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Critique de Antyryia



Depuis le temps que Margot et William attendaient cette soirée !
Mais la baby-sitter vient d'appeler : elle ne sera finalement pas disponible pour garder le petit Sacha.
Voilà six mois maintenant que Margot est maman à temps complet et elle comptait tellement sur cette sortie pour retrouver un semblant de vie sociale !
Qu'à cela ne tienne, c'est sa belle-mère qui gardera leur bébé, à titre exceptionnel. Celle-ci se fait une joie de répondre immédiatement présente.
Une fois dans l'ascenseur, le couple s'aperçoit qu'ils ont oublié de prendre de l'argent liquide, pour les t-shirts. Demi-tour toute !
Arrivés au sous-sol, c'est la voiture qui ne démarre pas. A croire qu'ils sont maudits ... 
Mais en prenant les transports en commun, ils peuvent encore arriver à temps. Direction le métro.
Nous somme le vendredi 13 novembre 2015.
Quand les deux époux arriveront au Bataclan, le concert des Eagles of Death Metal aura déjà commencé. 
 
Parmi la foule de ce funeste soir, Amélie Antoine a fait le choix de se focaliser sur dix personnes en particulier. Comme un macabre casting, un échantillon d'individus issus de son imaginaire et pourtant étrangement réels. Dix destins qui vont lui permettre de reparler du drame pour ne pas l'oublier. Jamais.
Elle nous les présente un à un en quelques pages, dans des scènes si quotidiennes, si banales, que la force du contraste avec ce qui les attend nous émeut d'emblée. Je pense en particulier à celle d'un père qui regrette de ne pas pouvoir emmener son fils. 
Outre Margot, on retrouvera la jeune Abigaëlle qui ira au concert malgré l'interdiction de sa mère dans le simple but d'attirer l'attention d'un lycéen sur lequel elle a totalement flashé.
Philippe, presque cinquante ans, va quant à lui inviter son ami Pascal qui broie du noir depuis la perte de son emploi. Les décibels vont lui changer les idées !
Sofiane est un fan absolu des Eagles of death metal. Il retarde son départ pour le concert afin d'aider sa fiancée Héloïse dans les préparatifs de leur mariage.
Bastien vit une situation particulièrement tendue avec son père, qui a beaucoup de mal à accepter son homosexualité.
Léopold est batteur dans un groupe. Ils doivent jouer le samedi dans un café parisien mais le vendredi ils ne seront que simples spectateurs au Bataclan.
Théo n'a que dix ans. Ses parents sont divorcés. Son père insiste auprès de son ex-femme pour l'emmener voir son premier concert de rock, même si ça n'est pas son tour d'avoir la garde.
Lucas a reçu les billets de concert de la part d'Anouk, cadeau pour leur cinq ans de rencontre. Elle l'accompagnera avec un couple d'amis. 
Romane invite sa soeur Adèle à la rejoindre sur Paris. Celle-ci accepte avec plaisir cette offre de réconciliation.
Enfin, Daphné est une maman toujours prise par le temps, qui cumule deux travails. Elle est caissière en semaine et elle tient également les vestiaires du Bataclan le vendredi et le samedi soir.

Revenir sur la tragédie du Bataclan en écrivant un roman était un pari risqué, un projet qui pouvait être perçu comme maladroit voire opportuniste. Ca n'est pas le cas. Amélie Antoine explique sa démarche en avant-propos. Elle s'est sentie tellement concernée par cette fusillade aveugle qu'elle a éprouvé le besoin de la raconter à sa façon, comme un témoignage de soutien aux victimes, à leurs proches, à tous ceux qui étaient présents et pour qui il y a forcément eu un avant et un après.
Son témoignage romancé est d'ailleurs construit de cette façon. L'insouciance de l'avant, ce qui s'est passé pour ces dix personnes et leurs accompagnateurs pendant le concert, et l'après.
Juste après, une journée plus tard, un mois ou un an : un décalage volontaire afin d'offrir un aperçu le plus large possible des conséquences, du bouleversement qui aura lieu immanquablement pour chacun des survivants. 
Parce qu'on imagine dès les premières présentations que certains personnages ne rentreront jamais chez eux. Je me suis surpris à me demander comment Amélie Antoine pouvait considérer avoir le droit de vie et de mort d'ailleurs sur ces protagonistes de circonstance. Qui allait-elle choisir de tuer, de blesser ou d'épargner ? Dans ce contexte d'un évènement réél, cette toute puissance de l'écrivain m'a initialement dérangé. Jusqu'à ce que je comprenne que les balles des terroristes avaient été tirées aveuglément, que le principal objectif était de faire le plus de victimes possible.
Et c'est simplement également le cas ici, il n'y a pas un personnage plus important ou plus immunisé. La mort va simplement frapper au hasard cette fois encore. 
En tout cas je n'ai aucun doute sur la sincérité de cette oeuvre. Je commence à connaître Amélie Antoine au travers de ses écrits qui, à des degrés divers, témoignent toujours d'une sensibilité à fleur de peau.
Profondément choquée par ce massacre gratuit ( au nom de quoi ??? ), elle a décidé d'apporter sa pierre à l'édifice. A la façon d'un bouquet qui ne se fânerait pas, d'une bougie que le vent ne soufflerait pas, l'hommage littéraire est réellement poignant. 
Et inscrit dans le temps.

Si les personnages sont issus de l'imagination de l'auteure, la description des faits est très documentée, reproduisant avec une troublante fidélité le cauchemar des spectateurs. Des gens si ordinaires pris en quelques secondes dans un tourbillon de folie meurtrière. Certains ont privilégié l'entraide et la protection d'autrui, d'autres ont fui sans se retourner quitte à piétiner les gens au sol, mais c'est relaté sans le moindre jugement. Qui pourrait être certain de la façon dont il aurait réagi s'il avait été présent ?
Et c'est le coeur serré, la gorge noué, que l'on suit ces personnes créés par Amélie Antoine tenter de trouver un refuge sur les toits, derrière un faux plafond ou une porte. Seules ou emmenées par une main amicale. Immobiles au sol ou entraînées de force dans un mouvement de foule en panique.
"J'ai enfin compris que des malades jouaient au chasseur dans la salle, qu'ils nous tiraient comme du gibier."
L'auteure s'immisce dans l'esprit de ses différents narrateurs et nous restitue toutes les pensées qui ont traversé leur esprit. Des réflexions parfois totalement incongrues, de la culpabilité, de la peur, de la souffrance, de l'égoïsme. Ceux qui n'ont pas compris ce qui se passait réellement et ceux qui ont pris conscience qu'ils allaient mourir.

Ce livre aurait pu être un thriller, mais la réalité dépasse malheureusement parfois la fiction. Par conséquent il est simplement impossible d'émettre un avis sur l'histoire racontée, tant elle est vraie. Elle est en tout cas relatée avec énormément de sensibilité, de justesse et de sincérité.
Aucune explication n'est donnée, les terroristes ne sont que des ombres meurtrières et leur donner la moindre petite importance aurait été déplacé dans ce qui est un réel hommage à tous les présents, qu'ils s'en soient ou non sortis, sachant qu'avoir survécu ne signifie aucunement avoir été épargné.
Un point m'a quand même dérangé, en l'occurrence une touche d'espoir insufflée par l'auteure, comme si quelque chose de positif pouvait quand même surgir de cette barbarie. Je comprends la démarche, la volonté de se dire que peut-être de cet immense gâchis a pu surgir une minuscule lueur d'espoir, pour que tout ne soit pas totalement vain, mais j'aurais préféré qu'on en reste à une noirceur totale.

Bientôt vingt mois qu'a eu lieu la fusillade.
Une nuit qui nous aura tous choqué, attristé, révolté.
128 décès, dont plus de 80 au Bataclan, au nom de rien. Rien de tangible, rien d'explicable, une gratuité aussi inacceptable qu'impardonnable.
Et pourtant, je n'avais plus repensé à ces évènements tragiques depuis longtemps.
Le pari est donc réussi pour Amélie Antoine qui m'a permis de vivre au travers de ses personnages cette terrible soirée. de me rappeler que j'aurais pu y être. Je connais le Bataclan, mais je n'avais jamais pris la peine de visualiser ou de ressentir ce que la foule avait réellement vécu prise au piège par des fanatiques.

Une lecture forcément un peu dérangeante, dont on ne ressort pas indemne.
Un texte très fort dont j'aurais souhaité que l'issue soit différente cette fois, dans laquelle je me suis senti impliqué émotionnellement.
Comment ne pas l'être ?
Un témoignage rempli de douleur et de compassion.
Peut-être une goutte d'eau dans l'océan, mais une oeuvre très généreuse et probablement courageuse.
"Parce que je ne veux pas que l'on oublie." conclue Amélie Antoine en introduction.
En tout cas, je m'en rappellerai bien plus longtemps.


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