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Critique de Kirzy


°°° Rentrée littéraire 2023 # 28 °°°

Direction le Couserans ariégeois, dans les Pyrénées centrales, territoire où la relation à l'ours est inscrite depuis des siècles, et qui concentre aujourd'hui la plus grande population française d'ursidés depuis leur réintroduction dans les années 1990.

J'ai été immédiatement charmée par le voyage immersif proposé par la prose claire et enveloppante de Clara Arnaud. Les paysages ariégeois nourrissent organiquement le texte. La montagne est LE personnage de ce très beau roman, la matière travaillée par l'autrice dans toute ses dimensions : les pentes, la roche, air, la faune, la flore, sa mysticité, son intimité, un organisme complet, ensorcelant et âpre, dans lequel le destin des hommes est enchâssé dans celui de la nature, ici plus particulièrement celui d'une ourse surnommé la Negra du fait de la teinte de son pelage.

" Tout ici n'était qu'engendrement  et dévoration, putréfaction et floraison, joie et douleur. Parfois, il se sentait si intégré à ce magma organique qu'il lui semblait participer de ces transformations en cascade, par lesquelles les plantes, les corps, les minéraux, étaient également décomposés , rendus à la terre, dans un même mouvement dont seules les échelles de temps variaient."

Trois chapitres, trois saisons, du printemps à l'hiver. Deux personnages humains sont nos guides, le temps d'une estive. Gaspard, le néo-berger, vit avec la menace de l'ourse, ses chiens, ses brebis à protéger, ses peurs et angoisses depuis un terrible incident qui le hante depuis sa survenue l'année précédente.

« Il songea au mot de Maëlle ( sa fille ) . N'aie pas peur. La montagne rêve. Mais à quoi rêvait-elle, effacée dans la nuit ? Elle appartenait à d'autres échelles que les vies qui s'y jouaient, les surfaces lisses et celles abrasées résultaient du temps qui passe et érode ; elle était le temps même, matérialisé dans la roche, divaguait Gaspard. Il regarda Jean, dont le torse nu, noueux et bruni par le soleil se soulevait au rythme lent de sa respiration. le vieux n'avait jamais froid, il pouvait endurer des vents glacials et des trombes d'eau et, dans la fraîcheur des nuits d'altitude, persévérait à dormir torse nu, sa peau-cuir exhibée, dont les tries, la patine disaient le grand âge. (...) Les nuages avaient de nouveau formé une nasse, le ciel était outrenoir, comme dans les toiles de Soulages, d'un noir plein de relief, qui révélait les contours, la matière même des choses. N'aie pas peur, la, montagne rêve, se répéta-t-il encore comme une formule magique venue de cette civilisation perdue qu'est l'enfance. »

Alma, éthologue, travaille au Centre national de la Biodiversité, prône une « science qui tache », un engagement physique constant et une confiance en ses intuitions plutôt que de réfuter toute part de subjectivité à l'observation protocolaire. Persuadée qu'une meilleure connaissance du comportement de l'ours et de l'usage de son territoire est nécessaire à une cohabitation sereine avec les hommes.

Clara Arnaud aura pu faire le choix d'une confrontation brutale entre Alma et Gaspard. Elle se fait au contraire apaisée, malgré les enjeux et les brebis tuées par l'ourse. Leurs regards différents sur le vivant se croisent en une belle complexité qui nourrit une réflexion riche et une interrogation profonde sur notre rapport au sauvage, à ce qui échappe au contrôle des hommes. Sans angélisme, sans pour autant transformer son roman en tribune politique ( bien qu'on sente aisément de quel côté penche le coeur de l'autrice ), sans jamais que le texte ne sonne comme « donneur de leçons ».

Je ne suis pas totalement convaincue que l'arc narratif parallèle racontant l'histoire d'un montreur d'ours ariégeois parti chercher la gloire à New-York avec son ourse capturée toute petite sans sa tanière, apporte réellement au roman, l'histoire d'Alma, Gaspard et de la Negra se suffisamment en elle-même. Mais j'ai aimé lire ces pages-là qui soulignent l'intrication ancestrale entre les ours et les hommes.

Un roman subtil et authentique, parfaitement incarné, rempli d'émotions, de souffle, de poésie, de vie.
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