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Critique de Ahotep


Ahotep
24 septembre 2011
Je crois que je n'ai pas envie de vous raconter l'histoire de cette saga ni même du premier volume dont voici la couverture, mais simplement de vous donner mon avis avant, pendant et après la lecture de cet ouvrage fort célèbre. Bien qu'étant fortement intéressée par la préhistoire, je m'étais toujours refusée à lire cette saga, campant ainsi sur des positions que mes études d'égyptologie n'avaient fait que renforcer. Les raisons étaient simples : Traiter de la préhistoire sous la forme d'un roman me paraissait plus que risqué. Ceux qui ont étudié l'anthropologie et L Histoire humaine le comprendront sans doute. En effet, l'homme moderne a une fâcheuse tendance à juger les comportements et coutumes de ses ancêtres, ne les voyant qu'à travers le prisme de ses propres tabous et croyances. Or c'est là que l'on tombe dans le piège de la pseudo science. Savoir ce que les humains nous ayant précédés sur cette terre ont pensé est impossible. Nous ne pouvons savoir ce qu'ils ont exactement ressenti, pensé, dit et vécu, car ce qu'il nous reste d'eux se résume à des fossiles, quelques objets ( pas toujours datables ) et lieux où leur empreinte à subsister. Autrement dit, une toute petite partie ( peut-être peu significative à l'époque ) de ce qu'a pu être leur vision du monde et leur façon d'évoluer à une époque aussi reculée. Les romans se voulant historiques ont souvent ce défaut : ils illustrent ( parfois de façon brillante ) l'époque et la société dans lesquelles ils se déroulent, mais les personnages mis en scènes raisonnent à la manière d'hommes contemporains. On peut difficilement le reprocher aux auteurs, n'ayant que pour seuls modèles vivants les hommes d'aujourd'hui ( et très souvent, de leur propre société ), mais il est regrettable que tant d'entre eux se vantent de comprendre et de présenter avec réalisme des cultures aujourd'hui disparues. Mettre en scène et de manière fictionnelle sa propre société quelques décennies en arrière est déjà délicat, alors imaginez pour des hommes séparés de nous par des milliers d'années... Voilà pourquoi je ne souhaitais pas lire les ouvrages de Jean Auel, ne remettant pas ses qualités d'écrivain en cause, mais parce-que je pensais être trop déçue.



Un temps d'attente un peu long dans un aéroport m'a poussée à acheter un livre dans une librairie, et le premier qui me soit tombé entre les mains fut celui-ci. Ne cherchant qu'à faire passer le temps, j'ai mis de côté mes aprioris sur le sujet du livre et me suis plongée dans la lecture du premier volume des " Enfants de la terre ". Mais la lecture du résumé n'a fait que renforcer mes doutes. Je découvris que l'ambition de l'auteur était de choisir un personnage principal féminin afin d'aborder la question de la femme dans la préhistoire. Sujet ô combien délicat ! Je repensais alors à mes débats passionnés sur le sort fait aux femmes dans l'Egypte pharaonique et hellénistique à l'université, à la ribambelle de livres plus ou moins douteux que j'avais lu sur la question, aux positions les plus extrêmes, certains clamant que l'Egypte était dirigée par les femmes tandis que d'autres répétaient à qui voulait l'entendre que l'époque pharaonique fut empreinte d'un machisme des plus odieux... Difficile d'avoir une conversation sereine et sensée sur la question, et encore plus de faire le tri parmi toutes les informations contradictoires disponibles. J'imaginais donc avec quelle difficulté ce doit être de parler de cela à l'époque préhistorique ! D'autant plus qu'au fur et à mesure de ma découverte du livre, je compris que Jean Auel tente de faire d'Ayla ( héroïne du roman ) un féministe primitive ! Et voilà que tous les arguments cités plus haut me revinrent en tête... Pour moi, c'était une erreur fatale de la part de l'auteur d'avoir voulu aborder un thème apparu relativement récemment dans le monde occidental en le transposant à une époque aussi loitaine... En lisant la brève présentation de l'auteur dans les premières pages du livre, je découvris en plus qu'elle n'était pas une universitaire spécialisée dans la préhistoire. A nouveau, mes angoissent remontent. La préface, écrite par un expert sur la question, me rassura cependant un peu sur le sérieux du livre. Je ne souhaite pas m'épancher sur l'histoire en elle-même, mais je me dois tout de même de vous planter le décor : L'intrigue se passe à une époque de la préhistoire où l'homme de Néandertal et les premiers Homo Sapiens se partagent le monde connu, et plus précisément au moment où Néandertal commence à s'éteindre. La possibilité que des métisses aient pu naître de la rencontre entre ces deux types d'hommes, ainsi que la possibilité pour eux d'avoir vécu ensemble fait débat. Mais dans l'histoire de Jean Auel, Ayla, une petite fille Homo Sapiens, dont la famille est victime d'un tremblement de terre, est recuillie par une tribu de Néandertals où elle grandit jusqu'à atteindre l'âge adulte. Si la guérisseuse, le sorcier et le chef de la tribu se prennent rapidement d'affection pour elle, ce n'est pas le cas pour tous les membres du clan, et surtout pour Broud, le " fils de la compagne du chef "... Dès les premières pages de ma lecture, je fus surprise par la qualité des descriptions de ctte époques. Des paysages, de la faune, de la flore, au physiques des être humains en passant par leurs croyances, modes de vie extrêmement détaillés, le travail minitieux de recherche de l'auteur transparessait à chaque page. Jean Auel n'était sans doute pas une spécialiste de cette époque, au départ. Mais elle l'est devenue. On ne peut qu'imaginer l'immense travail de documentation que la volonté d'écrire ce roman l'a poussée à réaliser. Pour quelqu'un qui aime bien s'instruire sur la Préhistoire, tout en étant très loin de pouvoir vraiment la comprendre, " Les enfants de la terre " est une façon très ludique de s'enrichir sur le sujet. Jean Auel a réussi à trouver un équilibre entre l'action et la description. Assez de descriptions pour nous imprégner de l'époque, des lieux, des êtres, tout en faisant de l'action le coeur de l'histoire, créant ainsi un rythme dynamique et entraînant. Parlons de la description des personnages. Auel nous en brosse un portrait à la fois sobre et raffiné pour chacun d'entre eux. La différence entre nous, Homo Sapiens actuels et eux, hommes de Néandertal, ressort clairement mais en douceux, avec finesse et subtilité. Chaque être évolue, change, est riche de différences et de similitudes avec les autres membres du clan. La vie de groupe presentée par l'auteur paraît plosible, et peut même parfois faire penser à certains aspects de nos sociétés contemporaines. Un savant dosage entre différence et similarité garantissant l'équilibre riche et constructeur du roman. Une autre particularité du roman est la façon dont l'auteur aborde le thème de la spiritualité. Nous avons tous trop lu d'ouvrages méprisant et condescendant sur les croyances anciennes et dites primitives de nos ancêtres et même de certaines ethnies vivant plus ou moins coupées du monde. le sauvage ignorant, incapable de comprendre le divin est un concepte qui fut populaire trop longtemps pour qu'il n'en reste aucune trace dans nos esprits. Or ici, la manière dont l'Homme de Néandertal vit sa spiritualité est traité avec respect. On peut être tenté de se sentir " supérieur " lorsque l'on comprend comment ces hommes expliquaient la reproduction humaine, mais ce sentiment peu rspectable s'efface aussitôt pour laisser place à la honte de ne pas pouvoir percer les profonds mystères de leurs croyances. Là encore, c'est une invitation à l'humilité, au respect et à la découverte du l'inconnu. Nous ne pouvons pas savoir avec exactitude comment ces premiers hommes se représentaient le monde matériel et immatériel, mais les possibilités explorées par l'auteur sont intéressantes, possibles et incitent à étudier ces autres voies spirituelles. Un monde bien différent dans lequel nous autres Occidentaux vivons désormais. Un monde où l'homme vit une histoire passionnée avec la nature, tantôt ennemis, tantôt amants. La nature est vénérée, adulée, remerciée mais aussi combattue, domptée, parfois détestée. C'est l'homme à la recherche d'une juste voie entre sa survie, son confort et le respect du berceau dans lequel il est né. Encore un puits de réflexions pour nous qui entrons dans une ère où la protection de l'environnement est dans tous les esprits.



Ma conclusion, après la lecture : Auel a réussi un pari très risqué. Parler et défendre l'idée du féminisme à l'époque de l'Homme de Néandertal et représenter la société préhistorique à travers les Néandertals et les premiers Homo Sapiens relevait du défi. On ne peut qu'être admiratif devant l'immense travail de documentation auquel s'est livrée l'auteur pour écrire un roman sophistiqué, instructif, ludique et dont l'intrigue est aussi plosible que captivante. Si la question du féminisme m'avait quelque peu effrayée au départ, après lecture, je me dis que si ce qu'Auel écrit ne s'est peut-être pas produit, il y a aussi des chances pour qu'il se soit produit. Après tout, la vie que voudrait vivre Ayla reste très éloignée des aspirations de la plupart des femmes d'aujourd'hui. Elle ne recherche pas un affranchissement totale des règles imposées par les hommes, mais plutôt une liberté plus grande, lui permettant d'améliorer sa propre survie et son équilibre mental et physique. Les femmes Homo Sapiens et Néandertal devaient avoir suffisemment de différences biologiques et culturelles pour ne pas concevoir la vie de la même façon, ne pas accepter ni désirer les mêmes choses. Là, la question est de comprendre comment aurait pu réagir un être différent surtout biologiquement ( vu qu'elle fut élevée parmi eux ) des Hommes de Néandertal. C'est après tout possible que cela se serait produit ainsi. Peut-être pas. Peut-être qu'une autre fille Sapiens ne se serait pas comportée de cette façon. C'est une question très complexe à laquelle il y a beaucoup de réponses différentes. le roman de Jean Auel nous en propose une. C'est une possibilité parmi tant d'autres. Et c'est une possibilité traitée avec sérieux et réalisme. C'est aussi une porte qui s'ouvre. Une porte qui s'ouvre sur une longue réflexion personnelle concernant notre condition d'hommes dits modernes, de femmes d'aujourd'hui, et concernant aussi notre rapport à l'autre. L'autre dans toute sa généralité. L'autre Homo Sapiens que l'on rencontre partout sur terre, désormais. le respect de la différence dans toute sa beauté et dans toute la peur qu'elle provoque souvent en nous. L'autre c'est aussi, l'autre part de nous même. Cette partie rebelle, qui est restée libre et ne s'est pas soumise aux règles d'un mode de vie que nous cessons de créer et qui peut parfois nous mettre mal à l'aise. Cette partie qui s'exprime plus encore chez ceux qui veulent faire s'effondrer les barrières qui les séparent de la nature et du reste de l'humanité. C'est un livre émouvant, bouleversant, qui a fait rouler quelques larmes sur mes joues, m'a fait éclater de rire à plusieurs reprises et me laisse encore aujorud'hui dans une réflexion profonde et délicate. " Les enfants de la terre ", c'est un livre qui mérite d'être lu par tous ceux qui se passionnent pour l'être humain, pas uniquement ceux qui étudies la Préhistoire,ni même L Histoire.









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