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Critique de Lutopie


”Tu ne sais ma présence qu'au seul son de ma voix”.
Le roi à qui Shahrâzâd présente un miroir des rois reste suspendu, à ses lèvres attaché. Shahrâzâd tient la vie du roi en sursis comme il tient la sienne en sa volonté. Shahrâzâd, l'héroïne des Mille et une nuits, éclipse l'histoire du roi qui précède la sienne, par les siennes, d'histoires, qu'elle narre nuit après nuit. Mille et une nuits d'amour en compagnie de Shahrâzâd et de sa soeur Dunyâzâd, tel est le compte échu au roi Shâhriyâr, l'insomniaque, bienheureux toutefois de passer ses nuits à écouter les contes de Shahrâzâd, elle qui “ avait dévoré bien des livres [...] On dit qu'elle avait réuni mille livres”.
La conteuse entretient la curiosité du roi et des lecteurs,s'interrompant, et les mêmes formules reviennent, mille fois, parfois à la fin d'une histoire, après avoir promis une histoire bien meilleure encore, parfois en plein milieu d'une histoire, au moment d'un retournement de situation :
“Mais l'aube venait reprendre Shahrâzâd, parler n'était plus permis : elle se tut.”
Mais elle reprend à la nuit tombée :
“On raconte encore, Sire, ô roi bienheureux, que …”
Ainsi survit-elle, nuit après nuit, par son éloquence, par la durée qu'elle entretient, pour faire durer le plaisir.

Et Shahrâzâd raconte l'amour et la mort, elle chante les retrouvailles, les victuailles, les épousailles. La conteuse mêle savamment les registres puisqu'elle s'illustre dans le genre épique ( voir le conte du roi guerrier Sharr Kân, mon préféré), le genre lyrique, le genre satyrique (surtout aux dépens des chrétiens), le genre didactique : des genres nobles dédiés aux personnages illustres. Règnent alors dans l'esprit du roi, Dieu - le Coran est intégré aux Mille et une Nuits - son prophète, et des rois anciens aux trésors incommensurables, vivant en des châteaux d'Ispahan, de Bagdad, de Damas, de Chine, d'Inde ou d'ailleurs, d'or et d'argent, en lapis-lazuli telle la porte d'Ishtar. S'anime un monde merveilleux où s'amusent les démons, les génies, où survit la magie comme l'art de la géomancie et les reines lisent la vérité en traçant des signes sur le sable lorsqu'il ne s'agit pas de tourner une gemme dans un sens ou dans l'autre pour faire intervenir les génies qui proposent non pas des tapis volants mais des lits volants (sans doute la version luxe de leur catalogue). S'aiment les hommes et les femmes à la beauté de lune, amants (mal)heureux enlacés ou séparés. Les Mille et une Nuits, ce recueil infini de contes, nous offre comme un coffret de joyaux des morceaux de poésie élégiaque (les amants pleurent leur malheur) ; des extraits de littérature érotique où la femme est le coffret et l'homme la clé. Shahrâzâd donne son corps, son âme, sa vie à Shâhriyâr, lui procurant du plaisir, tout en l'éduquant en lui donnant subrepticement des indications sur l'art de gouverner sa vie et sur l'art de gouverner un royaume. Nuzhâ, l'un des personnages de la conteuse, dans le conte le plus long de mon édition, découvre d'ailleurs l'étendue de sa sagesse lors d'un entretien avec le roi en commençant par cet art qui surclasse les autres : l'art de gouverner. Les histoires qu'on raconte aux rois de légende sont consignées en lettres d'or et il est souvent dit qu'il s'agit d'”écrire d'une fine aiguille sur le coin de l'oeil”. En effet, tout lecteur se doit de déchiffrer les signes par l'oeil et les personnages sont censés, s'ils ne veulent pas tomber dans les embûches que leur réserve le sort, respecter les signes. Shahrâzâd rappelle aussi, qu' "Il n'y a de force et de puissance qu'en Dieu” et la parole sacrée par excellence, résout souvent comme par magie les problèmes dans les contes de Shahrâzâd. L'histoire et la morale sont fabuleuses.
On retiendra que tout était écrit. Mektoub.
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