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Critique de Antyryia



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Impossible de lire un roman de Solène Bakowski sans penser au moins un peu à son amie Amélie Antoine.
Les deux anciennes reines de l'auto-édition ont en effet partagé leur talent respectif avec les romans Sans Elle / Avec Elle.
Elles ont toutes les deux désormais trouvé un éditeur de renom.
Dans Sans Elle, Amélie Antoine a modifié la fin initiale de son roman pour délivrer une fin Bakowskienne.
Comprenez noire, désespérée et tragique.
Cette année les deux compères publient exactement le même jour ( le 17/10/2019 ) leur nouvelle offrande : Un livre pour les jeunes enfants cette fois pour la Lilloise ( Ernest et moi ) et Miracle donc pour l'auteure parisienne.
Miracle qui dans sa construction et son aspect glaçant n'a pas été sans me rappeler Raisons obscures, et je peux difficilement faire un plus beau compliment.

Composé de deux parties principales, la première regorge d'espoir.
"Vous n'imaginez pas le bonheur que Laure emporte dans son sillage."
Raconte un quotidien qui n'a rien de banal mais qui est bien plus doux que des histoires macabres de sacs, de disparition d'enfant ou de soeurs ennemies.
Ce qui peut donc paraître étrange chez une auteure qui ne jure habituellement que par le malaise et la perdition des âmes.
Bon, on n'est pas non plus dans le monde des Bisounours puisque tout commence avec une des pires nouvelles que peux recevoir une jeune femme de vingt-et-un ans.
"Une tumeur. Inopérable. Trop grosse, trop loin, trop risqué."
D'abord anéantie, Laure Laan, fille d'un célèbre navigateur disparu en mer, va prendre la décision de reconstruire le voilier de son père.
Elle a toujours été passionnée par l'eau, les vagues, le surf, et décide d'accomplir cet exploit en solitaire.
"L'océan a toujours été son élément".
Elle qui est plutôt solitaire, qui a de grandes difficultés à l'oral ( "Elle n'aime pas s'exprimer, les mots ne viennent pas naturellement, elle se tétanise dès que l'attention se rive sur elle." ) va oser diffuser une vidéo sur internet dans laquelle elle évoque à la fois sa maladie, les jours qui lui sont comptés, et son rêve d'accomplir ce dernier voyage.
Parce qu'elle a besoin d'aide financière pour remettre le bateau en état et qu'elle ne risque rien en prenant cette initiative, même si elle n'en n'attend pas grand chose.
Mais la vidéo devient virale.
Les gestes de soutien et d'encouragement, qu'ils soient financiers ou de simples mots bienveillants, font le tour de la blogosphère. Le monde entier la soutient.
Voyant un bon filon à exploiter, un assureur prendra à sa charge les réparations du Laurelle et s'assurera une monstrueuse publicité en soutenant cette cause.
Parce que la timide et complexée Laura, qui n'en n'a plus que pour deux ans à vivre, devient sans le vouloir une icône, un symbole d'espérance, elle incarne la lutte contre le cancer par son courage et sa volonté.
"Donner de l'espoir aux gens l'électrise."
Elle suscite l'admiration de tous, en particulier du jeune Lucas, atteint de leucémie. Ou de sa mère Isabelle qui voit son fils s'épanouir de nouveau, excité par cette aventure. Ou encore de Lionel, jeune homme des plus serviables, infirmier dans le même hôpital pédiatrique, qui semble ne vivre que pour redonner un peu le sourire à tous ces enfants malades, voire condamnés.
"Elle irait même jusqu'à penser que sa tumeur est une seconde chance."
Laure se découvre une vocation, aussi courte soit-elle sa vie va enfin avoir un sens.
"La jeune femme existe enfin, pour elle-même et par elle-même."
Son nombre d'amis sur facebook ne cesse de croître, son nombre d'abonnés sur Instagram ou Twitter est exponentiel.
Ce sont les réseaux sociaux qui sont à l'origine de sa notoriété, qui vont lui permettre de réaliser son rêve, qui la rapprochent de toutes ces personnes qu'elle n'a jamais rencontrées et pour lesquelles elle pourrait soulever des montagnes. Elle réalisera des miracles pour redonner espoir à tous ces malades, pour qu'eux aussi voient s'accomplir leurs rêves.
Les réseaux sociaux sont souvent critiqués, on en oublie les amitiés qui s'y créent, l'engouement qui peut y être suscité, les liens qu'ils permettent de maintenir, la générosité et l'entraide qu'ils suscitent.
"Ils disent qu'elle a changé leur existence. Ils disent que sans elle, sans son message, sans son courage, ils n'auraient pas su où puiser le leur."

Mais alors, où est Solène Bakowski ?
L'auteure qui dérange en nous parlant de personnes différentes, un peu folles, manipulatrices, dévastées, qui mettent des trucs ignobles dans des sacs ?
Oui, ça parle de tumeur au cerveau et d'enfants qui ont le cancer, ce ne sont pas les sujets les plus joyeux qui soient mais derrière cette gravité on découvre une facette résolument optimiste de la Parisienne.
Comme si dans les pires moments qui soient il existait toujours un verre à moitié plein.
Il ne faut pas abandonner ses rêves mais les réaliser par tous les moyens tant qu'il en est encore temps.
Il n'est jamais trop tard pour donner un sens à sa vie.
Eh ben, nous voilà donc avec un livre de développement personnel ?
Laurent Gounelle, sortez de ce corps ! Rendez moi Solène !

Solène Bakowski n'est jamais partie bien loin.
Comme dans Raisons obscures, il faudra attendre néanmoins la seconde partie pour qu'intervienne l'innommable.
Pour que l'on soit parfois obligé de reposer le livre et de respirer un grand coup.
Plus atroce que le cancer.
Le revers de la médaille de la célébrité.
L'autre facette des réseaux sociaux.
L'ignominie, la lâcheté, les obsessions purement humaines dont on avait déjà eu un aperçu mais qui prennent tout leur envol.
"Une course au commentaire le plus dégueulasse, à la vanne la plus trash."
L'histoire suit un ordre chronologique, de la date où est diagnostiquée la tumeur, le 09 août 2019, jusqu'à un drame qui a lieu exactement un an plus tard et qui est relaté dans le prologue.
Par bien des aspects les deux parties sont les reflets l'une de l'autre. Mais l'auteure nous emmène ensuite de l'autre côté du miroir.
Les mêmes éléments sont repris mais cette fois c'est la face cachée qui nous est dévoilée.
Pendant deux cent pages Solène Bakowski fait pousser des fleurs aux couleurs de l'arc-en-ciel, nous berce d'espoirs et d'illusions sur ce que le monde peut avoir de merveilleux, sur la bonté désintéressée des êtres humains.
Pour mieux piétiner encore chaque pétale, pour mieux nous enlever nos illusions, jusqu'à ce qu'il ne reste que des ruines fumantes.
Comme si chaque être, chaque évènement, ou l'océan lui-même avaient leur part d'ombre, de pourriture, et voulaient prendre leur revanche.
Comme si l'altruisme n'existait pas.
Que tout devait se payer au prix fort, y compris les miracles.
"Ca existe les erreurs. Ou les miracles. Il faut croire aux miracles."

Véritable Pénélope attendant son Ulysse, Solène Bakowski défait la tapisserie qu'elle a tissée, et c'est tout particulièrement vrai pour les réseaux sociaux.
Qui peuvent être formidables par bien des aspects comme ils peuvent être des outils de destruction massive.
"Laminée puis sauvée par les réseaux sociaux."
Elle évoque par exemple cette mode consistant à faire le buzz avec des vidéos d'accidents quand les gens préfèrent filmer une scène choquante plutôt que d'intervenir pour tenter de sauver une vie.
De nombreux extraits de dialogues entre internautes parsèment le livre de façon tout à fait crédible, et il est amusant de reconnaître les pseudonymes de certains des protagonistes principaux du roman quand ils interviennent ainsi sur la toile.
"D'ailleurs ce n'est que du virtuel, c'est impalpable, abstrait, du vent, des données, ça ne compte pas."
Bien sûr que si, ça compte.
L'anonymat permet d'être acerbe, méchant, insultant ou menaçant en toute impunité.
La critique est facile. Influencer d'autres personnes avides de répandre les pires horreurs l'est tout autant.
Ce n'est un secret pour personne, écraser gratuitement autrui permet de se sentir exister, de se donner de l'importance, d'avoir du pouvoir.
Peu importe les conséquences.
Et ça ne se limite pas aux ragots des collèges ou des lycées.
"Nos enfants ne sont pas armés contre les dingues qui sévissent sur internet."

Je n'ai qu'un léger reproche à formuler.
Un rebondissement totalement inattendu arrive dans les dernières pages du roman, donnant à celui-ci des allures plus marquées de véritable thriller, mais ce que le lecteur gagne en surprise, le roman jusqu'alors parfait le perd en intensité et en crédibilité. A mon sens il n'y avait nul besoin de cet artifice pour permettre au livre de conserver toute sa puissance, tout son impact. Mais chaque lecteur se fera sa propre opinion.

Avec ce roman la plume de Solène Bakowski a gagné en fluidité tout en gardant une certaine magie dans l'écriture, avec de-ci de-là des phrases vraiment somptueuses.
Elle qui n'était pas toujours à l'aise dans la construction de ses histoires est parvenue à un résultat implacable, avec les deux principales parties qui se reflètent à tous points de vue.
Le bien, le mal.
L'espoir puis l'angoisse.
La lumière terrassée par les ténèbres.

Alors n'hésitez pas davantage, #Embarquez avec Solène Bakowski à bord du Miracle.
Et ne croyez pas un instant qu'elle s'est assagie.
Après le calme viendront la tempête, les noeuds dans l'estomac, les nausées et les vertiges.
Bon voyage !


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