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Critique de Antyryia



Avant, les gens se rencontraient en boîte, ou pendant leurs études.
Et puis il y a eu l'avènement d'internet et des sites de rencontre.
Désormais, pour trouver l'âme soeur, rien de tel que de se promener dans les allées d'un cimetière.
Les lecteurs de Katarina Mazetti se souviennent probablement de la rencontre de Désirée et Benny dans le mec de la tombe d'à côté.
Les lecteurs d'Amélie Antoine se souviendront quant à eux de celle de Benjamin et Rebecca dans les allées d'un cimetière de la région parisienne.
Elle y nettoie des tombes laissées à l'abandon, lui assiste avec culpabilité à l'enterrement d'un homme dont il a involontairement provoqué la mort.
La couverture renvoie d'ailleurs à cet accident ayant eu lieu dans un prologue inoubliable.
Il sera fasciné, irrésistiblement attiré par cette inconnue, obsédé par la simple idée de la revoir.
Dans cet espoir, il reviendra s'installer parmi les pierres tombales, tentant de lire Mr Mercedes sans parvenir à s'y plonger tout à fait.
Ce qui fera de ce roman de Stephen King - auteur également ( mais est-ce un hasard ? ) de Simetierre - leur premier sujet de conversation.
Puis ils feront l'amour passionnément sur les sépultures, dans les caveaux et les catacombes.
Ils se marieront et auront beaucoup de petits vampires.

Excusez-moi, il semblerait que je me sois un peu égaré.
Aucun suceur de sang ni succube ni créature démoniaque dans le jour où. Amélie Antoine ne s'est pour l'instant pas encore reconvertie dans la fantasy urbaine.
Par ailleurs, aucun passage drôle non plus. Si vous souhaitez vous esclaffer toutes les deux pages comme avec le plus connu des romans de Katarina Mazetti, mieux vaut passer votre chemin.
Le jour où s'inscrit parfaitement dans la bibliographie de la Lilloise.
Même si tant par besoin personnel que pour répondre à la demande de son éditeur ( le roman paraîtra chez XO en septembre ) le jour où est un roman plus lumineux que ne l'étaient Raisons obscures ou Sans Elle, il ne s'agit pas pour autant d'une simple histoire d'amour. Il n'y a pas de feux d'artifice à chaque page. Amélie Antoine n'a pas vendu son âme à la collection Harlequin pour quelques euros.
Vous avez besoin d'un peu de baume au coeur ? Vous trouverez tout ce qu'il vous faut au rayon feel-good de votre librairie préférée.
La lumière dont on parle ici n'est qu'un mince trait au milieu des ténèbres.
Un halo doré nécessaire pour que l'histoire ne devienne pas irrespirable.
J'ai eu la gorge serrée, les tripes nouées et les yeux quelque peu embués par moments.
Et croyez le ou non, ça n'est pas de lire l'histoire de deux être blessés se rapprochant peu à peu qui m'a procuré ces émotions douloureuses.

Je vais d'abord parler du sujet qui fâche, et qui est justement cette histoire d'amour.
Jamais je ne l'avouerais, même sous la torture, mais il m'est arrivé par le passé de lire quelques romans de Danielle Steel, orfèvre en littérature sentimentale.
Jusqu'à me rendre compte que l'intrigue était toujours la même.
Malgré la plume toujours aussi aérienne et envoûtante d'Amélie Antoine, j'ai quand même mis du temps à m'intéresser à l'histoire proprement dite.
Je me suis même demandé qui avait kidnappé mon auteure de prédilection, qui jamais n'aurait été se perdre dans cette littérature préfabriquée à l'eau de rose.
Deux êtres séparés de leurs conjoints respectifs, abîmés, torturés, qui se cherchent en tâtonnant, qui éprouvent des sentiments, mais non c'est trop compliqué, tu ne peux pas comprendre, mais moi je t'aime...
"Il avait l'impression d'être un vulgaire déchet, de ne plus avoir de valeur en tant qu'être humain. Un sentiment indescriptible."
On ne passe pas non plus à côté de tous les poncifs du genre. Les personnages eux-mêmes s'en rendent compte en utilisant les termes "mièvre" ou "téléfilms sirupeux" face à la réalité de ce qu'ils ressentent. L'amour peut avoir bien des visages mais pour le décrire c'est difficile de faire dans l'originalité.
"Avec elle, tout est intense, éclatant. le bonheur est irrepressible."
"L'amour peut tout, s'est-il répété."
Mais ce mauvais départ n'en n'était pas vraiment un comme j'ai pu m'en rendre compte par la suite.
Je n'apprécie pas le sentimentalisme gratuit. Les intrigues de coeur sans aucun lien avec le reste du contenu ou le sujet abordé.
Ca n'est absolument pas le cas ici.
Loin de là.
C'est une histoire de résilience.
Et c'est une histoire qui, à l'instar de Raisons obscures, vous emmène là où vous ne l'auriez pas soupçonné.
L'un de ces encarts "faits divers" que l'on peut retrouver dans les journaux.
C'est vraiment horrible, se dit-on avant de tourner la page pour regarder les résultats sportifs et d'oublier aussitôt la tragédie qui ne peut arriver de toute façon que dans les autres foyers.
Oui, et horrible est un mot encore bien trop faible quand le roman nous le fait vivre de l'intérieur.

Ne comptez évidemment pas sur moi pour vous dire quel est réellement le sujet abordé dans le roman.
Quel fait divers va vous donner des envies de meurtre, va vous laisser pantelant au point de ne pas oser lire le paragraphe suivant.
Entre larmes, incompréhension et colère.
Par contre, je peux vous dire quand :
Le jour où.
Etrangement, cette date m'a d'autant plus interpelé que c'est aussi le jour où mon père aurait eu soixante-et-onze ans s'il avait vécu assez longtemps.
Tous les amateurs d'Amélie Antoine savent à quel point ses romans sont intelligemment construits. Je pense bien sûr aux Secrets qui commence par la fin et remonte dans le temps au fur et à mesure des chapitres. Au défi qu'elle s'était lancé avec Solène Bakowski d'écrire un roman avec un même début, une même fin, de mêmes personnages, et une minuscule variable au début de leurs histoires respectives qui en feront des oeuvres uniques.
Cette fois, l'ensemble du roman est relié autour d'un axe : Le jour où.
Il y a une alternance passé / présent, chronologique dans les deux cas à de rares exceptions près.
Le passé nous emmène inexorablement vers ce jour où. Et vous vous doutez bien que ce jour-là n'est pas celui où Rebecca a mangé de la viande de kangourou pour la première fois mais qu'il sera bien plus déterminant et qu'il marquera à jamais un avant et un après.
Le présent quant à lui nous en éloigne progressivement, pour autant l'ombre du jour où plane encore, menaçante.
Ainsi les chapitres s'intitulent "Dimanche 07 avril 2019 - 315 jours après le-jour-où" ou "Vendredi 30 mars 2018 - 58 jours avant le-jour-où"
La date exacte ne nous est donc pas du tout cachée.
En réalité, le roman parle de la place et du poids du passé, de la difficulté voire de l'impossibilité de se reconstruire sur un champ de ruines.
"Je n'existe plus."

J'ignore quel drame exactement a vécu personnellement Amélie Antoine mais il n'est pas sorcier de deviner qu'elle a mis beaucoup d'elle-même dans le personnage de Rebecca.
Cette dernière, auteure pour la jeunesse, parle ainsi du livre qu'elle est actuellement en train de rédiger, comme une mise en abîme :
"Par contre, un roman qui permet de te transcender et d'exorciser la réalité, ça j'en suis capable."
Et ce livre, c'est bel et bien le jour où.
Qu'il s'agisse de Rebecca ou d'Amélie Antoine.
Livre dans lequel transparaît tant sa douleur que son long chemin vers un nouvel équilibre.
En outre l'auteure qualifie elle-même ce roman de très personnel.
Il a du agir comme une catharsis, un exutoire, un pas supplémentaire vers un avenir meilleur.
Que je lui souhaite de tout coeur.

Sinon tout ce que je peux dire encore c'est qu'à part le personnage d'Alice - la soeur de Benjamin - qui ne m'a pas convaincu par ses dons de voyance et m'a semblé un peu artificiel, tous les autres protagonistes m'ont paru plus vrais que nature. Quelques comportements suffisent à nous dire qui ils sont, quelle est leur personnalité.
Au point que je me sois moi-même reconnu dans les maladresses et les hésitations de Benjamin.
"Benjamin est toujours dans la retenue, dans la peur du jugement, ce qui l'empêche d'être naturel."
Oui, c'est exactement moi et le manque de confiance que j'éprouve trop souvent.
Quand l'auteure le décrit réfléchissant une demi-heure au contenu d'un simple sms, je me suis aussi vu à l'oeuvre à hésiter, rectifier, corriger, jusqu'à trouver exactement les bons mots dans un texto ou un courriel, des mots qui ne seront pourtant pas du tout analysés par mon interlocuteur.
Rebecca l'encourage à ne plus se dénigrer, mais elle est aussi capable de se métamorphoser après un geste ou une parole innocente comme s'il devait surveiller la portée de la moindre de ses paroles.
Si les personnages, leurs pensées, leurs réactions, semblent aussi justes, c'est parce que l'auteure lilloise a une maîtrise parfaite de la psychologie humaine et de la façon de les retranscrire.
Même la noirceur d'une Karine Giébel ne rivalise pas avec les émotions qu'arrive à nous faire partager Amélie Antoine. On vit et on éprouve les mêmes souffrances que ses personnages écorchés vifs. Et ce qui permet cela, c'est à mon avis la sensibilité même de l'auteure, à fleur de peau, et son empathie.
Pour l'anecdote, les deux écrivains ( Karine Giébel et Amélie Antoine ) seront au sommaire d'un recueil de nouvelles intitulé Regarder le noir ( à paraître en mai ) en compagnie notamment de Claire Favan, Barbara Abel, Olivier Norek et bien d'autres noms encore de la littérature noire.
Non, Amélie Antoine n'est pas une auteure de polars, en tout cas pas à proprement parler.
Et pourtant elle est peut-être la plus douée d'entre tous pour plonger dans les abysses de l'âme humaine et en extraire ce qu'il y a de meilleur.
Et de pire.

* * *

Depuis ma lecture j'erre dans les cimetières, certain d'y trouver enfin mon âme soeur.
J'ai demandé à une veuve en larmes sur la tombe de son époux décédé quelques jours plus tôt si elle voulait bien m'accompagner au cinéma, je me suis discrètement mêlé à la foule de personnes présentes autour du cerceuil que les fossoyeurs descendaient en terre, proposant aux plus jolies femmes d'aller prendre un verre avec moi une fois les funérailles achevées.
J'ai aussi dragué une croque-morette, totalement fasciné par son absence de sourire et une gardienne de cimetière en lisant Changer l'eau des fleurs de Valérie Perrin face à sa loge. Elle n'a jamais compris le message.
Je dois avouer que pour l'instant je n'ai pas rencontré énormément de succès.
Peut-être dois-je encore parfaire mes tentatives de séduction ?
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