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Critique de SZRAMOWO


Marguerite Audoux nous rapporte les souvenirs et la misère d'une forme d'aliénation par le travail qui a toujours existé.
Les filles de province s'exilant à Paris pour devenir couturières d'ateliers ressemblant comme deux gouttes d'eau aux ateliers clandestins chinois, pakistanais ou turcs qui sont à l'ouvrage dans Paris et dans les mêmes quartiers.
Ce passage du roman pourrait encore s'appliquer de nos jours :
« La maison Quibu était une des plus importantes du Sentier. Aussi sa deuxième commande fut si grosse qu'il fallut rappeler les anciennes ouvrières et en demander de nouvelles.
Boudelogue ne fut pas contente de ce changement. Elle craignait pour la finesse de ses mains, mais quand elle eut compris que le travail aux pièces lui permettrait de gagner davantage lorsqu'elle peinerait davantage, elle cessa de grogner et ne parla plus d'aller chez une autre couturière Bergeounette, qui connaissait tous les genres de couture, donna des conseils. Selon elle les ouvrières du dehors causaient souvent des ennuis tandis que le travail de l'atelier était régulier et facile à surveiller. »
Pièces insalubres, mais à l'abri des regards extérieurs, ouvrières dans le besoin ; prêtes à accepter les conditions les plus viles, rabatteuses des souteneurs qui guettent les proies faciles brisées par la faim, la misère et l'incertitude du lendemain :
« Aux affiches de la porte Saint-Denis, je retrouvai la jolie femme de chambre avec son bonnet et son tablier blanc. Elle guettait les ouvrières et leur parlait comme si elle avait des places à leur offrir. Quelques-unes la regardaient avec méfiance et s'éloignaient sans vouloir l'entendre, tandis que d'autres paraissaient enchantées de ce qu'elle leur proposait.
Je la vis venir à moi avec un peu de crainte. »
Humour graveleux des passants qui « taguent » les portes des ateliers :
« ON DEMANDE
Une bonne ouvrière pour le costume d'Adam. »
Le mariage est souvent la solution, mais lorsque l'arrivée de l'enfant le précède il peut devenir un cauchemar et un drame :
« Sa mère n'avait jamais pu lui pardonner d'être venue au monde alors qu'elle se croyait de par son âge à l'abri de toute maternité. « Tu me fais honte », lui disait-elle. »
La parole de ces femmes, lorsqu'elles échangent leurs souvenirs d'enfance, lorsqu'elles décrivent le malheur pour mieux le circonscrire, lorsqu'elles font preuve de courage pour ne pas se détester, est le chemin de leur indépendance, de leur libération :
« – C'était ma faute aussi... Je portais mon chagrin comme une infirmité. »
Texte admirable que l'Atelier de Marie-Claire, par la justesse du ton, la richesse des sentiments, la précision des descriptions, l'analyse sans complaisance et sans pathos des situations vécues par ces filles sans destin qui décident de s'en donner un.
La force de caractère de Marguerite Audoux dans un siècle peu propice à l'autonomie des femmes, force l'admiration, car l'histoire de Marie-Claire c'est son histoire à elle, celle de sa nièce Yvonne passée par la case prostitution et sauvée par sa tante, celles des dizaines de grisettes qu'elle a côtoyées, connues et défendues contre elles-mêmes souvent.
« La belle Vitaline, Julia, Fernande, Mimi l'orpheline, la mendiante, aussi terne que Vitaline était brillante, Bergeounette, Gabrielle, Roberte, Félicité Damoure, Bouledogue, Duretour… », et toutes les autres.
A lire sans modération.



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