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Critique de CDemassieux


C'est en tant que reporter qu'Hannah Arendt se rend à Jérusalem pour couvrir le procès Eichmann. le moins que l'on puisse dire c'est qu'elle maîtrise son sujet, tant du point de vue intellectuel – ses recherches l'attestent – qu'existentiel – elle qui, juive, a fui sa terre natale, l'Allemagne, et s'est réfugiée aux Etats-Unis.
De cette expérience – car c'en est une, étant donné l'accusé ! – naîtra ce livre qui ne donnera pas un coup de pied dans la fourmilière mais la pulvérisera. Arendt renversera en effet beaucoup de fausse idées sur la Solution finale et sa genèse, décortiquant chaque marche de cette descente en enfer avec méticulosité et surtout : sans compromis. Autrement dit, chacun aura sa part.
Le sujet central – à partir duquel Arendt étendra sa réflexion à l'ensemble des protagonistes de cette entreprise exterminatrice – est donc Adolf Eichmann, exécutant sans envergure des basses oeuvres idéologiques nazies. Et cependant rouage essentiel du « bon fonctionnement » de la machine. Eichmann est idéaliste mais surtout très obéissant. La parole d'Hitler c'est pour lui la loi, et on ne discute pas la loi. Ce personnage commun est de ce fait l'incarnation de ce qu'Arendt écrit en sous-titre : « la banalité du mal. » Parce qu'il l'est, banal, loin de ces figures « exceptionnelles » du régime.
Son importance a même été volontairement exagérée par certains accusés au procès de Nuremberg, en 1946, et par lui-même, au cours d'un entretien accordé à Sassen en Argentine, lui-même ancien SS.
Mais comme la Solution finale ne saurait se résumer à un seul homme, Arendt expose sans complaisance les éléments qui ont rendu possible un génocide organisé avec une précision d'orfèvre, où chacun s'acquittait d'une tâche précise et limitée. Ce qui permit son application avec une facilité déconcertante, et avec le concours des Juifs eux-mêmes, explique Arendt. Un massacre anarchique n'aurait jamais permis de tels « résultats ».
Idem, Arendt pointe les erreurs du procès et ses hors-sujet, ce qui nous fait songer qu'il a quelque part raté sa cible : on y a condamné un crime collectif et pas un individu, lequel a été la partie pour le tout. Et l'on se prend à « rêver » : en lieu et place d'Eichmann, un Himmler, un Goebbels ou, « mieux », Hitler en personne, et nous n'avions plus un exécutant bêtement convaincu mais un penseur de la Solution finale.
Au cours des séances, des témoignages se succéderont, sans rapport direct avec l'accusé. le procès devient un lieu de mémoire, et Eichmann, le symbole du crime.
Ce crime, différemment « apprécié » selon les pays sous influence nazie, Arendt explique qu'il a aussi été rendu possible par des volontés non-allemandes, et freiné par d'autres résolument opposées : on a, par exemple, la Roumanie, dont la cruauté envers les Juifs effraya jusqu'aux autorités allemandes – c'est dire ! –, et le Danemark qui, son roi en tête, oeuvra avec courage pour sauver les Juifs.
Il faut toutefois remettre la parution du livre dans son contexte. Nous sommes en 1963 et la « poussière » a été glissée sous le tapis. Arendt dérange alors les consciences oublieuses, sans outrance ni obsession mémorielle : elle se contente d'évoquer les faits.
Eichmann à Jérusalem obligera à repenser l'histoire de ce génocide. Aujourd'hui encore, il conserve sa force et, plus généralement, invite à une extrême rigueur lorsqu'il s'agit d'écrire l'Histoire. le pathos et l'idéologie n'y ont pas leur place. Ce texte est une réussite tant morale que factuelle.
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