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Critique de Luxi


Le roman de Stéphane Arfi fait partie des premiers romans de la rentrée que j'avais repérés. le fait que ce soit un premier roman d'abord, le sujet de la Seconde Guerre mondiale surtout. Et je peux dire en refermant la dernière page qu'il m'a conquise : une fois débuté, je n'ai pas pu le lâcher.
Dès les premières lignes, l'écriture très imagée, cocasse et anticonformiste, de l'auteur m'a plu. On se surprend à sourire alors qu'il est question de rafles et du Maréchal Pétain. Mais on sourit parce que c'est touchant, innocent, la voix d'un enfant que rien encore n'a brisé. Tout est broderie, images étonnantes et vision fantaisiste du monde, et comme il est frais ce regard au milieu des ténèbres peu à peu édifiées par Hitler…
Lorsque ses parents, Ona puis Tateh, disparaissent soudainement, le petit Frank ressort de son armoire magique pour être recueilli par « Grand-mère-de-la-guerre » puis atterrir ensuite dans une pension. Ses yeux poétiques nous racontent « sa » guerre, cette guerre à laquelle il ne comprend pas grand-chose ; mutique, il remplit dans sa tête un cahier à souvenirs et écrit des lettres au Bon Dieu. C'est vraiment superbe, empli d'une imagination scintillante, lyrique jusqu'au bout des verbes, baigné d'humour et de délicatesse.
Dans ce roman, le Bon-Dieu-fâché côtoie les Frisés, on « narine » les odeurs, le silence a les yeux rouillés et on se fabrique un coeur de sable mouillé. J'ai aimé l'univers de ce petit « garçon-étoile » que l'on suit de 1939 à 1955, dans lequel chaque objet prend vie. J'ai aimé cette sensation évanescente qu'il dégageait, comme si les horreurs de la guerre ne pouvaient pas le toucher, le frôlant seulement, comme la peau d'une plume. J'ai aimé ces pages d'une extraordinaire grâce : le discours halluciné du père rentré des camps de la mort, discours que son garçon ne comprend pas, tous ces mots sans queue ni tête jetés comme des cris dont il s'éloigne, se dérobe, jusqu'à s'éclipser totalement… Ces pages-là sont d'une éblouissante et atroce beauté. Elles représentent pour moi la première déchirure dans la chair du monde blanc de Frank.
Stéphane Arfi fait sourire le lecteur pour mieux le percuter, il l'amuse pour ensuite mieux l'éblouir. Et on suit notre narrateur après la guerre, sa fuite du pensionnat, son errance fiévreuse qui le mènera jusqu'à l'hôpital puis sur un bateau nommé « Liberté »… Si j'ai été un peu moins sensible à cette dernière partie, je ressors tout de même chiffonnée par ce roman, à la fois émue et déroutée, songeuse et fragilisée. C'est un livre qui murmure, qui chantonne, qui se déguise pour mieux montrer. Une toile aux mille peaux, un air mâchonné dans une langue qui n'habite que les rêves des enfants… Dès la première page, on devient regard, rire, sensation. Je me suis sentie prise dans une sorte de conte fantasque et désaxé, suivant les pas d'un Petit Prince excentrique et irrésistible…
Merci à NetGalley et aux éditions Grasset pour m'avoir permis de découvrir ce roman envoûtant et décalé, ainsi qu'un nouvel auteur que je vais suivre de près.
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