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Critique de berni_29


Dans la famille Fisher, je demande la cousine.
La Cousine Bette s'appelle Lisbeth Fisher précisément, mais tout le monde s'attache à l'appeler Bette, jusqu'à ce facétieux Balzac qui, ici, n'hésite pas à donner de temps en temps et affectueusement, à travers les mots de certains personnages, du « ma bonne Bette ». Or, bête elle ne l'est pas, méchante allez savoir... Laide et pauvre, sûrement. Sa laideur et sa pauvreté auront sans doute cristallisé son destin dans le chemin complexe empli d'épines et de méandres, que nous dépeint ici de manière somptueuse Honoré de Balzac.
Dans la Cousine Bette, le personnage éponyme n'est pourtant pas le personnage principal.
Le personnage principal revient à sa cousine, la belle Adeline Hulot.
Il serait fastidieux de tenter de vous résumer tous les chassés-croisés multiples et biscornus qui sillonnent et tissent le ressort narratif. Ce n'est d'ailleurs pas mon intention, d'une part je risquerais de vous perdre et d'autre part un billet littéraire, tel que je l'imagine, n'est pas précisément dédié à cela.
En quelques mots, la Cousine Bette est le récit d'une vengeance implacable, celle d'une vieille fille, Lisbeth Fischer, qui va oeuvrer à la destruction systématique d'une famille - sa propre famille.
Pour situer le roman sous l'angle historique, il s'agit pour Balzac d'illustrer la déchéance d'une famille sous la Monarchie de Juillet. Dans cette oeuvre s'exerce sa férocité redoutable qui se fait un plaisir de dépeindre la réalité telle qu'elle est, dans toute sa médiocrité et sa noirceur. L'influence du contexte historique n'est sans doute pas anodin dans l'effet recherché et obtenu.
Alors, bien sûr toujours chez Balzac il y a cette atmosphère particulière liée à l'argent. Chez Balzac, l'argent a une odeur, celle du soufre. S'entremêlent ici comme ailleurs dans ses autres romans des opérations financières soit frauduleuses ou soit au détriment d'un des personnages. Ici on ne déroge pas à la règle.
La Cousine Bette est appelée presque à la rescousse à Paris par Adeline Hulot, sa chère et belle cousine, qui supporte tant bien que mal les infidélités de son vieux mari, le Baron Hulot, vieux beau, libertin éperdu. le Baron Hulot entretient des femmes l'une après l'autre et dilapide sa fortune et celle de ses enfants, incapable de surmonter son penchant. Sur ce terrain, il est le rival du beau-père de son fils, un certain Célestin Crevel, qui, quoiqu'il aborde ses relations comme des affaires et se préserve ainsi de la ruine, est tout aussi aveuglé par son désir. Ils ont même eu une amante commune, c'est dire...
La Cousine Bette voit tout de suite comment tirer profit de cette situation pour elle. Jalouse de cette famille qui n'a que condescendance et mépris pour elle depuis des lustres, elle voit dans ces relations adultères une occasion inespérée d'enfoncer encore un peu plus cette famille adorée dans sa perdition. Elle va alors imaginer tisser dans l'ombre des relations dévastatrices et immorales entre les protagonistes et surtout elle va les mettre en oeuvre.
Il s'agit ici aussi pour la Cousine Bette de se venger de la beauté de sa cousine Adeline dont elle souffre depuis l'enfance, puis de sa réussite sociale qu'elle ne supporte pas, et enfin du mariage de sa nièce Hortense avec l'artiste qu'elle avait pris sous sa protection et auquel elle portait un amour pour le moins ambigu. Elle décide d'oeuvrer sans relâche à l'anéantissement de ses proches, impitoyable.
Avec une sorte de délectation presque jubilatoire, nous voyons cette famille Hulot tanguer comme un paquebot digne du Titanic qui aurait éperonné un iceberg nommé la Cousine Bette. Cependant, il est utile de préciser que la charge de la responsabilité du naufrage vaut autant pour l'iceberg, c'est-à-dire la manière de la cousine Bette d'être à la manoeuvre, que pour l'état du paquebot qui était déjà bien gangrené de l'intérieur, c'est-à-dire une famille Hulot marquée par la présence d'un certain Baron capable d'entraîner à lui seul l'ensemble de la famille vers le naufrage.
Aussi, la Cousine Bette est bien aidée dans son entreprise par la victime toute désignée.
Étrangement, Bette ne se pose pas en ennemie de ses cousins, bien au contraire. Alors qu'elle travaille chaque jour à leur perte, elle se fait passer pour leur unique soutien et leur dernière amie dans la suite des débâcles qu'ils traversent. Hypocrite au plus haut point, la vieille fille est prête à vivre chaque jour près de ceux qu'elle haït pour mieux assister à leur chute, pour être certaine d'avoir une place aux premières loges pour admirer le spectacle de leur souffrance et de leur désespoir.
Après vous avoir posé ce décor harmonieux, je vous laisse deviner l'ambiance qui s'en est suivie : manoeuvres, manigances en tous genres, petits arrangements, chantages, bref ! La belle vie, quoi !
Ici les hommes sont fourbes, couards, avides, aveuglés. Quoi ! Vous imaginiez peut-être l'inverse ?
Finalement, la Cousine Bette a juste le beau rôle très facile de pousser certains pions déjà positionnés sur la scène, - la scène non pas de crime mais presque -, juste un peu plus les uns vers les autres. C'est juste un petit rôle modeste et ingrat de facilitatrice.
C'est donc un personnage très complexe construit avec beaucoup de subtilité que nous offre ici ce charmant et facétieux Balzac.
Mais la Cousine Bette n'est pas le personnage le plus pervers du roman, je vous laisse le soin de découvrir qui la détrône à ce titre et bien plus largement.
Que dire des thèmes qui s'invitent ? Bien sûr c'est la vengeance, une vengeance implacable qui porte l'ensemble du roman comme l'arc d'une nef. À la source de cette vengeance, il y a la jalousie et à la source de la jalousie, il y a beaucoup de blessures et d'incompréhension. Balzac dit tout cela aussi, de manière subtile, sans forcer le trait, nous invitant à porter ce regard de compréhension, évitant d'enfermer la Cousine Bette dans une forme de manichéisme. Elle vient avec son histoire, sa fragilité, sa douleur, sa méchanceté peut-être, son désespoir sûrement.
S'agissant de la morale, je trouve que Balzac est cruel avec son lecteur et s'en joue à chaque instant avec beaucoup de cynisme. Je ne parle pas de la fin, d'ailleurs je n'en parlerai pas, tiens !
J'ai aimé ici retrouvé Balzac dans son art des portraits, son habileté à mettre en scène les épisodes clefs de son récit, par son talent pour la chute romanesque, il dépeint les hommes de son temps comme un peintre, c'est beau et sans concession.
Mise à part Adeline Hulot, Balzac n'épargne aucun de ses personnages et dépeint leur médiocrité avec plaisir et dureté. Mais derrière cette satire, se lit aussi une pointe de compassion pour ces êtres fragiles soumis à des forces qui les privent de toute bonté. C'est cruel.
Mais le personnage le plus ambigu dans cette histoire, celui qui tire toutes les ficelles, triomphant par son art de la manipulation du lecteur, illusionné par le narrateur, ne serait-ce pas finalement un certain Balzac lui-même ?

« L'amour de soi, pris comme principe de toutes nos maximes, est la source de tout mal.» Emmanuel Kant.
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