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Critique de CDemassieux


« Quelle fosse pleine d'infamies ! » s'exclame, à un moment donné de l'histoire, Joseph, peintre talentueux et fils vertueux – dont sa mère découvrira finalement les mérites, telle une illumination –, opposé au cynique et sans scrupule personnage de Philippe, son frère aîné. Leur mère, la pauvre Agathe, se leurre en effet et s'illusionne de l'aura de son fils Philippe, ancien dragon de la Garde impériale. Une phrase résume la situation : « Joseph adorait sa mère, tandis que Philippe se laissait adorer par elle. »
La Rabouilleuse – qui fait partie des Scènes de la vie de province et doit son nom à une petite paysanne qui, avantagée par un physique superbe, saura creuser son trou mais, trop sûre d'elle, ne se méfiera pas assez de Philippe – oscille entre Paris et Issoudun, c'est-à-dire entre la capitale bouillonnante et la province engoncée dans ses manies, étouffante et périlleuse à qui n'en connaît pas les codes mesquins.
Cette exceptionnelle étude de moeurs, comme seul Balzac sait en concevoir, nous plonge donc dans les affres de l'envie, l'un des sept péchés capitaux. Envie qui rime évidemment avec argent, ce graal maudit que Philippe traque comme un fauve affamé, quitte à provoquer des drames dont il se moque éperdument. Mais Philippe n'est pas qu'un personnage abject : il fait aussi figure d'instrument vengeur du destin à l'encontre de créatures peu recommandables. En cela il est bel et bien un personnage balzacien des pieds à la tête, fait d'une extrême complexité ; laquelle complexité ne trouve, hélas, aucune échappatoire en ce qui le concerne : il révulse. Et contrairement à un Vautrin, auquel on finit par s'attacher, Philippe n'a rien qui le sauve… Mais, comme pour lui interdire de poursuivre plus avant ses méfaits, le destin se chargera de lui d'une manière particulièrement terrible et dégradante.
« le seul service que puisse me rendre la bonne femme est de crever le plus tôt possible », lâche ce fils ingrat à propos de sa mère mourante qui, par son dénuement – dont il est grandement responsable –, dérange ses plans dans le grand monde. Certains critiques ont avancé, non sans arguments, que Philippe était ainsi parce que la désillusion – celle de la chute de l'Empire – et les coups du sort l'avaient façonné dans ce sens. Je leur répondrai que le Colonel Chabert est là pour contredire cette opinion…
Là où Balzac a tendance à s'épancher dans des généralités – que j'apprécie pour ma part –, ici il est d'une concision extraordinaire, laissant aller le fil du récit pour tisser cette toile dramatique qu'est La Rabouilleuse, un chef-d'oeuvre littéraire au passage.
Après la lecture d'un tel roman, parmi les plus réussis De Balzac – c'est dire le niveau ! –, voici ce que Victor Hugo en disait : « Que pourrais-je ajouter à une pensée comme la vôtre ? À ce propos je vous dirai que votre famille Bridau est un tableau de maître, vous le saviez bien, mais je suis heureux de vous le dire. »
Un tableau de maître, en effet, où le vice et la vertu se livrent un combat à armes inégales, où la petitesse des calculateurs, si elle donne l'illusion de la victoire, s'effondre au regard des quelques grandeurs morales qui émaillent le récit. Enfin, il y a la question de la rédemption, qui prend ici plusieurs formes, mais toutes édifiantes…
Un roman incontournable, pour les happy few qui aiment lire… !

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