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Critique de Stoffia


Je n'avais jamais lu Eichmann à Jérusalem, sauf quelques extraits. Pourtant, j'ai étudié 8 ans en Philosophie et le livre était au programme dans plusieurs cours — j'étais donc convaincu de bien connaître le livre.

Erreur.

Je termine même ma lecture avec la conviction qu'aucun des professeurs avec qui nous en avions discuté en classe ne l'avait vraiment lu. Les lieux communs entourant l'ouvrage sont pour la plupart, de courtes sections d'importance mineure, mal cités, quand ils ne sont pas carrément des inventions.

Quelques exemples.

- Arendt ne dit jamais que Eichmann n'était pas antisémite. C'est lui qui l'affirmait. Elle rapporte par contre qu'elle ne croit pas que son antisémitisme soit la cause principale du rôle qu'il a joué dans l'Holocauste. Ce serait plutôt son désir personnel d'obtenir une promotion qui l'aurait poussé au zèle.

- Elle n'affirme jamais que les Juifs ont collaboré à l'Holocauste, ou en sont partiellement responsable de par leur passivité.

- Elle n'excuse jamais Eichmann. Elle rapporte tout de même qu'il était innocent de certains — de la LONGUE liste des chefs d'accusation — des crimes dont on l'accusait. Eichmann méritait la mort, nous dit-elle. Même s'il aurait mieux valu qu'Israël attende la fin des procédures judiciaires plutôt que de l'exécuter quelques heures après le verdict.

- Elle ne disserte JAMAIS sur la nature du mal. La banalité du mal, c'est ce qu'elle a cru percevoir chez Eichmann. Ce n'est pas un énoncé général. En postface, elle précise même qu'elle est en désaccord avec l'idée selon laquelle nous aurions tous un Eichmann en nous, un fonctionnaire ambitieux qui ne fait qu'obéir aux ordres. Cette interprétation de Arendt — qui a même servi de base à la malheureusement fameuse expérience de Stanford — est simplement fausse.

Il y a de nombreuses choses intéressantes que Arendt aborde dont je n'avais jamais entendu parler, par contre.

- le contexte politique. Elle soupçonne Israël d'avoir deux objectifs derrière le procès. 1- Associer Eichmann (et le nazisme) à des pays arabes pour des raisons de relations publiques. (Il y avait des rumeurs infondées qu'il y aurait séjourné.) 2- Créer le mythe d'une diaspora juive faible et persécutée, pour lui opposer celui d'un État d'Israël fort et victorieux. Tout cela dans le but de convaincre un plus grand nombre de juifs d'immigrer. (Je dis "mythe", ici, dans son sens sociologique. Pas comme synonyme de "histoire infondée".)

- le contexte juridique. Et c'est l'une des choses qui m'a le plus étonné, car la plupart de mes ami.e.s qui adorent Arendt sont des nationalistes. Elle défend dans ce livre une vision très cosmopolite du Droit. Elle croit que le procès aurait dû être l'occasion de mettre sur pied un tribunal international permanent. Ce tribunal aurait pour tâche de juger de façon rétroactive des crimes qui comme l'Holocauste ou la Bombe nucléaire, n'ont pas de précédent. Un tel tribunal ne pourrait d'ailleurs pas se baser sur Droit positif, seulement des énoncés de principe. Ses juges seraient donc, en même temps, leurs propres législateurs.

Bref, c'est une oeuvre qui aurait avantage à être plus lue et moins citée.
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