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Critique de Laurence64


Un roman à tiroir que ces tiroirs de l'inconnu! Oui, la boutade est facile. Aussi ne m'en suis-je pas privée. N'empêche! Fantaisiste, fantasque, irrespectueux, ironique, bourré d'esprit, ce dernier ouvrage de Marcel Aymé ne ménage pas son lecteur.

Martin a malencontreusement assassiné son voisin du cinquième, Chazard, que personne ne regrette. Chazard était un être irascible. Plusieurs voisins ont d'ailleurs témoigné en la faveur de Martin. Lequel, après avoir écopé de 2 ans de prison, se retrouve en présence d'un bureau muni de six tiroirs vides mais pleins: un inconnu a conté son histoire sur les faces cachées. Nous voilà donc en présence des tiroirs de l'inconnu.

Sauf que l'inconnu c'est aussi l'amour chez Marcel Aymé qui va en examiner les tiroirs pour déchiffrer ses secrets. Il y a ce que l'on voit et ce que l'on ne voit pas. Il y a des pages succulentes sur l'amour féminin que l'écrivain clôt ainsi: "En amour, les personnes du sexe, faut pas se tromper, c'est social d'abord". Et ces autres pages où l'amoureux mâle mélange sentiments et désir, ne sachant cesser de désirer.

Sauf que les protagonistes ne cessent de sauter de tiroir en tiroir, s'y coincent pour en ressortir dans un jeu de relations incongrues. Martin et Valérie, Valérie et Michel, Valérie Michel Martin et Tatiana, Tatiana et Lormier, et… Au milieu de ces relations qui se nouent et se dénouent, oublieux de l'intrigue initiale (quel est donc l'inconnu écrivain des tiroirs?), Marcel Aymé nous parle d'un manuscrit apportant la preuve scientifique de l'existence de dieu (rédigé par Jules Bouvillon et joliment décoré), alors même qu'un mystérieux Porteur (qui n'est autre que le frère de Martin) voit sa renommée grandir de jour en jour. On en parle entre initiés, avec extase. Les cercles s'élargissent. L'anonyme est porté au pinacle. Nous ne sommes qu'en 1960 et la télé-réalité n'existe pas encore.

Dans cette tentative enlevée de décryptage de l'amour, le portrait des patrons capitalistes, à la fois burlesque et brutaux, ridicules et cyniques, rappelle combien Marcel Aymé aimait épingler les travers humains. Et la peur de l'avenir qui suintent de leur mépris inscrit Les Tiroirs de l'inconnu dans son époque. Huit ans avant mai 1968, un changement s'amorce. Marcel Aymé pressentait le renouveau.

Aussi inclassable que son auteur (qui avait refusé une place à l'Académie et la Légion d'honneur), ce roman vaut bien l'inspection de ses tiroirs.
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