celui de sa mère et, quoiqu'ils soient tous les deux des personnes de bonne volonté (à la différence du père de Christine) ils échoueront de même.
Echec dû aussi à la personnalité de chacun. Christine n'est donc pas condamnée à se ranger auprès d'un directeur de journal pusillanime.
Le texte vaut par la complexité des lignes qu'il dessine entre les humains, par son absence d'illusions romanesques et pourtant l'omniprésence du désir et de l'amour qui cherchent à briser toutes les barrières, par la représentation d'une quête humble de la liberté libre dans le quartier de la Madeleine, par le dévoilement sur un rythme moderne des hypocrisies sociales ancestrales, par la parole vivante d'une femme qui, doucement mais sûrement, ne renonce jamais.
Tant pis pour les imparfaits.
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