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Critique de Creisifiction


En refermant ce livre, j'ai éprouvé comme un besoin momentané de silence et de recueillement. Peut-être pas très compliqué à réaliser comme voeu, diriez-vous, par exemple, en ces temps de restrictions avérées et de claustration préconisée..!

Dans tous les cas, la lecture de DES JOURS D'UNE STUPÉFIANTE CLARTÉ m'a laissé un sentiment teinté de gravité et provoqué une certaine componction. Pour ce qui est donc de mes étoiles, l'exaltation que je recherche d'habitude en tant que lecteur (je n'y peux rien, l'Amérique Latine coule aussi dans mes veines !!) n'y serait pas, je crois, pour grand-chose.

Il y a pour moi, je ne vous cache pas, et probablement on s'en doute déjà, quelque chose de difficile à exprimer à propos de cette lecture que je situerais volontiers, à un niveau purement intuitif de l'état actuel de mon pauvre raisonnement, entre « La Route», de Corman McCarthy, et «La Pesanteur et la Grâce », de Simone Weil.

DES JOURS D'UNE STUPÉFIANTE CLARTÉ raconte, en toute simplicité stylistique et narrative, le «retour à la maison » du jeune Theo Kornefeld suite à la débâcle provoquée dans les camps de concentration ukrainiens par l'avancée progressive des troupes russes. Les déportés se retrouvant subitement libérés et livrés à eux-mêmes, errent en grande partie hébétés sur les routes d'une Europe centrale dont la réalité géographique reste ici accessoire, fondamentalement floue. Jonchées de débris de la guerre, étrangement dépourvues de traces de la civilisation moderne ou d'urbanité, ces dernières évoquent une sorte de no man's land propice aux chimères de toutes sortes, et où certains, égarés, décideront de s'installer à demeure...

L'expression « stupéfiante clarté » du titre m'intrigue. Quelle est cette stupéfiante clarté dans un récit qui s'apparenterait au départ à un témoignage sur les abominations terribles subies par le peuple juif pendant la Deuxième Guerre mondiale, et dont l'auteur lui-même avait personnellement pâti durant son enfance?

Certes, il fait plutôt beau pour la saison, devant Theo il y a le ciel qui «s'ouvrait dans une limpidité bleutée», même si , apprend-on , «la lumière se déversait à l'intérieur de son corps comme dans un récipient vide», mais de quoi s'agirait-il au juste sous ce titre très arcadien et bucolique ?
De l'éblouissement face à la liberté retrouvée ?
Du constat sidérant que rien ne serait plus pareil? Qu'il n'y aurait pas de retour possible, puisque «nos maisons sont perdues à jamais» ?

Aharon Appelfeld ne se reconnaissait pas lui-même comme un écrivain de la Shoah : «Je ne suis pas un écrivain de l'Holocauste et je n'écris pas sur cela, j'écris sur les hommes juifs».

DES JOURS D'UNE STUPÉFIANTE CLARTÉ est en principe une fiction dénuée de tout propos volontairement autobiographique, parsemée d'évocations d'une enfance enchantée auprès d'une mère aimante (la mère d'Aharon Appelfeld a été elle assassinée quand il avait 8 ans).
Un récit traversé tout au long par des rêves éveillés, par des visions nocturnes et situé plutôt à la limite de la fable métaphysique, voire de la parabole à connotation biblique.

«Et le soir fut». Theo rêve de sa mère. Il a 5 ans, ils sont dans un jardin public, sa mère distribue de miettes aux pigeons. Il lui demande si les pigeons nous ressemblent. «Bien-sûr, répond la mère (...) mais ils sont plus proches du ciel que nous (...) Parfois elle murmurait le mot «Dieu» sans rien lui demander (...)».

La mère de Theo, Yetti, femme charmante, versatile, enflammée, ne fréquentait plus les synagogues, préférant se recueillir dans les chapelles et dans les monastères où résonnaient les cantates de Bach.
Yetti pourrait en effet me faire penser à Simone Weil, ou en tout cas à ce que cette mystique moderne incarnait : une quête dépassant largement l'enfermement des religions instituées et par laquelle l'homme cherche à s'élever et à sublimer sa condition purement terrestre, bestiale.

Et puis il y a Madeleine, la femme blessée que Théo rencontrera sur la route, dont la foi inamovible en l'amour permet d'endurer toutes les souffrances qui lui sont infligées.

Quelle est donc cette stupéfiante clarté qui permettra in fine à Theo de rentrer chez lui et d'accepter que sa maison n'existera peut-être plus, ou que ses parents auront été massacrés ?

Serait-ce cette découverte de ce qui est «l'immuable» par rapport à ce qui est «purement éphémère», et qui permet de se reconstruire une nouvelle vie après une catastrophe d'une telle ampleur sans devoir enterrer son passé ?

Aharon Appelfeld a lui aussi changé de pays et adopté, pratiquement adulte déjà, une nouvelle langue, l'hébreu, par laquelle il serait ensuite consacré comme un des écrivains majeurs de la littérature israélienne contemporaine.
DES JOURS D'UNE STUPÉFIANTE CLARTÉ est son dernier ouvrage, publié peu avant sa disparition.
C'est épuré comme un dernier tableau de maître : quelques traits suffisent, peu de couleurs.

Dans son autobiographie «Histoire d'une vie», parue en 1999 il écrirait : «La mémoire, s'avère-t-il, a des racines profondément ancrées dans le corps. Il suffit parfois de l'odeur de la paille pourrie ou du cri d'un oiseau pour me transporter loin et à l'intérieur».

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