Citations sur J'ai quinze ans et je ne veux pas mourir (34)
Les montres continuaient, cependant, de marquer l'heure avec sérénité, les aiguilles couraient sans hâte autour du cadran : y avait-il deux semaines ou deux ans que nous vivions comme des taupes?
Y aurait-il un "aujourd'hui", un "demain", ou bien une éternité de caves obscures et enfumées?
Trahir un chien est encore plus cruel que de trahir un homme, car il ne sait pas de quoi il s'agit et ne peut juger que d'après les intonations et les physionomies. Si on lui dit les choses les plus méchantes en souriant et d'une voix douce, il vient vous lécher la main avec reconnaissance. Je ne veux pas trahir notre pauvre chien.
Y aurait-il un "aujourd"hui", un "demain", ou bien une éternité de cave obscures et enfumées?
Une bombe non éclatée a démoli notre piano à queue en le traversant de part en part et s'est incrustée dans le parquet. Ce récit a été, je crois, la seule joie de tout mon séjour à la cave ! Savoir que ce piano qui m'avait valu tant d'heures de travaux forcés n'existait plus, me remplissait de satisfaction. Mais je ne fis pas voir mon plaisir, car ma mère pleurait.
Et puis, j'étais toujours émue quand, en me désignant comme "expéditeur", je pouvais mettre Versailles, sur le dos de l'enveloppe. Pour une fortune, je n'aurais pas avoué que le rythme insensé de mon travail m'avait empêchée jusqu'ici d'aller voir le palais, les jardins, l'ombre de Marie-Antoinette que j'aimais à cause de Fersen. Même quand on est républicaine, on pardonne tout à une reine qui a su aimer. C'est Stefan Zweig qui m'avait renseignée sur elle, avec l'art infini de l'indiscrétion et de la pitié. Le livre de Stefan Zweig sur Marie-Antoinette avait été pour moi la plaidoirie littéraire d'un avocat qui est amoureux de sa protégée et qui n'est plus lié par le secret professionnel.
A cette époque-là, du moins, je ne savais pas encore que l'être humain affublé du nom de "réfugié" doit avoir un destin de saltimbanque, qu'il lui faut être le bouffon d'une société européenne disloquée, le pauvre personnage qui parle, qui raconte, qui essaie de persuader, le camelot idéaliste qui croit dans sa marchandise et qu'on écoute à peine.
L'arrivée de Pista, ce soir-là, nous apparut comme une délivrance. La nuit était presque tombée, mais nous ne savions pas ce qui était la nuit, ni ce qui était le jour, enterrés que nous étions dans cette cave moisie d'un immeuble en bordure du Danube.
Je ne revins que bien plus tard à la réalité et vis qu'Eve et Gabriel se tenaient agenouillés devant l'autel. Le prêtre célébrait leur mariage. Scène inoubliable que ce voeu de fidélité jusqu'à la tombe, prononcé ici au seuil de l'éternité et à l'ombre permanente de la mort.
Dès le premier instant, nous comprîmes que ce qui arrivait était bien différent de ce que nous avions espéré. Tout, désormais, devait être un long cauchemar fait d'atrocités.
"Es-tu fatiguée chérie?". "Oui, je suis très fatiguée", avouai-je, faible, et je retirai mon pied droit de ma chaussure sans qu'il s'en aperçût. Je ne devais pas oublier que Georges était le compagnon de ma vie; mon âme lui appartenait. Je m'endormit , ce soir-là, les orteils brulants, le corps douloureux et l'âme tranquille.