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Critique de Erik35


DEUX PAS EN AVANT, TROIS PAS EN ARRIÈRE (etc).

Après une couverture superbe et intrigante rappelant les affiches de films récents tel Gravity, les premières pages de ce volumineux album ouvrent sur des images de "planet opera" absolument somptueuses. On pense assez immédiatement aux dessinateurs SF apocalyptique de la grande époque de Métal Hurlant. Les images sont dantesques. Elles déversent leurs tonalités de marrons, de bistre, d'ocres et d'ocre-rouge, de jaunes, d'orangés profonds dans des paysages de pierre et de feu à couper le souffle. Un homme apparaît enfin. Une sorte de Robinson Crusoé des étoiles, presque totalement dépouillé à l'exception d'une sorte de tunique de feuillage. Un ciel constellé d'étoiles et de galaxies inconnues surplombent notre homme. Après quelques mots - on comprend que l'homme monologue - nous faisant deviner son incommensurable isolement, le dessin s'éloigne de lui peu à peu. Sa silhouette se détache dans le lointain d'un ciel bleu d'une pâleur presque fantomatique. Il n'est plus besoin de mot : La solitude de cette homme dépasse tout entendement... L'ultime fin de ces vingt premières pages se résout en une explosion dantesque, monstrueusement belle, apocalyptique et fascinante : une super-nova aux premières loges.

Fin de ce que l'on peut considérer être une intro. Somptueuse mise en jambe.

Pourtant, c'est à partir de là que le bas commence à blesser (mais pas encore de suite). Mathieu Bablet est, à n'en point douter, un coloriste de très haut vol (même si l'on suppose le travail d'après photos), et ses vues stratosphériques de notre petite planète bleue sont fabuleuses. Mais cela n'a malheureusement jamais fait une bonne histoire (voir le film sus-mentionné). Nous nous retrouvons donc projeté -c'est un cartouche qui nous l'affirme) un million d'années plus tard, dans la proche banlieue de la Terre. Mais une terre devenue inaccessible depuis plusieurs siècles (on ne saura jamais précisément) pour cause de pollution définitive la endant insalubre à toute vie humaine. Des sept milliards d'humains que nous sommes, ne demeurent plus qu'une poignée, certes non négligeable, qui subsiste dans une gigantesque station spatiale entièrement dévouée à sa "firme" créatrice et propitiatoire de vie et de consommation tous azimuts : Tianzhu Entreprises. de l'histoire démiurgique sur fond de lointaine galaxie, on se retrouve soudainement plongé au coeur d'une histoire de type anticipation contre-utopique, ce qui pouvait s'annoncer passionnant. Malheureusement, on a droit à presque toutes les thématiques du genre dans un foisonnement incontrôlable et mal contrôlé, ponctué, très souvent, de dialogues faisant assauts de lieux communs et d'idées éculées (du moins, si on lit aussi des romans de ce genre, innombrables dans le monde de la SF et de l'anticipation depuis le début du XXème siècle. Inutile de citer à nouveau les plus connus d'entre-eux) : l'enfer du consumérisme obligatoire, la dictature du capitalisme et l'hyper-technologie, la déshumanisation des rapports sociaux, l'omniprésence de la publicité, la bêtise et le suivisme des foules, l'attitude réactionnaire de la majorité des individus dès lors que leur confort est atteint, l'absence de recul spirituel ni de base intellectuelle -inévitablement disparues avec la fin de notre présence terrestre-, le racisme ou, plus exactement, le spécisme phobique (pour un motif que l'on ne fera que deviner, les scientifiques humains, dans leurs dérives créatrices dignes d'un Dr Frankenstein transhumaniste et décomplexé, ont fait émerger une nouvelle forme de vie intelligente à partir de nos anciens amis les bêêêtes : des "animoïdes", apparences de croisement entre des humains et des chiens, chats, renards, etc et qui sont là, dans une pseudo égalité avec les hommes, pour subir toutes les tensions refoulées par des êtres humains en situation d'en fermement carcéral du fait de la pollution terrienne. Même si l'idée est, en soi, intéressante, elle n'est pas non plus d'une absolue originalité, d'autres dessinateurs, tel Roosevelt, ont ainsi donné vie à de tels êtres hybrides. Même la métaphysique est, par ailleurs, convoquée ("L'homme est devenu Dieu !"). Et la bible (un nouvel Eden). Et la SF des années 70' avec un petit peu de Days, de James Lovegrove ; un zeste de Tous à Zanzibar de John Brunner, pas mal de le Meilleur des Mondes et de 1984, quelques pincées de K. Dick, peut-être. le titre lui-même est une référence à un ouvrage utopiste des années trente.

Au milieu de ce grand charivari d'idées, de concepts, de pensées politiques terriblement resucées et, malheureusement, bien mal mâchées le lecteur tente, vaille que vaille, de suivre le fil de l'intrigue. En quelques mots : L'agent Scott Peon, un jeune homme orgueilleux mais plein de ressources, est engagé par la branche commerciale de Tianzhu Entreprises pour enquêter de manière aussi rapide et discrète que possible sur les agissements peu orthodoxes de certains de ses scientifiques qui semblent être parvenus à créer la vie à partir de rien par le biais de l'anti-matière. Pour aller vite, ces chercheurs jouent à être Dieu et comptent bien en faire profiter Titan, la lune fameuse de Jupiter qui subit une terra-formation depuis deux siècles (le but était d'abord de permettre à la colonie spatiale d'y trouver refuge). Scott se retrouve, lors d'une de ces missions dans l'espace, en compagnie d'un équipage dans lequel se trouve son frère Virgil avec lequel il avait rompu tout lien. Ce dernier, ainsi que ses amis, jouent les résistants, mais ne sont que de vagues petits troublions plus ou moins utiles dans cette immense mascarade sociale organisée par Tianzhu. Leur résistance ne dépasse d'ailleurs pas leurs envies compulsives d'achat du dernier smartphone promu par la Compagnie ; une "vraie" résistance existe en revanche, sous l'égide d'un bel et mystérieux "Mister Sunshine" qui s'avérera d'ailleurs très différent des apparences... Dans les mêmes temps, un des responsables scientifiques va faire une révélation fracassante à l'antenne de la chaîne unique de cette immense station orbitale et provoquer un vaste mouvement de révolte, amplifié par les premiers mouvements de grèves connus sur la plateforme. Émeutes, guérilla, réactions, contre-réaction, viols gratuits, règlements de compte, doutes des uns ou des autres, apparition de chefs pas aussi soudain qu'il y parait, immolation, pillages : "la fabrique de violence" comme à la parade. On y découvre aussi, ô! surprise, que tout n'est que complot : de la résistance, n'ayant pour autre but que de prendre la place des précédents pour y installer un autre type de pouvoir tyrannique, jusqu'à ceux qui, bien à l'abri, tirent les cartes sans jamais vraiment rien risquer que perdre un peu d'argent (on m'expliquera, par ailleurs, comment obtenir quelque croissance économique possible dans un modèle en circuit fermé parfait... Mais c'est un détail). Que la lutte des classes ne sert finalement jamais qu'à celle qui détient le pouvoir.

Pendant ce temps-là, Scott et son frère Virgil, enfin réconciliés, essaient rien moins que sauver le monde de l'anéantissement atomique. Les dernières pages sont, à l'instar des vingt premières, incontestablement somptueuses, même si, dans leur silence cosmique, elles frisent un ésotérisme de bon aloi qui nous a totalement dépassé (hommage lointain au 2001, l'Odyssée de l'Espace de Stanley Kubrik ?). Peut-être était-ce trop, après tout un développement aussi peu accrocheur qu'épuisant. Car toute cette majeure partie se situant dans la station adopte des fonds tour à tour ocre-jaune (beaucoup d'ocre-jaune), jaune-verdâtre, bleu électrique, chaque fois sur plusieurs pages de planches à la suite ; les visages, intéressants tant qu'on est confronté à peu de personnages, finissent par se ressembler plus ou moins tous dans leur androgénie instable et brutale, ce graphisme rendant tout dialogue difficile à suivre par faute de ne plus toujours bien savoir à qui on doit les attribuer. Et ce fouillis invraisemblable de thématiques, de directions, d'histoires parallèles, dont il a déjà été fait l'écho plus haut, achève de rendre l'ensemble indigeste.

C'est dommage. Vraiment très dommage. Car ce Shangri-La avait de très nombreux atouts pour être une oeuvre de premier plan (tous genres confondus, la beauté de l'image en sus). Qui trop embrasse, mal étreint affirme l'adage. Sans doute notre jeune auteur aura-t-il voulu réunir tous les dégouts de notre monde - car une bonne dystopie est avant tout un conte noir et critique de l'époque vécue par son créateur, avant que de se vouloir prophétique -, toutes les craintes, tous les espoirs, vrais et faux. Peut-être est-ce votre humble serviteur qui sera passé à côté de cette pure somme plus éreintante que véritablement dense, sans vraie surprise - à force de lire toutes les anti-utopies possibles ? -. Une grande déception, c'est évident, après l'engouement incroyable pour ces vingt premières pages détonantes et belles. Mathieu Bablet est probablement doué. Très doué, avec un crayon. Il serait triste que ça le rende inaccessible et incompréhensible ou sans sincère originalité. Cependant, malgré cette très mauvaise première entrée en matière, un jeune auteur dont on attend de voir les futures créations pour être certain de s'être, finalement, complètement trompé !
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